Pierre Clément (prof à UCBL1 France et mon ancien directeur
de thèse 2007) a cherché à comprendre les causes de ces conceptions non
scientifiques et il est arrivé à l’idée suivante :
Les conceptions résultent de
l’interaction entre trois éléments
1er
élément : les connaissances scientifiques publiées
dans les revues spécialisées ou dans les livres ou celles que l’élève a
apprises à l’école.
2ème
élément : les valeurs que l’élève adopte à propos de
ce sujet.
3ème
élément : le milieu dans lequel vit l’élève, ses pratiques
personnelles et les pratiques sociales dans son environnement.
On
passe maintenant à la réalité tunisienne pour donner quelques exemples de ces
conceptions non scientifiques. Elles sont
ancrées dans les esprits des élèves bien que les contenus scientifiques,
nécessaires à leur réfutation, soient enseignés à tous les niveaux :
1er
exemple : les causes des mouvements respiratoires chez
l’homme : l’élève arrive au collège tout en étant convaincu que l’air entre dans les poumons et
les gonfle donc le thorax se lève. Le contraire est vrai : les muscles
intercostaux et le muscle du diaphragme se contractent et tirent les poumons
attachés donc le volume de la cage thoracique augmente, crée un vide et l’air
entre. On constate que l’entrée de l’air est une conséquence et non une cause
des mouvements respiratoires. Les élèves se défendent en disant que
l’instituteur ne leur a pas enseigné les connaissances correctes. Ces derniers ne disent pas la
vérité par oubli car malgré la correction faite au collège, certains d’entre
eux conservent cette conception non scientifique et la remobilisent au
secondaire et au supérieur.
2ème
exemple : la respiration chez les plantes
vertes : l’élève arrive au collège tout en étant convaincu que la plante
respire différemment de l’homme,
c'est-à-dire qu’elle absorbe le dioxyde de carbone et dégage l’oxygène. Le contraire est vrai : pendant la
respiration qui se fait jour et nuit, la plante prend l’oxygène et dégage le
dioxyde de carbone. Cette conception non scientifique chez l’élève pourrait
être causée par la confusion entre deux
fonctions, la respiration et la photosynthèse, qui se font en même temps
à la lumière. Pendant la photosynthèse qui n’a lieu qu’en présence de lumière,
la plante prend le dioxyde de carbone pour en fabriquer les matières organiques
comme l’amidon, le sucre, les lipides et les protides puis dégage l’oxygène.
3ème
exemple : l’élève arrive au collège tout en étant
convaincu que le dioxyde de carbone est composé de gaz toxiques et nuisibles à
la santé de tous les êtres vivants. Il ne le considère pas comme matière de
même nature que les corps solides et liquides. Cette conception non
scientifique ne facilite pas la tache du professeur qui est appelé à convaincre
les élèves que :
- le gaz est une substance
nutritive pour les plantes vertes.
- à partir de ce gaz,
l’olivier fabrique l’huile et la betterave à sucre fabrique le sucre.
- sans dioxyde de carbone,
les végétaux verts producteurs de matière organique et les animaux
consommateurs meurent de faim et la vie disparaîtra sur terre.
4ème
exemple : le poids du cerveau chez l’homme et la
femme : il s’agit de la dominante
conviction non scientifique et les valeurs qui en découlent. Ces valeurs qui
avilissent la femme et élèvent l’homme
bien que les connaissances exactes
soient enseignées en classes terminales (Le poids du cerveau n’a
aucun rapport avec l’intelligence, car
il varie en fonction du poids du corps). Ces valeurs qui postulent
que l’homme est plus intelligent que la femme car son cerveau est plus grand.
5ème
exemple : la majorité des gens croient que l’inné est
déterminant dans le développement physique et mental du corps et négligent ou
minimisent le rôle de l’acquis. Il faut savoir que c’est impossible de séparer
l’inné de l’acquis car ils sont en interaction permanente.
Conclusion
Les
conceptions non scientifiques qui sont ancrées dans l’esprit de l’élève, du
professeur et autres, forment un système intellectuel cohérent qui a prouvé son
efficacité pendant des années. Donc, on ne peut pas les changer par la simple
transmission de connaissances à l’élève. Ce dernier arrive en classe, armé
d’idées et d’opinions résultant de l’interaction avec son environnement
physique et social. Il est influencé par ce qu’il entend et ce qu’il lit et en même
temps il influe sur ses pairs. En outre, on conclut que l’élève n’est ni une
page blanche dans laquelle on écrit ce qu’on veut, ni un vase vide qu’on
remplit avec ce qu’on désire mais il est
une personne capable d’évoluer.
Il
est de notre devoir de ne pas négliger les conceptions de l’élève dans chaque
acte de l’éducation pour ne pas être
comme ceux qui bâtissent sur du sable mouvant. Je vous propose un point de vue
de traitement des conceptions non scientifiques selon une méthode
didactique : avant d’étudier n’importe quel sujet, on collecte les
conceptions des élèves sur ce sujet et on les analyse pour identifier les
obstacles qui empêchent l’acquisition de connaissances. Le dépassement de ces
obstacles formera l’objectif de la leçon tout en sachant que l’apport de
connaissances exactes ne suffit pas, à lui seul, pour changer les conceptions
non scientifiques chez l’élève. Ces dernières peuvent resurgir et ne cèdent pas
facilement bien que nous ayons impertinemment cru qu’elles avaient été dépassées.
J’invite
mes collègues à réfléchir sur la métaphore de Jonnaert « les
obstacles à l’apprentissage ressemblent
à l’iceberg ». La partie cachée est plus importante car les erreurs
explicites qui viennent de la mémoire à court terme et qui nous semblent simples, peuvent nous éloigner
du traitement des obstacles qui forment
un système intellectuel profond. Un tel
système soigneusement caché dans la mémoire à long terme constitue le support des conceptions non
scientifiques que nous avons sculpté dans le cerveau de l’élève.
Est-ce que nos enseignants tunisiens connaissent les
conceptions non scientifiques de leurs élèves avant de commencer leur cours et
est-ce qu`ils comprennent que leurs élèves ne comprennent pas ?
Source: Le système éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs
ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar,
2014, pp. 39-43 (Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie
électronique, il suffit d’envoyer son mail).
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