mardi 1 juin 2021

Analyse comparative de documents scientifiques. Citoyen du Monde

 


Un exemple dans une publication scientifique primaire : les cerveaux des hommes et des femmes : En février 1995, la célèbre revue Nature reprenait en couverture de son numéro 373 deux images de coupes de cerveau humain, avec différents niveaux de gris sur lesquels se détachent quelques taches rouges, symétriques sur une des coupes, d’un seul côté sur l’autre. Sous ces images, une seule légende en gros caractères : gender and language. À côté du sommaire, un commentaire présente cette image : [...] A long-suspectedsexdifference in the functionalorganization of the brain for languageisconfirmed [...]. Le titre de la publication est: « Sex differences in the functional organization of the brain for language » (Shaywitz et al. 1995).

Les journalistes ont largement repris le message illustré par cette image spectaculaire, dont j’ai analysé qu’il est plus idéologique que scientifique (Clément 1997, 2001b). Ils ont expliqué que le cerveau est à l’origine des performances cérébrales telles que le langage, et que les différences de latéralisation observées seraient à l’origine de caractéristiques spécifiquement masculines ou féminines.

 

 

J’ai analysé de façon détaillée ces articles dans différentes revues de vulgarisation scientifique. Je ne présente ici que deux points.

Tout d’abord, les neurobiologistes savent aujourd’hui que le cerveau humain naît immature, et qu’il se configure progressivement par épigénèse cérébrale au cours de laquelle des réseaux neuronaux se stabilisent progressivement en fonction de l’expérience individuelle (voir par exemple Changeux 1983, 2002 ; Edelman 1987 ; Fottorino 1998).

 

 

La relation entre le cerveau et le langage est à double sens, incluant la rétroaction de l’épigénèse cérébrale généralement oubliée par les journalistes et, ce qui est plus inquiétant, par les éditeurs de la revue Nature. Une éventuelle différence de latéralisation entre cerveaux d’hommes et de femmes ne prouve pas que ce serait une donnée biologique de naissance. Elle peut tout aussi bien être la conséquence de comportements différenciés. Le commentaire de la revue Nature - « A long-suspected sex difference » - est donc plus idéologique que scientifique.

Une lecture attentive de cet article de la revue Nature (Clément 1997, 2001b) montre également que les résultats concernent aussi une absence de différence entre cerveaux d’hommes et de femmes pour les deux autres fonctions testées - nommées « orthographiques » et « sémantiques » par les auteurs - ; et que la différence « phonologique » est à peine significative au seuil de 5 %, la spectaculariser par le choix du titre et des illustrations, et par la reprise en couverture, relève donc de choix idéologiques, qui sont assumés par les éditeurs mêmes d’une publication primaire aussi prestigieuse. Comment s’étonner ensuite que les journalistes scientifiques aient repris ce message idéologique clair, sans distance critique sur ses fondements scientifiques - difficiles à appréhender? (…).

 

Est-ce que le débat entre l`inné (le tout génétique) et l`acquis (l`épigenèse) est un débat idéologique ou scientifique et est-ce qu`il est dépassé aujourd`hui ?

 

 

Source: Le système éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar, 2014, pp. 72-74 (Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie électronique, il suffit d’envoyer son mail).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire