samedi 16 juillet 2022

Le système éducatif au banc des accusés !

 

 

 

 

 

Le système éducatif au banc des accusés !

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Citoyen du Monde Dr Mohamed Kochkar

 

 

 

Le système éducatif au banc des accusés !

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 


« La science est réductrice de la diversité »


Edgar Morin : « Le temps est venu de changer de civilisation (…) et de réhumaniser l`humanité (…) Jean Jaurès conciliait patriotisme et internationalisme. Aujourd'hui il faut associer ces deux termes qui sont antagonistes pour la pensée non complexe : patriotisme et cosmopolitisme signifiant "citoyen du monde" ».

 

L`auteur : Chacun de nos problèmes est un phénomène complexe. Les causes nationales et les causes internationales de nos maux sont tellement imbriquées les unes dans les autres et en perpétuelle interaction qu’il m’est impossible de les séparer : C’est pourquoi  je suis devenu citoyen du monde, 100% patriotique et 100% cosmopolite.

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je dédie mon premier ouvrage scientifique à Pierre Clément, mon meilleur professeur et ancien directeur de thèse.

Je remercie mes amis, Dr. Alaya Alaya, Dr. Noureddine Layali et Yahya Khalifa pour m`avoir aidé à corriger certaines imperfections dans ce document.


 

 

 

 

 

 

« Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être bien adapté à une société malade. »

                                 Jiddu Krishnamurti (2010)

 

 

 

 

 

 

 


Table des matières

 

Préface 1……………………………………………………… …………………..13

Préface 2……………………………………………………………………………15

Première partie : Didactique des disciplines………………………………..17                                                      

Introduction: Tout un système éducatif au banc des accusés ! Chiraz Kefi…………………………………………………………………………….…….18         

Apprentissage et constructivisme?...........................................................23

Apprendre des connaissances ou des valeurs ?………………………………34                                                    

« Les professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas »…………………………………………………………………………………44

La simplification des concepts scientifiques pourrait induire l’élève en erreur………………………………………………………………………………..47

L’erreur de l’élève pourrait être utile pour l’enseignant et l’apprenant………………………………………………………………………….53                       

La fraude dans les examens scolaires : l’élève n’est pas le seul responsable…………………………………………………………………………59         

 

 

Seconde partie : Epistémologie de la biologie………………..……………63

Introduction : Science et idéologie : exemples en didactique et en épistémologie de la biologie. Pierre Clément ………………………..…………65

Partie 2. 1 : Polémique autour des deux paradigmes: l`épigenèse cérébrale et le tout génétique ……………………………………………….…75

L’«épigenèse cérébrale » complète le « tout génétique »!.............................76                                       

La « plasticité cérébrale » ouvre de larges applications thérapeutiques……..81                   

Le paradigme du « tout génétique », résiste-t-il contre le paradigme de l’«épigenèse» ?...............................................................................................85

Notre identité biologique, est-elle déterminée seulement par nos gènes?.....90

Auto-organisation et émergence : Nos comportements, sont-ils acquis ou héréditaires......................................................................................................96

Partie 2.2 : La fin de la dominance du paradigme du « tout génétique »……………………………………………………………………….102      

Critiques récentes du déterminisme génétique……………………………….103                                                       

« Elmektoub » dans L’ADN, un programme ou non ?..............................105                                               

L’intelligence, est-elle héréditaire ou acquise ?.......................................109                                                         

L’agressivité, est-elle héréditaire ou acquise ?........................................115                                                       

Peut-on cloner l’Homme ?.....................................................................119

Peut-on éviter certaines maladies héréditaires ?.....................................123                                                   

Partie 2.3 : Polémique autour du cerveau……………………………...129                                                        

Evolution des connaissances sur le cerveau………………………………..130

Le cerveau de la femme n’est ni inférieur ni identique à celui de l’homme………………………………………………………………………… 137

Le cerveau humain: est-il un tout ou la somme des parties ?....................141                                   

Critiques récentes du modèle  ordinateur du cerveau………………………..143

Perspectives………………………………………………………………………146                                           

Références bibliographiques…………………………………………………….147                                                          

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

               

Préface 1

 

