Un
exemple dans une publication scientifique primaire : les cerveaux des
hommes et des femmes : En février 1995, la célèbre revue Nature
reprenait en couverture de son numéro 373 deux images de coupes de cerveau
humain, avec différents niveaux de gris sur lesquels se détachent quelques
taches rouges, symétriques sur une des coupes, d’un seul côté sur l’autre. Sous
ces images, une seule légende en gros caractères : gender and language.
À côté du sommaire, un commentaire présente cette image : [...] A
long-suspectedsexdifference in the functionalorganization of the brain for
languageisconfirmed [...]. Le titre de la
publication est: « Sex differences in the functional organization of the
brain for language » (Shaywitz et al. 1995).
Les
journalistes ont largement repris le message illustré par cette image
spectaculaire, dont j’ai analysé qu’il est plus idéologique que scientifique
(Clément 1997, 2001b). Ils ont expliqué que le cerveau est à l’origine des
performances cérébrales telles que le langage, et que les différences de
latéralisation observées seraient à l’origine de caractéristiques
spécifiquement masculines ou féminines.
J’ai analysé
de façon détaillée ces articles dans différentes revues de vulgarisation
scientifique. Je ne présente ici que deux points.
Tout
d’abord, les neurobiologistes savent aujourd’hui que le cerveau humain naît
immature, et qu’il se configure progressivement par épigénèse cérébrale au
cours de laquelle des réseaux neuronaux se stabilisent progressivement en
fonction de l’expérience individuelle (voir par exemple Changeux 1983,
2002 ; Edelman 1987 ; Fottorino 1998).
La
relation entre le cerveau et le langage est à double sens, incluant la
rétroaction de l’épigénèse cérébrale généralement oubliée par les journalistes
et, ce qui est plus inquiétant, par les éditeurs de la revue Nature. Une
éventuelle différence de latéralisation entre cerveaux d’hommes et de femmes ne
prouve pas que ce serait une donnée biologique de naissance. Elle peut tout
aussi bien être la conséquence de comportements différenciés. Le commentaire de
la revue Nature - « A long-suspected sex difference » -
est donc plus idéologique que scientifique.
Une
lecture attentive de cet article de la revue Nature (Clément 1997,
2001b) montre également que les résultats concernent aussi une absence de
différence entre cerveaux d’hommes et de femmes pour les deux autres fonctions
testées - nommées « orthographiques » et « sémantiques »
par les auteurs - ; et que la différence « phonologique » est à
peine significative au seuil de 5 %, la spectaculariser par le choix du titre
et des illustrations, et par la reprise en couverture, relève donc de choix
idéologiques, qui sont assumés par les éditeurs mêmes d’une publication
primaire aussi prestigieuse. Comment s’étonner ensuite que les journalistes
scientifiques aient repris ce message idéologique clair, sans distance critique
sur ses fondements scientifiques - difficiles à appréhender? (…).
Est-ce
que le débat entre l`inné (le tout génétique) et l`acquis (l`épigenèse) est un
débat idéologique ou scientifique et est-ce qu`il est dépassé
aujourd`hui ?
Source: Le système éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs
ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar,
2014, pp. 72-74 (Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie
électronique, il suffit d’envoyer son mail).
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