Science et idéologie :
Les maladies héréditaires ne constituent pas une fatalité !
Un des objectifs du débat actuel est de dissocier le postulat
matérialiste de la biologie des conceptions héréditaristes et réductionnistes
qui lui collent trop à la peau (Clément, 1999). Dans les manuels scolaires
tunisiens et français (mis à part Nathan), l’identité d’un être humain est
systématiquement associée à la seule identité génétique, ce qui manifeste des
choix implicites très héréditaristes (Abrougui, 1997). Ces choix peuvent
conforter des conceptions héréditaristes chez les enseignants tunisiens et des
blocages ou absences de motivation chez les apprenants qui pourraient ainsi
dire : l’intelligence est héréditaire, et si nous ne sommes pas
intelligents, ce n’est pas notre faute et on n’y peut rien. Donc à quoi sert de
travailler si notre destin est déjà écrit dans l’ADN ?
A présent, on pense que tous les
comportements, toutes les pensées, de tous les êtres vivants sont des effets de
l’interaction entre l’environnement et l’ADN. Mais les facteurs de
l’environnement sont très faiblement pris en considération dans les manuels
scolaires tunisiens, car ils sont absents dans les programmes, ce qui traduit
un choix de la noosphère (Abrougui, 1997).
L’identité biologique est un concept porteur
de plusieurs sens. Elle est en partie définie, bien sûr, par notre génome
unique (ADN). Cette identité englobe le biologique, le génétique, le
comportemental, le psychologique, car les traits psychologiques ont, avec
l’épigenèse, une base neuronale : ils sont aussi biologiques (Abrougui
& Clément, 1996). Notre identité biologique, c’est tout notre corps en
interaction avec son environnement intérieur et extérieur comme l’affirme Prochiantz (1993) « On ne pense pas
de la même manière si on est un manchot ou si l’on a ses deux mains ».
L’intelligence n’est pas uniquement située dans la tête.
L’exemple
connu de modification du déterminisme génétique, c’est le cas de la lutte
contre la "phénylcétonurie" (n.b.1) par un régime carencé en phénylalanine
responsable de cette maladie chez les porteurs du gène (Jacquard, 1972). Nous
savons aussi que l’expression du gène dépend de son environnement cellulaire
comme dans le cas du colibacille
(n.b.2).
Il
n’empêche que certains gènes sont directement déterminants comme dans le cas de
la maladie de « la chorée de Huntington» (n.b.3). Cependant, il est des
cas d’anomalies génétiques où l’environnement peut empêcher la prédisposition
génétique de se concrétiser comme dans le cas où la découverte d’une
prédisposition à un infarctus du myocarde peut conduire à une hygiène,
alimentaire notamment, plus stricte. Un autre exemple est cité par Atlan :
« Certains cancers du sein ont une détermination génétique : ce
sont les cancers familiaux et précoces, qui touchent, de mère en fille, des
femmes relativement jeunes. Actuellement, on a identifié des gènes qui
déterminent l’apparition de cancers dans ces familles. Cette détermination n’est
pas absolue, mais importante, car elle a été estimée à 80 % (bien que cette
estimation soit contestée), […] Toute la
question est là : est-ce 20 % c’est beaucoup ou non, est-ce que 80% c’est
beaucoup ou non ? Dans ces exemples, la prédiction n’est pas absolue.
Quand elle est absolue (ce qui est rare), comme dans le cas de la chorée de
Huntington, pour autant on ne sait pas à quel moment la maladie va se
développer. » (Atlan & Bousquet, 1994, p.p. 65-66).
Dans
l’exemple précédent, Atlan a parlé de
parité (détermination estimée à 80%) mais il a ajouté entre parenthèses
que cette estimation est contestée. En effet, elle l’est car il y a une
interaction entre le génome, l’environnement et le phénotype donc nous
préférons la formule « magico-scientifique » d’Albert Jacquard « 100 % inné et 100 %
acquis » pour chaque caractère, (Jacquard, 1993).
Notes
de bas de page
1.
Phénylcétonurie : Affection héréditaire
dans laquelle l’enzyme qui transforme la phénylalanine (acide aminé) en
tyrosine (autre acide aminé) est déficiente et cela provoque une arriération
mentale sévère. Un traitement est possible, il consiste à restreindre la prise
de phénylalanine qui est un constituant de la plupart des aliments renfermant
des protéines. Le malade est soumis à un régime, principalement végétarien,
très pauvre en protéines.
2.
Colibacille : Ce n’est qu’en présence de
lactose que le colibacille se met à synthétiser une protéine qui lui permet de
tirer de l’énergie de ce sucre particulier. Ce signal qui déclenche la
transcription du gène correspondant est détecté par une partie du gène lui même
(Chambon, 1993).
3.
La chorée de Huntington : Maladie peu
fréquente dans laquelle la dégénérescence des noyaux striés gris centraux du
cerveau entraîne une chorée (mouvements involontaires, rapides, saccadés) et
une démence (détérioration mentale progressive). C’est une maladie génétique à
transmission autosomique dominante. Les symptômes n’apparaissent généralement
pas avant l’âge de 35 à 50 ans ; dans de rares cas, cette maladie survient
dans l’enfance (Encyclopédie médicale de la famille, Larousse, 1991).
Si
l’intelligence n’est pas héréditaire par les gènes à 100%, quel est donc son
autre support biologique?
Source: Le système
éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs ne comprennent pas que
leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar, 2014, pp. 123-127
(Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie électronique, il
suffit d’envoyer son mail).
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