Pierre Clément, Docteur en didactique de la biologie, Professeur de didactique de la biologie à l`Université Claude Bernard Lyon 1(octobre 2014)

 

Quand j’ai rencontré pour la première fois Mohamed Kochkar, en 1998 à l’ISEFC de Tunis où j’allais faire des cours de Didactique de la Biologie à la première promotion du DEA de Didactique, il n’avait jamais entendu parler de l’épigenèse cérébrale, c’est à dire de la façon dont nos neurones cérébraux se configurent en fonction de notre histoire propre. Il découvrait alors que tout cerveau humain est a priori capable de tout, d’apprendre n’importe quelle langue par exemple, et que ses performances s’acquièrent en fonction de ce qu’il apprend à maitriser : langage, concepts, gestes, procédures … Changeux avait popularisé l’épigenèse cérébrale dans son best-seller « L’homme neuronal » (1983). Je faisais largement référence à ce concept dans mon cours, ainsi qu’à d’autres concepts qui montrent que ce qui est vivant s’auto-construit en fonction de ce qui l’entoure, et qu’émergent ainsi des pensées, des cellules et autres structures adaptées ou encore des espèces nouvelles, sans qu’on ait besoin de faire appel à un déterminisme simpliste de ces nouveautés qui auraient été préfigurées par un programme, qu'il soit génétique ou autre.

Mohamed Kochkar a été ébloui par la pertinence de ce concept d’émergence, qui encourage à lutter contre une pensée fataliste, qui permet de comprendre que chacun construit sa propre pensée et qui suggère aux enseignants de mettre leurs élèves dans le contexte le plus favorable pour qu’ils apprennent par eux-mêmes, pas en récitant par cœur sans comprendre, mais en s’appropriant des connaissances et valeurs qui leur permettront de résoudre nombre de leurs problèmes individuels et sociaux. J’ai eu ensuite le plaisir d’encadrer le travail de thèse de Mohamed Kochkar, focalisé sur l’enseignement, à des lycéens tunisiens, de ces nouveaux concepts de la biologie, et en particulier de l’épigenèse cérébrale. Et quand il m’a invité chez lui, j’ai eu l’immense surprise de voir, sur le trottoir devant sa villa à Hammam Chott, le mot EPIGENESE gravé en lettres de près d’un mètre chacune ! Je ne suis pas sûr que les passants qui marchent sur ces lettres en comprennent le sens avant qu’il ne le leur ait expliqué. Mais je sais qu’il aime l’expliquer. Il aime enseigner. Il aime éduquer. Il a, depuis sa thèse, écrit plusieurs courts articles pour un large public. J’espère vivement que les lecteurs apprécieront la conviction, voire la fougue de Mohamed Kochkar quand il souhaite éduquer en partageant ces connaissances et ces valeurs.


 

Préface 2

 

Lassaad Mouelhi, Docteur en didactique de la biologie, Maitre de conférences à l`Université de Tunis (novembre 2014)

 

J’ai eu l’honneur d’accompagner mon cher ami Mohamed Kochkar pendant nos études de 3ème cycle universitaire en didactique de la Biologie à l’Institut Supérieur de l’Education et de la Formation Continue de Tunis (ISEFC) et à l’Université Claude Bernard Lyon 1 en France (à partir de décembre 1999). La didactique des Sciences de la vie et de la terre, que mon ami l’a toujours considérée comme l’épistémologie de l’enseignement, nous a permis de découvrir le monde de la recherche scientifique. Nos deux thèses de doctorat en didactique des disciplines, encadrées par notre professeur Pierre Clément, ont porté essentiellement sur l’enseignement-apprentissage de deux concepts relativement récents en neurobiologie à savoir l’épigenèse et la plasticité cérébrales. Ils ont fait l’objet de discussions quotidiennes de Mr Mohamed à la cafétéria de Hammam-Chatt où il habite ou dans les espaces de l’université Claude Bernard à Lyon 1 pendant les stages estivaux. Ces débats  sur l’épigenèse et la plasticité cérébrales sont assimilés pour Mr Kochkar à des analgésiques lorsqu’il souffre de maux de tête. Notre ami, ébloui par le concept de l’épigenèse, a pu dépasser les problèmes de santé dont il a longtemps souffert pour que nous puissions soutenir ensemble nos deux thèses le 16 février 2007.

