Les comportements comme l’agressivité,
l’intelligence ou la performance d’être très bon violoniste sont des émergences
résultant de l’auto-organisation des neurones en interaction avec
l’environnement « Il apparaissait plutôt que le cerveau fonctionne à
partir d’interconnexions massives, sur un schéma distribué, de sorte que la
configuration des liens entre ensembles de neurones puisse se modifier au fil
de l’expérience. Ces ensembles témoignent d’une aptitude à l’auto-organisation
qui ne trouve aucune représentation en logique » (Varéla, 1989).
Parler
d’émergence, c’est alors refuser le réductionnisme, refuser de réduire nos
comportements à un programme codé dans nos gènes.
Le
concept d’auto-organisation a été mis en évidence à partir des nouvelles
générations d’ordinateurs (Varéla, 1989). Transposé en biologie, il permet de
concevoir qu’il puisse exister au sein de tout système biologique une
« marge de liberté » et de
« créativité » indispensable à la survie de toute espèce. La liberté
et la créativité sont, par définition, des processus d’auto-organisation qui
n’obéissent, ni à un programme génétique (ADN), ni à un apprentissage scolaire.
Ces processus découlent des propriétés intrinsèques du système :
l’ouverture, la complexité, la redondance (n.b.1), la fiabilité et la
compétence.
Cette
théorie de l’auto-organisation se retrouve, implicite, dans la théorie de
Piaget (Universalis, 1997) et le constructivisme peut aujourd’hui s’appuyer sur
l’ontogenèse neuronale, la mise en place des synapses et la constitution des
réseaux neuronaux (Clément, 1994): par exemple, les travaux multiples sur
l’ontogenèse (n.b.2) de la vision chez le chaton ont montré que certaines voies
visuelles se mettent en place même sans expérience visuelle, mais pas
d’autres : la proportion de neurones répondant à des lignes horizontales
ou verticales varie selon l’expérience visuelle du chaton (Hubel et Wiesel,
1962).
L’auto-organisation
et l’émergence pourraient ne pas faciliter la résolution d’un problème mais au
contraire le complexifier : Prenons l’exemple de l’intelligence, elle est
100 % héréditaire et 100 %
acquise d’après la formule « magico-scientifique » d’Albert
Jacquard :
- 100% innée car on hérite de nos parents un
cerveau humain composé de 1011 neurones. Dans chaque neurone,
s’effectuent des milliards de réactions chimiques. Le neurone n’est pas isolé,
il échange avec son environnement cellulaire des milliards d’éléments chimiques
instables.
-
100 % acquise car l’homme construit son intelligence en interaction avec son
environnement social.
Critiques
récentes du concept "auto-organisation".
Kupiek (2005),
le chercheur à l’école normale supérieure de Paris nous met en garde contre de
multiples confusions : « souvent considérée comme une alternative
au programme génétique, l’auto-organisation est une théorie des années 1960 qui
connaît plusieurs variantes, portées par Henri Atlan, Ilya Prigogine, Stuart
Kauffman…Elle tente d’expliquer l’émergence de l’ordre à partir des
interactions entre les composants d’un système biologique sans faire appel à
une contrainte qui s’exercerait sur ce système. Elle semble donc s’opposer au
programme génétique, censé dicter le comportement des protéines. Cette
opposition n’est que superficielle. En effet l’auto-organisation souscrit à la
même vision d’un monde hiérarchisé en niveaux d’organisation différenciés
qualitativement. […] Tandis que la génétique privilégie l’information génomique
équivalente de la spécificité et de la cause formelle, l’auto-organisation
réintroduit l’accident et la cause finale […] Elles sont prisonnières du même
cadre de pensée. Elles partagent la même vision d’un monde fondamentalement en
ordre qu’elles cherchent à expliquer ».
Conclusion
Nous ne sommes pas
tout à fait d’accord avec la mise en garde de Kupiek : l’épigenèse qui
tente d’expliquer l’émergence de comportements à partir des interactions entre
les neurones, semble bien s’opposer au programme génétique. Cette opposition
nous paraît profonde, car d’après les déterministes, nos comportements sont
inscrits dés la naissance dans nos gènes (gènes de l’intelligence, de
l’agressivité, de l’alcoolisme, de l’homosexualité, de la croyance en Dieu,
etc.).
Notes
de bas de page
1.
La redondance se traduit par le fait que de
nombreux éléments identiques quand à la structure et à la fonction sont
interconnectés entre eux et ne sont pas localisés en un même lieu.
2.
Ontologie : Histoire singulière d’un
individu ou d’une cellule.
Est-ce que le développement
des recherches en épigenèse annoncera la fin de la dominance du paradigme du
« tout génétique » ?
Source: Le système éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs
ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar,
2014, pp. 96-100 (Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie
électronique, il suffit d’envoyer son mail).
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