vendredi 28 mai 2021

L’erreur de l’élève pourrait être utile pour l’enseignant et l’apprenant. Citoyen du Monde

 


« L'erreur est un moteur de l'apprentissage »

 

Je pars d’une enquête (DEA didactique de la biologie, 2000) que j’ai effectuée sur un échantillon tunisien composé de 74 enseignants de biologie.

La question posée : donnez une définition du neurone ?

Résultats de l’enquête :

6  personnes interrogées ont donné une définition correcte et complète.

59 personnes interrogées ont donné une définition correcte mais incomplète.

1  personne interrogée a donné une définition fausse.

8  personnes interrogées n’ont pas répondu à la question.

Je conclus de cette enquête, simple et limitée dans le temps, le lieu et le nombre, que les diplômés du supérieur peuvent se tromper. Que disons-nous donc des élèves ?

 

Premièrement,  en lisant Michel Saroul (1990), chercheur français, dans son livre « l’évaluation en questions » page 110, j’ai retenu trois points de vue différents sur le statut de l’erreur dans le système éducatif en général et son rôle dans l’enseignement : « Pour Skinner, le savant américain béhavioriste, l’erreur est considérée comme pédagogiquement nocive [...] Crowder, quant à lui, rend non seulement l’erreur possible, mais la prévoit dans le cheminement de l’élève [...] L’environnement LOGO  qui désigne ici à la fois une conception pédagogique et une famille de langages, rend l’apprenant maître de la machine : il la programme [...] dans le système LOGO, l’erreur est considérée non seulement comme possible ou souhaitable mais comme nécessaire à la découverte heuristique par l’élève ».

C’est le statut donné à l’erreur en classe qui différencie l’enseignement linéaire et magistral (du professeur à l’élève) de l’enseignement interactif (du professeur à l’élève, de l’élève au professeur et des élèves entre eux). Dans l’enseignement interactif, le professeur prend en considération les conceptions des élèves sur le sujet traité et leur permet de construire leur savoir en interaction avec leurs erreurs comme le dit Saroul : « l’erreur va activer l’attention de l’élève et va l’amener à réfléchir en vue d’en rechercher les causes et de la corriger ».

Deuxièmement, en m’inspirant des professeurs Bernard Grange et Marie-Madelaine Raffin qui ont écrit dans le livre cité plus haut, page 123, je propose les méthodes suivantes  afin d’essayer à remédier l’erreur:

- « l’élève, seul ou avec son camarade, prend en charge la correction du travail ».

- « si l’auto-correction est juste, le travail du professeur s’arrête là, car l’élève n’a pas eu besoin de l’aide de l’adulte. Il a fait preuve d’une certaine autonomie ». L’école constructiviste de Piaget et Vygotsky préfère cette démarche qui libère l’élève du tutorat du professeur.

- « si l’erreur subsiste, le professeur peut intervenir de plusieurs façons : en le renvoyant à l’expérience ou au cours en lui donnant une information supplémentaire et en le laissant à nouveau chercher une bonne réponse ou en le questionnant (oralement ou par écrit) afin de le mettre sur la ‘’voie’’ de la bonne réponse ».

Troisièmement, si l’on sait que les sciences expérimentales ont progressé après une longue série d’erreurs, on ne doit pas s’étonner devant une erreur commise par l’élève en classe et surtout on ne doit, ni le lui reprocher cet acte, ni le gronder. L’erreur de l’élève en classe est bénéfique, en premier lieu pour l’élève et pour ses pairs qui vont découvrir la bonne réponse et en deuxième lieu pour le professeur qui va connaître le niveau de ses élèves, ce qui l’oblige à répéter ou à modifier ou même à décaler sa leçon dans certains cas.

                                                           

Retournons maintenant à la réalité tunisienne après la présentation des théories précédentes (une bonne pratique se base toujours sur une bonne théorie). Certains professeurs accaparent la parole et jonglent intellectuellement en classe et ne laissent pas de chance à l`élève pour qu’il essaye lui-même l’expérience et l’erreur. Souvent, les professeurs excluent le faible élève de la discussion, non pas intentionnellement  mais par ignorance de l’épistémologie, de l’histoire des sciences et de la didactique. Ces professeurs pourraient rendre l’élève complexé ou retiré ou même le pousser à détester complètement la discipline. Les exemples suivants illustreront ce que je viens d’avancer :

1er exemple : dans une séance d’anglais, le professeur parle beaucoup plus que l’élève surtout dans une salle non équipée de nouvelles technologies. Suite à ce qui précède, je pose une question : si nous ne donnons pas à l’élève l’occasion d’apprendre, au lycée, la prononciation correcte et l’emploi de la grammaire anglaise, où va-t-il les apprendre alors ?

2ème exemple : dans une séance de sciences de la vie et de la terre, le professeur prépare les cellules entre lame et lamelle, les met sous le microscope, met au point l’observation puis enfin invite les élèves à observer. Qui sait, est-ce que l’élève a observé les cellules et non des bulles d’air ? Est-ce que l’élève apprend seulement par imitation ? Pourquoi l’élève ne fait-t-il pas l’expérience lui-même du début jusqu’à la fin ? Où est le mal si un élève casse un matériel par inattention quelque soit son prix ?

Certains de mes collègues justifient leurs comportements par le manque de temps, ou la protection du matériel, ou l’indiscipline  des élèves ou l’encombrement des classes. Je les prie de laisser l’élève essayer et se tromper. Je vais d’ailleurs répondre gentiment et objectivement à leurs arguments, l’un après l’autre :

- Supposons que le programme soit long et que les enseignants aient réussi à l’achever dans  les délais préalablement déterminés. Ils l’ont achevé au profit de qui ? Au profit de l’inspecteur ? Est-ce que les élèves ont compris la moitié de ce programme ?  Quel est l’intérêt de bourrer le crâne des élèves ?

- Le matériel est fait pour être utilisé et on prévoit un budget de recouvrement chaque année. Est-ce que la protection du matériel est une raison suffisante pour empêcher nos enfants d’apprendre par essai et erreur ? Est-ce que le matériel du laboratoire est plus cher qu’un cerveau formé ? Le matériel du  laboratoire pourrait être remplacé, par contre l’élève en difficulté pourrait coûter aux contribuables mille ordinateurs et mille microscopes.

 

Conclusion

« L’erreur est le moteur de la classe ». Elle active la conversation. La séance qui se déroule sans erreurs est une séance morte car les élèves n’ont pas  participé et n’ont pas donné leurs points de vue. Ils ne peuvent donc apprendre ni sciences, ni liberté, ni démocratie, ni civisme. Ils vont s’habituer à la résignation et à la soumission à l’autre. Il ne faut pas oublier que la classe est le seul endroit où on félicite les fautifs. Par contre, dans la vie active, la faute d’un  médecin ou d’un ingénieur ou autre fonctionnaire pourrait être sanctionnée par un licenciement. Dans les concours de recrutement aussi, on n’a pas le droit de faire des erreurs vu le surnombre de demandeurs d’emploi, 100 mille demandes pour 1500 postes de professeurs.

 

Pour éviter les erreurs dans les examens, l`élève tunisien recourt au moyen le plus simple, la fraude. Faut-il l`incriminer et le sanctionner ou l`aider et l’éduquer par des moyens scientifiques et non par des moyens disciplinaires ?

 

Source: Le système éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar, 2014, pp. 53-58 (Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie électronique, il suffit d’envoyer son mail).

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