J’ai vécu avec mon ami Mohamed la plupart des moments de la rédaction des contenus de ce livre qui constitue en grande partie sa thèse. Je vous encourage à lire cet ouvrage car vous allez trouver beaucoup de plaisir en apprenant des connaissances qui pourraient vous aider à changer vos conceptions sur les déterminismes biologiques du cerveau humain.

 

 


 

 

 

 

 

 

Première partie : Didactique des disciplines


 

 

Introduction

 

Tout un système au banc des accusés ! Chiraz Kefi (Rédactrice Web/Journaliste 9.07.2014)

 

L'éducation est un grand dossier qui attend de sérieuses et profondes réformes, remises toujours à plus tard, aux prochaines élections, ou au prochain gouvernement. Personne n'en prend la responsabilité immédiate pour cause de complexité, tandis que cette réforme devient de plus en plus nécessaire, voire indispensable. Le niveau intellectuel s'étiole, si l'on croit les parents inquiets, et les professeurs désemparés. On impute aux jeunes tous les maux de l'école.

         On dit que les jeunes ne savent plus écrire, qu'ils ne savent plus réfléchir, qu'ils ne savent plus comment obtenir de bonnes notes pour accéder à de bonnes universités, et pourtant ce n'est pas toujours de leur faute.

            C'est le sujet évoqué ce mercredi (9.07.2014), lors d'une conférence organisée par le Parti Al Joumhouri, sous le titre "L'Education en Tunisie, entre réalité et perspectives".

            Le Docteur Mohamed Kochkar, expert en sciences de l'éducation  a exposé les différentes facettes de l'éducation nationale, et surtout les facteurs qui gangrènent le système. Il aborde en premier, la question du manque de volonté d'apprendre de la part des élèves, qui selon lui représente la première problématique de l'Education nationale.

           « Quand l'élève rejoint l'école il a déjà une certaine conception des choses, or, l'enseignant se comporte avec l'élève comme  s`il était un vase vide qu'il suffirait de remplir... Par exemple quand on enseigne la théorie de l'évolution au lycée, on est face à un élève qui a une conception préalable du sujet, qui est de nature religieuse. L'enseignant est supposé interroger l'élève sur ce qu'il sait déjà, et essayer de secouer ses convictions pour le préparer à recevoir de nouvelles idées... Il ne faut pas dénigrer l'élève, car quand l'enseignant le dénigre, il dénigre à son tour l'enseignant », a-t-il dit.

            Les obstacles auxquels sont confrontés les enfants lors de l'apprentissage, sont d'ordre épistémologique, psychologique et didactique, selon Kochkar. « Par exemple, quand on dit à l'élève que la plante se nourrit de l'air, il est difficile pour lui de comprendre, car dans sa tête la plante se nourrit de la terre. Il faut pour cela, revenir vers ses idées reçues et les secouer pour les déstabiliser pour ensuite lui donner de nouvelles connaissances et lui faire atteindre un nouvel équilibre », a-t-il expliqué. 

            Mohamed Kochkar a mis le doigt sur une autre défaillance qui n'est autre que le manque de stratégie pédagogique chez les enseignants, et ce pour absence de formations spécifiques.

 

L'expert considère par ailleurs, qu'il n'existerait « aucune solution prête à l'emploi...et aucune personne habilitée à proposer un modèle de substitution à celui qui existe actuellement... Qui sommes-nous pour donner des solutions qui devraient venir de l'intérieur du système lui-même ? ? », a-t-il dit.

            D'ailleurs, il accuse le système de se faire bercer par des illusions: « Certains estiment qu'il faut revenir au système éducatif d'antan, car il serait meilleur...mais ce ne sont que des impressions erronées. On dit aussi que dans le futur, le professeur sera remplacé par un ordinateur, ce qui ne se  produirait pas. Une troisième illusion veut que l'on croie qu'il suffit qu'un enseignant donne une leçon pour que l'élève comprenne. Ce ne sont que des illusions tout cela », a-t-il lâché.

            Le plus répandu dans le système éducatif tunisien est d'inculquer les connaissances à travers un système de sanction et récompense,  tandis que Mohamed Kochkar formule l'espoir de voir se développer en Tunisie l'école du constructivisme, où l'enfant construit par lui-même ses connaissances.  « Nous avons une méthode qui s'en rapproche qui s'appelle le socio-constructivisme. L'enfant n'apprend pas seul, mais apprend en groupe et en présence d'un professeur », a-t-il expliqué.

            Il existe un autre modèle d'enseignement, où l'on crée chez l'enfant un équilibre et un déséquilibre lors du processus d'apprentissage.

            Mais il existe aussi la pédagogie de projet « qui malheureusement n'a pas pris en Tunisie... C'est quand le professeur divise la classe en groupes, et chaque groupe est tenu de préparer un projet qu'il exposera à la fin de l'année. Le professeur n'enseigne pas, mais il est là pour répondre aux interrogations des élèves lorsqu'ils se butent à des difficultés...Vous savez le problème c'est que l'enseignant pose toujours des questions et s'attend à des réponses. Mais ce n'est pas la meilleure solution pour apprendre, il faut demander aux élèves s'ils ont des questions...je peux vous assurer que j'ai assisté à une séance d'exposés de ce genre en France, on dirait des exposés d'Etudiants en DEA », a dit Kochkar.
            Un enseignant modèle est, selon lui, celui qui intervient le moins en cours, contrairement aux idées reçues. Par ailleurs, le droit à l'erreur pour l'enfant est normal et est même indispensable pour apprendre. Mais si les élèves peinent malgré tout à avoir un niveau d'éducation qui réponde au mieux aux standards internationaux, c'est souvent la faute au système éducatif, d'après Kochkar.

            L'expert évoque l'exemple des enseignants, qui sont l'expression même d'un système boiteux. Des enseignants qui, par souci de facilité, s'obstinent à inculquer du contenu biaisé aux élèves. 

          « Prenons l'exemple du système respiratoire. Nous savons que l'être humain inhale et expire de l'air par réaction à  la contraction et décontraction des muscles thoraciques. Il y a des enseignants qui apprennent à l'élève que si le poumon se gonfle c'est parce que c'est l'air qui  y entre. Une fois même un enseignant m'avait dit qu'il enseignait de la sorte depuis des décennies et qu'il n'était pas prêt à changer sa version », a relaté Kochkar. 

            Quand l'éducation va mal, tout va mal. Et la société exige que moins on est diplômé moins on dispose de chances de réussite pour l'avenir. C'est pourquoi certains élèves recourent à la fraude lors des examens.

            Cette année (2014) encore, plusieurs élèves ont été sanctionnés pour avoir fraudé lors des épreuves du baccalauréat. 

« Nous oublions toutes les procédures scientifiques pour remédier à ce problème, et nous nous en prenons à l'élève qui est le maillon le plus faible du système », déplore Kochkar. Selon lui, l'enseignant, le concepteur du programme scolaire, le directeur de l'établissement, et le ministre de l'Education nationale sont les premiers responsables de la fraude, «  Ce sont eux qui devraient être sanctionnés et traduits devant le conseil de discipline », a-t-il dit.

Quelles sont les théories d`apprentissage appropriées qui pourraient améliorer notre système éducatif tunisien ?

Apprentissage et constructivisme?

 

« Donnez à l`enfant le désir d`apprendre et toute méthode sera bonne. » Jean-Jacques Rousseau (l`Émile, 1792)

 

Ruel (1994, p. 38-39) articule sa réflexion sur le constructivisme autour de deux postulats :

 - le savoir n’est pas transmissible passivement, il est construit activement par le sujet.

- la cognition est une fonction adaptative, elle sert à l’organisation du monde de l’expérience plutôt qu’à la découverte d’une réalité ontologique.

 

Notre étude dans cet ouvrage s’inscrit dans le modèle socio-constructiviste et interactif (SCI) de construction des connaissances (Jonnaert, 2002), un véritable « paradigme épistémologique » qui guide nos recherches en général selon trois dimensions: 

- La dimension constructiviste, en référence à Piaget, valorise l’appropriation active et réflexive du savoir par l’apprenant.

