lundi 31 mai 2021

Analyse des conceptions des apprenants et des autres acteurs du système éducatif. Citoyen du Monde

 


Dans une perspective constructiviste, il est essentiel d’analyser les conceptions initiales de ceux à qui est destiné un message scientifique  que ce soit dans un contexte scolaire ou autre : pour mieux comprendre leurs difficultés à assimiler ces nouvelles connaissances - analyse des obstacles éventuels à ces acquisitions -, comme pour évaluer les changements conceptuels à la suite d’un apprentissage.

 

Les conceptions sont ici entendues dans le sens le plus large 

1)    En y incluant les motivations par rapport à une question scientifique,  nous savons en effet que ces dimensions affectives sont essentielles aux apprentissages. Si un cours, une conférence ou une exposition scientifique donne, à celui ou à celle qui l’a suivi, l’envie d’en savoir plus, de faire des enquêtes, alors c’est gagné !

1)      En les analysant comme l’interaction entre trois pôles : KVP (figure1).

 

 

 

Figure 1 : Les conceptions en tant qu’interaction entre les trois pôles KVP

 

Le pôle K représente les connaissances scientifiques. La référence est ce que les chercheurs publient, mais les connaissances de chacun sont à la fois assez proches, dans leur contenu, de ces connaissances spécialisées, tout en s’en différenciant fortement.

Or cette personnalisation de l’assimilation individuelle de connaissances s’effectue en fonction des deux autres pôles, P et V. D’une part, c’est l’usage de mes connaissances qui me permet d’en assimiler, retenir, refaçonner tout ce qui est utile à mes pratiques : professionnelles, personnelles et/ou sociales (pôle P). D’autre part, l’attention que chacun porte à des connaissances, l’importance qu’il leur donne, dépend souvent de l’interaction entre ces connaissances et ses propres systèmes de valeurs (pôle V).

 

C’est l’ensemble de ces interactions qui est l’objet de nos recherches et projets de recherche. La spécificité de ces travaux (au sein du LIRDHIST) est d’utiliser une méthode contrastive :

- d’une part par une approche historique qui permet a posteriori d’analyser l’évolution des connaissances scientifiques sous l’angle de leurs interactions avec les pratiques sociales et avec les valeurs dominantes de chaque époque. L’approche historico-épistémologique s’intéresse aux connaissances des chercheurs - ou plutôt à leurs conceptions = leurs KVP. L’approche historico-didactique analyse celles des enseignants et des autres acteurs du système éducatif, à chaque époque. Elle pourrait aussi être étendue aux acteurs de la médiatisation des sciences ;

- d’autre part par une comparaison de pays à pays, à l’époque actuelle, avec le même objectif - interactions KVP : par exemple, au sein des pays européens, ou tout autour de la Méditerranée, les auteurs des programmes et les enseignants ont-ils les mêmes conceptions sur un certain nombre de questions vives qui font partie des enseignements scientifiques (évolution, sexualité, santé, environnement, éducation civique, etc.) ? (…).

 

Analyse comparative des conceptions d’enseignants

Les conceptions craniologiques d’enseignants et étudiants sur les cerveaux d’hommes et de femmes : En 1861, Paul Broca, éminent neurobiologiste et chef de file de la craniologie, mesura le poids des cerveaux d’hommes et de femmes, ces derniers étant nettement moins lourds. Broca mit en relation cette « infériorité physique » avec ce qui était admis à cette époque : l’« infériorité intellectuelle » des femmes. Cent vingt ans après, Stephen J. Gould (1983) a réanalysé les données originales de Broca, et a montré que les différences de poids de ces cerveaux étaient d’abord liées à la taille des individus, puis à leur âge, puis à la présence ou absence de méninges, etc. : le paramètre sexe n’intervient pas ! Par ailleurs, d’autres travaux ont prouvé que, dans l’espèce humaine, il n’existe aucune relation entre le poids du cerveau et l’intelligence (synthèse dans Vidal 2001).

Mais plus d’un siècle de croyances craniologiques a marqué des générations d’enseignants et de journalistes scientifiques, ainsi que leurs élèves ou publics ; il s’est inscrit dans notre langage quotidien - « grosses têtes », etc. Les conceptions des enseignants ont-elles pour autant évoluées de la même façon dans tous les pays ?

Nous avons mené une enquête, dans plusieurs pays européens ou méditerranéens. (…). Il ressort de ces résultats que l’argument craniologique (poids et/ou taille du cerveau lié aux performances cérébrales dans l’espèce humaine) est encore très présent dans certains pays, alors même qu’il n’a plus aucun fondement scientifique : cette thèse est désormais uniquement idéologique. Cet exemple montre que :

- le discours des scientifiques peut ne pas être dénué d’une idéologie ici mise en évidence avec le recul historique ;

- quand l’idéologie sexiste est largement nourrie de ces discours scientifiques, elle peut résister aux nouvelles démonstrations scientifiques. En particulier dans certains contextes sociopolitiques, particulièrement au Liban (où un enseignant ou étudiant sur deux invoque cet argument, quelle que soit sa discipline), et en Tunisie (un enseignant sur trois) ;

- dans ces derniers cas, et de façon plus générale, la formation des enseignants et futurs enseignants mériterait d’être attentive à ces interactions entre science et idéologie. Il en est de même pour la formation des journalistes et autres médiateurs scientifiques.

Notons enfin que l’idéologie déterministe dont témoigne cet exemple sur la craniologie, se retrouve dans bien d’autres domaines très médiatisés, qu’ils soient scientifiques ou non : la prédestination divine, l’astrologie, la chiromancie, la physiognomonie relayée par la morphopsychologie, l’iridologie, etc., et plus récemment le déterminisme génétique.

Nous sommes pourtant à l’heure où les scientifiques proclament la « fin du tout-génétique » (Atlan 1999 ; Kupiec, Sonigo 2000), à l’heure où le séquençage du génome humain montre que nous sommes loin de posséder les 150 mille gènes initialement escomptés, et que nous en avons moins de 25 mille (deux fois moins que le riz ou la rose), à l’heure où l’importance des processus épigénétiques commence à être reconnue : épigénèse cérébrale mais aussi épigénèse de l’ADN et lors de la synthèse des protéines. Les journalistes ne commencent que très timidement à diffuser ces nouvelles approches de la complexité qui contestent l’idéologie réductionniste du tout-génétique (voir par exemple le hors-série de Sciences et Avenir, 136, 2003). Mais les programmes et manuels scolaires sont jusqu’ici restés plus timides, continuant par exemple à enseigner la notion pourtant très contestée de « programme génétique » (Abrougui, Clément 1997b ; Forissier, Clément 2003a). (…).

 

 

Source: Le système éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar, 2014, pp. 67-72 (Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie électronique, il suffit d’envoyer son mail).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire