Le
dominant et ancien paradigme, le
« tout génétique », résiste à céder de la place pour le compte du
nouveau paradigme complémentaire, l’«épigenèse cérébrale ». L’épigenèse et le « tout
génétique » sont deux paradigmes qui se complètent. L’enjeu du concept de
l’épigenèse est politique, cognitif et concerne les principes de
l’auto-construction, de l’interaction, de la sélection et du hasard : une politique qui serait
tournée vers l’avenir tenant compte de l’environnement et des limitations du
paradigme du tout génétique.
Critiques
épistémologiques récentes du paradigme du « tout génétique »
Le
paradigme de l’ADN-comme-programme continue à être utilisé dans
l’enseignement tunisien. On rencontre encore dans les manuels de biologie les
concepts de « code génétique », « programme génétique »,
«un gène code pour un caractère », etc. (Abrougui, 1997).
Rumelhard
(2005) écrit : « La
question d’enseignement conduit à se demander s’il faut continuer à parler de
programme génétique dans un premier temps, puis à remettre en cause ce concept,
dans un deuxième temps. Autrement dit si l’essentiel de l’enseignement
scientifique ne réside pas dans la rectification d’un concept et non pas dans
son énonciation conforme à la vérité dernière (au sens de plus récente et non pas
ultime) au niveau scientifique ».
Le
« tout génétique » est un paradigme qui a régné pendant des dizaines
d’années en biologie. C’est peut-être parce que l’on voyait le déterminisme
comme une fatalité que l’on n’a guère remis en question le pouvoir des gènes.
Le
concept ADN évolue dans l’histoire des sciences comme tout concept. Du
paradigme du « tout génétique », on tend vers le paradigme de
l’émergence et de la complexité. Le paradigme « ADN-comme-programme »
est fort critiqué par une partie de la communauté scientifique, surtout des
biologistes, des épistémologues et des didacticiens. Les paradigmes ne cèdent
pas facilement. Les anciens paradigmes forment des obstacles aux apprentissages
des nouveaux paradigmes.
Comment passer d’un paradigme à l’autre
et construire une alternative concrète au paradigme déterministe ?
Avec
l’épigenèse, il ne s’agit pas d’apporter de nouvelles certitudes, ni de réfuter
tout ce qui a été dit jusque là, mais plutôt de préciser qu’un certain nombre
de concepts ne sont pas réductibles au tout génétique : ADN, gène, déterminisme, génotype / phénotype et éviter
qu’ils virent à l’idéologie
(sexisme : voir un exemple sur la craniométrie, le dualisme, le chromosome
Y surnuméraire, le gène de l’alcoolisme, le gène de la croyance). Le concept de
l’épigenèse s’oppose à l’idéologie du « tout génétique » jusqu’alors
dominante (Atlan, 1998). Il n’est pas question de réduire à néant tout le
savoir scientifique accumulé que le séquençage du génome nous a donné, mais
bien plutôt de compléter l’approche réductionniste analytique par une
compréhension globale, synthétique, interactive, dynamique et évolutive. Le
déterminisme génétique pouvait prétendre à un individu entièrement déterminé
par ses gènes (car programmé par un créateur, « le Dieu ADN »), sur
le modèle instructiviste d’Aristote et ses disciples contemporains, défenseurs
du tout génétique. L’épigenèse devrait ainsi permettre de sortir de
l’alternative entre l’inné et l’acquis vers l’aléatoire et la sélection. Le
monde de l’épigenèse est la réfutation de toute puissance du « Dieu
ADN », car c’est un monde traversé par l’improbable et le hasard des
histoires individuelles. Le déterminisme biologique en général ne peut rendre
compte de l’hypervariabilité des anticorps dans l`immunité, des synapses dans
le cerveau et des différences entre individus (quand on sait qu’ils ont 99.99 %
de gènes semblables).
Ce
serait une grave erreur de croire que l’épigenèse devrait dès lors remplacer le
déterminisme biologique et, sous prétexte qu’il y a une limite aux
prédispositions génétiques, renoncer à explorer le génome humain. Pourtant ce
serait une autre erreur de croire que cette épigenèse est purement subjective
et pourrait être dépassée par une plus profonde connaissance du déterminisme
génétique. La part d’imprévisible dans l’épigenèse nous oblige à passer d’une
logique de programmation dirigiste et fataliste à une logique d’interaction
avec l’environnement, une logique qui donne place au hasard et à
l’auto-organisation.
Est-ce que le « tout génétique »
détermine tout seul notre identité biologique ?
Source: Le système éducatif au banc des accusés ! « Les professeurs
ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas », Mohamed Kochkar,
2014, pp. 85-89 (Pour ceux ou celles qui souhaitent bénéficier d’une copie
électronique, il suffit d’envoyer son mail).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire