mardi 25 mai 2021

Les conceptions résultent de l’interaction entre trois éléments ? Citoyen du Monde

 

 

Pierre Clément (prof à UCBL1 France et mon ancien directeur de thèse 2007) a cherché à comprendre les causes de ces conceptions non scientifiques et il est arrivé à l’idée suivante :

Les conceptions résultent de l’interaction entre trois éléments

1er élément : les connaissances scientifiques publiées dans les revues spécialisées ou dans les livres ou celles que l’élève a apprises à l’école.

2ème élément : les valeurs que l’élève adopte à propos de ce sujet.

3ème élément : le milieu dans lequel vit l’élève, ses pratiques personnelles et les pratiques sociales dans son environnement.

On passe maintenant à la réalité tunisienne pour donner quelques exemples de ces conceptions non scientifiques. Elles sont  ancrées dans les esprits des élèves bien que les contenus scientifiques, nécessaires à leur réfutation, soient enseignés à tous les niveaux :

1er exemple : les causes des mouvements respiratoires chez l’homme : l’élève arrive au collège tout en étant  convaincu que l’air entre dans les poumons et les gonfle donc le thorax se lève. Le contraire est vrai : les muscles intercostaux et le muscle du diaphragme se contractent et tirent les poumons attachés donc le volume de la cage thoracique augmente, crée un vide et l’air entre. On constate que l’entrée de l’air est une conséquence et non une cause des mouvements respiratoires. Les élèves se défendent en disant que l’instituteur ne leur a pas enseigné les connaissances  correctes. Ces derniers ne disent pas la vérité par oubli car malgré la correction faite au collège, certains d’entre eux conservent cette conception non scientifique et la remobilisent au secondaire et au supérieur.

2ème exemple : la respiration chez les plantes vertes : l’élève arrive au collège tout en étant convaincu que la plante respire  différemment de l’homme, c'est-à-dire qu’elle absorbe le dioxyde de carbone et dégage l’oxygène.  Le contraire est vrai : pendant la respiration qui se fait jour et nuit, la plante prend l’oxygène et dégage le dioxyde de carbone. Cette conception non scientifique chez l’élève pourrait être causée par la confusion entre deux  fonctions, la respiration et la photosynthèse, qui se font en même temps à la lumière. Pendant la photosynthèse qui n’a lieu qu’en présence de lumière, la plante prend le dioxyde de carbone pour en fabriquer les matières organiques comme l’amidon, le sucre, les lipides et les protides puis dégage l’oxygène.

3ème exemple : l’élève arrive au collège tout en étant convaincu que le dioxyde de carbone est composé de gaz toxiques et nuisibles à la santé de tous les êtres vivants. Il ne le considère pas comme matière de même nature que les corps solides et liquides. Cette conception non scientifique ne facilite pas la tache du professeur qui est appelé à convaincre les élèves que :

- le gaz est une substance nutritive pour les plantes vertes.

- à partir de ce gaz, l’olivier fabrique l’huile et la betterave à sucre fabrique le sucre.

- sans dioxyde de carbone, les végétaux verts producteurs de matière organique et les animaux consommateurs meurent de faim et la vie disparaîtra sur terre.

4ème exemple : le poids du cerveau chez l’homme et la femme : il s’agit de la  dominante conviction non scientifique et les valeurs qui en découlent. Ces valeurs qui avilissent la femme  et élèvent l’homme bien que les connaissances exactes    soient enseignées en classes terminales (Le poids du cerveau n’a aucun rapport avec l’intelligence, car  il varie en fonction du poids du corps). Ces valeurs qui postulent que l’homme est plus intelligent que la femme car  son cerveau est plus grand.

5ème exemple : la majorité des gens croient que l’inné est déterminant dans le développement physique et mental du corps et négligent ou minimisent le rôle de l’acquis. Il faut savoir que c’est impossible de séparer l’inné de l’acquis car ils sont en interaction permanente.

 

Conclusion

Les conceptions non scientifiques qui sont ancrées dans l’esprit de l’élève, du professeur et autres, forment un système intellectuel cohérent qui a prouvé son efficacité pendant des années. Donc, on ne peut pas les changer par la simple transmission de connaissances à l’élève. Ce dernier arrive en classe, armé d’idées et d’opinions résultant de l’interaction avec son environnement physique et social. Il est influencé par ce qu’il entend et ce qu’il lit et en même temps il influe sur ses pairs. En outre, on conclut que l’élève n’est ni une page blanche dans laquelle on écrit ce qu’on veut, ni un vase vide qu’on remplit avec ce qu’on désire mais il est  une personne capable d’évoluer.

Il est de notre devoir de ne pas négliger les conceptions de l’élève dans chaque acte de l’éducation  pour ne pas être comme ceux qui bâtissent sur du sable mouvant. Je vous propose un point de vue de traitement des conceptions non scientifiques selon une méthode didactique : avant d’étudier n’importe quel sujet, on collecte les conceptions des élèves sur ce sujet et on les analyse pour identifier les obstacles qui empêchent l’acquisition de connaissances. Le dépassement de ces obstacles formera l’objectif de la leçon tout en sachant que l’apport de connaissances exactes ne suffit pas, à lui seul, pour changer les conceptions non scientifiques chez l’élève. Ces dernières peuvent resurgir et ne cèdent pas facilement bien que nous ayons impertinemment cru qu’elles avaient été dépassées. 

 

J’invite mes collègues à réfléchir sur la métaphore de Jonnaert « les obstacles  à l’apprentissage ressemblent à l’iceberg ». La partie cachée est plus importante car les erreurs explicites qui viennent de la mémoire à court terme et qui  nous semblent simples, peuvent nous éloigner du  traitement des obstacles qui forment un système intellectuel profond. Un tel  système soigneusement caché dans la mémoire à long terme  constitue le support des conceptions non scientifiques que nous avons sculpté dans le cerveau de l’élève.

 

Est-ce que nos enseignants tunisiens connaissent les conceptions non scientifiques de leurs élèves avant de commencer leur cours et est-ce qu`ils comprennent que leurs élèves ne comprennent pas ?

 

Source: Le système éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar, 2014, pp. 39-43 (Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie électronique, il suffit d’envoyer son mail).

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