- La dimension « socio », en référence à Vygotsky et aux néopiagétiens, met en évidence la nécessité d’une interaction sociale avec les pairs et les adultes.

- La dimension interactive consiste à mettre le sujet en interaction avec l’objet à apprendre ou à mettre les connaissances préalables (les connaissances antérieures, le déjà-là, les conceptions) de l’apprenant en interaction avec le « savoir-objet-d’enseignement » (c'est-à-dire le savoir codifié dans les apprentissages scolaires). Le sujet ne construit de nouvelles connaissances, ou modifie d’anciennes connaissances, que s’il vit en « interaction » avec son milieu physique et social. Cette dimension ne peut se réaliser que dans une situation-problème d’enseignement/apprentissage.

          Ces trois dimensions fonctionnent en s’articulant sans cesse les unes aux autres, mais, en plus, chacune alimente toujours les deux autres.

 


1. Le constructivisme

La théorie de Piaget a mis l’accent sur le rôle des structures cognitives que le sujet construit à partir de ses propres actions. Tout savoir est une construction du sujet en réponse aux sollicitations de l'environnement (Piaget, 1992). Piaget plaide pour une acquisition des connaissances par l'expérience, directe ou indirecte, plutôt que par la transmission. Piaget insiste sur une conception de l’enseignement qui se résume essentiellement, non pas à transmettre des connaissances mais à faciliter le processus de construction des connaissances que seul chaque enfant individuellement peut faire grâce à son action sur les objets et à ses interactions avec son milieu.

Le moyen utilisé est de faire surgir des conflits cognitifs internes dans la tête des élèves : ce que chacun croyait savoir ou savoir faire est bousculé et remis en question.

Les constructivistes pensent que ces conflits sont les moteurs mêmes de l`apprentissage. Le modèle constructiviste repose sur une conception selon laquelle l'apprentissage est une démarche active de construction des connaissances, démarche engagée par l'apprenant et non une réception passive de savoirs pré-construits par les éducateurs (Cresas, 1991). Ce modèle est caractérisé par la place centrale qu'occupe l'apprenant dans la construction de son savoir : «l’élève construit son savoir à partir d’une investigation du réel, ce réel comprenant aussi les pratiques sociales de référence?  […]. Il se l’approprie de manière non linéaire, par différentiations, généralisations, ruptures… », (Astolfi et al, 1997, p 56). Cette interaction avec l'environnement met en jeu des processus intellectuels qui favorisent le changement conceptuel. En effet, ces processus permettent d'appréhender de nouveaux aspects de la réalité, soit en les intégrant aux schèmes conceptuels existants (assimilation), soit en créant de nouveaux schèmes pour les intégrer (accommodation). Le déséquilibre entraîné par la nécessité d'une réorganisation des schèmes de connaissances se rétablit grâce à un retour à l'équilibre ou équilibration (Piaget, 1972).



2. Constructivisme et nativisme

Le constructivisme postule que le sujet construit progressivement sa représentation du réel au travers de son action sur l’environnement.

           Le nativisme envisage le développement comme la révélation progressive de formes innées, où l’environnement certes intervient, mais davantage comme matériau épigénétique que comme terme d’une interaction. Les nativistes eux-mêmes, et en premier lieu N. Chomsky, admettent que le langage se constitue à partir d’un « noyau fixe » (une « compétence intrinsèque » spécifiant les grammaires accessibles à l’enfant humain) inné apportant le cadre des opérations logiques nécessaires à l’apprentissage du langage, mais que, par la suite, le milieu intervient pour compléter le processus. Le nativisme conduit donc à la notion d’une prédétermination des performances effectivement accessibles aux individus d’une espèce, parmi la multitude des performances possibles (Jeannerod, 1983). Dans la perspective constructiviste, les stades de développement sont au contraire d’authentiques « constructions » ouvrant chaque fois sur de nouvelles possibilités (Jeannerod, 1983).


