jeudi 27 mai 2021

La simplification des concepts scientifiques pourrait induire l’élève en erreur. Citoyen du Monde

 

 

Je pense qu`il y a deux approches qui divisent aujourd’hui la pensée scientifique : l’approche analytique et l’approche systémique.

Joël De Rosnay compare ces deux approches dans son livre « Le Macroscope », page 119 :

v  Approche  analytique

§  Isole et se concentre sur les éléments.

§  S’appuie sur la précision des détails.

§  Modifie une seule variable à la fois.

§  Approche efficace lorsque les interactions  sont linéaires et faibles.

§  Conduit à un enseignement par discipline (juxta-disciplinaire).

v  Approche  systémique

§  Relie et se concentre sur les interactions entre les éléments.

§  S’appuie sur la perception globale.

§  Modifie des groupes de variables simultanément.

§  Approche efficace lorsque les interactions sont non linéaires et fortes.

§  Conduit à un enseignement pluri-disciplinaire.

 

L’efficacité de l’approche analytique-causale-linéaire réside dans sa simplicité et sa facile mobilisation. Elle  rassure la personne et la met à l’aise. Elle dessine une relation linéaire directe entre la cause et l’effet, par exemple la maladie résulte des microbes (elle pourrait résulter des médicaments comme les anti-inflammatoires) et l’obésité de la suralimentation (elle pourrait résulter du manque d’exercice) et le comportement inné des gènes (par épigenèse le comportement pourrait résulter de l’interaction entre les gènes et l’environnement).

Malgré sa simplicité, cette approche a favorisé l’évolution des sciences expérimentales comme la génétique et la microbiologie. Aujourd’hui, elle devient non seulement incapable d’expliquer toute seule certains phénomènes complexes mais elle engendre des obstacles didactiques et épistémologiques à l’apprentissage. Elle réduit les phénomènes complexes à une simple relation de cause à effet. Elle  oublie ou fait semblant d’oublier la dialectique qui stipule par exemple que le cerveau influe sur le comportement et le comportement influe sur le cerveau, l`homme pollue l’environnement et l’environnement pollué nuit à la santé de l’homme, etc.

Certains enseignants de biologie adoptent seulement l’approche analytique dans l’enseignement de la génétique. Dans ce cas, l’approche analytique peut nous induire au déterminisme génétique qui postule que chaque caractère est prédéterminé par un gène. Par contre, on connaît que les êtres vivants sont complexes de nature et que leurs constituants intérieurs interagissent avec ceux de l’extérieur. Donc, est-ce que c’est possible d’enseigner les connaissances d’une façon simplifiée ? Si cette simplification est dictée par la nécessité pédagogique, on arrive au résultat contraire car la connaissance non scientifique s’ancre plus facilement que la connaissance scientifique et sa réfutation devient plus difficile a posteriori et on admet que les conceptions non scientifiques ne cèdent pas facilement.

Quand l’enseignant s’appuie sur l’approche analytique linéaire, il se trouve obligé de simplifier les réseaux complexes : prenons l’exemple de la relation gène-caractère, c’est vrai que la couleur des yeux et le groupe sanguin sont deux caractères complètement prédéterminés génétiquement. Et on sait  aussi que beaucoup de nos caractéristiques morphologiques, comme la couleur de la peau ou l’obésité ou autre, sont codées dans les gènes mais n’oublions pas le rôle de l’environnement dans le déterminisme de ces caractères : le brun pourrait devenir plus foncé ou moins foncé selon le climat, et l’obésité dépendrait du régime alimentaire.  Alors, le problème majeur vient du transfert de ce déterminisme aux capacités intellectuelles. Les faits et les comportements sociaux de l’individu seraient déterminés par des facteurs héréditaires incontrôlables par l’individu lui-même comme le préconisent certains savants héréditaristes en essayant de nous convaincre qu’ils ont découvert les gènes de l’alcoolisme, de l’homosexualité, de l’agressivité, de l’intelligence et même de la croyance en Dieu (la revue « Sciences & Vie », août 2005, n° 1055).

Le paradigme du « tout génétique » a émergé de l’approche linéaire  et il a dominé tout seul l’histoire de la génétique pendant des dizaines d’années. Mais  le théoricien biologiste Henri Atlan a prédit son déclin dans son livre « la fin du ‘’tout génétique’’ ?  (Vers de nouveaux paradigmes en biologie » Ed. INRA, 1998).

Le danger du paradigme « tout génétique » réside dans la déification des gènes et dans l’acceptation de leurs productions. Donc l’intelligence et  la bonne santé deviennent des dons de gènes et l’agressivité, une malédiction qu’on ne peut pas repousser. Beaucoup d’opinions non scientifiques pourraient émerger de ce paradigme : l’agressivité, les maladies et l’intelligence  deviennent des caractères héréditaires (non acquises de l’interaction sociale). Il me semble que ce paradigme  de la pensée scientifique est réducteur car dans son explication des caractères humains, il favorise les facteurs héréditaires aux dépens des facteurs acquis. En s’appuyant sur ce paradigme pour expliquer les causes des problèmes sociaux, comme l’agressivité, l’échec scolaire et la toxicomanie, cela  pourrait nous conduire à ne prendre en compte que les facteurs héréditaires et négliger en même temps les facteurs sociaux acquis.

 

Conclusion

L’enseignement de la biologie consiste à montrer la complexité des phénomènes naturels et à se concentrer sur les interactions qui se passent entre leurs divers éléments donc l’enseignant a besoin des deux approches analytique et systémique car elles sont complémentaires et non contradictoires. L’interaction et la complexité, qui sont deux concepts importants en sciences, complètent les concepts de linéarité et de simplification et formeront avec eux un nouveau paradigme scientifique meilleur. Ces deux nouveaux concepts pourraient ne pas faciliter la résolution d’un problème mais au contraire le complexifier tout en  le mettant sur la bonne voie de la solution correcte. Prenons l’exemple de l’intelligence, elle est « 100 %  héréditaire et 100 % acquise » d’après le dicton célèbre d’Albert Jacquard :

- Elle est innée car on hérite de nos parents un cerveau humain composé de 100 milliards de neurones.

-  Elle est acquise car dans chaque neurone, s’effectuent des milliards de réactions chimiques. Le neurone n’est pas isolé, il échange avec son environnement des milliards d’éléments chimiques instables. Chaque neurone est capable d’établir 10 mille synapses avec ses voisins. Durant notre vie et à partir de l’interaction avec l’environnement, nos neurones vont configurer et reconfigurer entre eux un million de milliards de synapses. Sachant que le nombre de nos gènes, d’après le dernier séquençage d’ADN en 2001, ne dépasse pas les 25 mille gènes. 98.9 % de ces gènes sont répétitifs ou silencieux, c'est-à-dire sans rôle connu et 1.1 % seulement portent un code de fabrication de protéines. On pense que le paradigme dominant « un gène-une protéine » n’est plus capable à lui seul d’expliquer l’existence des dizaines de milliers de protéines et des milliards de synapses. La complexité de notre intelligence nous rappelle celle de l`épigenèse et met en évidence une interaction entre nos gènes et notre environnement d`où émerge notre pensée.

 

Pour assimiler la complexité des phénomènes naturels, l`élève tunisien fait obligatoirement des erreurs. Faut-il pour autant le blâmer et le gronder ?

 

Source: Le système éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar, 2014, pp. 47-52 (Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie électronique, il suffit d’envoyer son mail).

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