3. Le néoconstructivisme

3.1. Le conflit socio-cognitif (CSC)

Elèves de Piaget, Perret-Clermont (1980) ainsi que Doise et Mugny (1981) tentent, sans renier les principes de base du constructivisme, de dépasser le réductionnisme individualiste du modèle piagétien en proposant le concept du CSC comme moteur de développement et d’apprentissage. Pour eux, le concept piagétien de conflit cognitif interne à un sujet (les schèmes existants chez celui-ci rentrent en conflit avec le milieu ; des schèmes alternatifs rentrent en compétition) est insuffisant, car tout apprentissage est social. La théorie du CSC repose sur l’idée que l’effet structurant du conflit cognitif s’accroît s’il s’accompagne d’un conflit social : des apprenants mis en présence et confrontés à une même tâche seront amenés à développer des actions et des verbalisations qui vont entrer en conflit car reposant sur des schèmes cognitifs quelque peu différents ; cette confrontation offre aux sujets en présence plus de chances de mettre en place des processus d’accommodation des structures de connaissances initiales et d’améliorer les processus d’équilibration (Xavier & De Ketele, 1999). La théorie de Piaget n’est donc pas remise en cause dans sa nature, mais dans les mécanismes de sa genèse. Le constructivisme de Piaget suppose lui aussi des conflits, donc des déséquilibres, puis des équilibrations. Mais ceci est du domaine de l’action du sujet (effective, ou intériorisée) et ne suppose pas essentiellement la présence et la confrontation avec un « alter ».

Pour que le CSC soit pertinent, il  faudrait qu’il remplisse trois conditions:

- la présence explicite de plusieurs points de vue.

- une situation où le CSC est clair et non fuyant.

- ne pas confondre un effectif CSC avec une situation où l’acquiescement d’un des protagonistes peut être de simple complaisance ou de soumission. Le CSC confirme le rôle décisif et positif de la coopération d’égal à égal entre pairs et infirme les rapports d’autorité. 

Exemple d’un CSC en classe de biologie

Un apprenant postule que le cerveau de l’homme est plus grand que celui de la femme. Un autre réplique que la taille du cerveau est proportionnelle au poids du corps. Les deux vont confronter leurs points de vue. Chacun va présenter ses arguments, ce qui crée un conflit entre les deux en plus de l’interaction. Chacun des deux élèves ou même un troisième va prendre conscience des réponses autres que les siennes. La différence entre les deux points de vue devient explicite. Ce conflit pourrait conduire les élèves à un changement conceptuel car ils vont écouter les deux thèses et ne retenir que celle qui est plus convaincante. Donc c’est le conflit qui est à la base d’un changement conceptuel, et non la simple interaction entre deux élèves, qui peut se produire sans conflit.

 

3.2. Le débat socio-cognitif (DSC)

Le DSC est une approche critique du conflit socio-cognitif (CSC). L’argumentation en faveur du CSC est de nature psychologique. Par contre l’argumentation en faveur du DSC est de nature épistémologique.
Le débat socio-cognitif constitue une alternative heureuse aux conflits socio-cognitifs (Doise et Mugny, 1981), qui sont bien souvent en pratique plus «sociaux» que cognitifs et qui, en permettant l’affaiblissement mutuel des élèves, perpétuent la violence (Favre, 1996). Le DSC permet aux élèves d’apprendre dans la solidarité et non dans la rivalité, dans la curiosité et non dans la passivité, dans la joie et non dans l’ennui (Develay, 1994).

            Stavy (1980) se demande si des stratégies de conflit ne risquent pas de faire perdre aux élèves leur confiance en eux et même régresser d’une conception correcte à une « misconception ». Dans son approche analogique de l’enseignement, elle affirme que si les élèves n’ont pas pris conscience de l’existence du conflit et du processus d’apprentissage, l’apprentissage a eu lieu sans que les élèves en soient conscients. Du point de vue de l’élève, il n’y a aucune  « misconception » et aucun apprentissage n’a lieu. Les élèves brillants réagissent au conflit avec enthousiasme et apprécient "l’effet de surprise" de la méthode et de la confrontation avec des problèmes nouveaux. Par contre, des élèves en difficulté semblent développer des images dévalorisantes d’eux-mêmes, une attitude négative par rapport à l’école et aux travaux qu’on leur propose et une forte dose d’anxiété. Par conséquent, ils essayent d’éviter le conflit et sont plus systématiquement enclins à reculer face au problème auquel ils étaient confrontés qui ne représente pour eux qu’un nouvel échec. Stavy explique que l’enseignement par le conflit peut entraîner une perte de confiance chez les élèves en difficulté et même une régression. C’est pourquoi dans nos recherches, on a adopté le DSC à la place du CSC sachant qu’«une réforme du système éducatif n’est un enjeu majeur que si elle profite, en priorité, aux élèves qui ne réussissent pas à l’école » (Perrenoud, 1997). 


4. La zone proximale de développement (ZPD)

Pour progresser, l’enfant doit en effet apprendre dans une zone de développement légèrement supérieure à ce que lui permettent objectivement ses capacités mentales et cognitives (c’est-à-dire son développement mental ou QI actuel). Vygotsky critique la théorie maturationniste de Piaget, pour qui l’apprentissage ne peut avoir lieu que s’il advient suite à la maturation des capacités mentales de l’enfant. « Le seul bon enseignement est celui qui précède le développement […] Enseigner à l’enfant ce qu’il n’est pas capable d’apprendre, est aussi stérile que lui enseigner ce qu’il sait déjà faire tout seul » (Vygotsky, 1985).

L’élève construit ses nouvelles connaissances dans l’interaction avec les autres élèves. L’enseignant le place dans un cheminement qui lui permettra de passer de la dépendance à l’autonomie par rapport à ses anciennes connaissances.

Vygotsky a accordé un rôle prépondérant aux interactions sociales et à l’intériorisation des instruments de pensée véhiculés par la culture.

Tout apprentissage résulte d'interactions sociales et dépend de la culture dans laquelle un individu se développe (Vygotsky, 1985). « Là où le milieu ne suscite pas les tâches voulues, ne présente pas d'exigences nouvelles, n'encourage ni ne stimule à l'aide de buts nouveaux le développement intellectuel, la pensée de l'adolescent ne cultive pas toutes les possibilités qu'elle recèle réellement » (Vygotsky, 1985).

 
5. Le constructivisme et l’enseignant

Vygotsky a réhabilité le rôle de l’enseignant. Concrètement, l'enseignant devient celui qui soumet aux élèves un problème à résoudre, fait émerger leurs conceptions et les aide à les confronter pour arriver à une nouvelle conception plus "efficace" que les précédentes, plus mobilisable et plus durable diront les didacticiens, pour expliquer le réel ou résoudre le problème. Mal comprise, cette démarche de l’enseignant peut devenir tout autre et atteindre des résultats diamétralement opposés à l'esprit du constructivisme. En effet, tout dépend de la façon dont on traite les conceptions initiales des élèves ou des enseignants. Souvent, lorsque l'élève est invité à formuler ses propres questions de recherche ou ses propres explications d'un phénomène, cette sollicitation a pour objectif de transformer celles-ci selon les conceptions scientifiques établies. En caricaturant, cela se passe ainsi : 

L’enseignant s’adresse à ses élèves et leur pose la question « pertinente » suivante: "Que savez-vous de l'épigenèse et de la plasticité cérébrale ? Et sans attendre leurs réponses diverses, il enchaîne: « Maintenant, je vais vous dire ce que c'est, en fait...". (Sous-entendu : "vous n'y êtes pas du tout").

L'enseignant détient alors une vérité cachée, une "bonne réponse", le "savoir savant". 

 

6. La psychologie cognitive

Une théorie contemporaine de l’apprentissage - encore à construire - devrait intégrer non seulement ces différents fondements, maintenant bien connus, mais aussi quelques-uns des facteurs mis en évidence ultérieurement par la psychologie cognitive. Cet exposé est centré sur certains d’entre eux : ceux qui contraignent les apprentissages et font que, parfois, la capacité d’un individu à réaliser une tâche ne s’améliore pas avec l’exercice autant que le souhaiterait le didacticien. Une meilleure connaissance de ces contraintes devrait permettre de mieux les contourner.

En jonglant avec ces théories d`apprentissage selon la situation didactique et le niveau de l`apprenant, faut-il apprendre à nos élèves des connaissances ou des valeurs ?


Apprendre des connaissances ou des valeurs ?

« Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple. S'il ne l'est pas aujourd'hui, il le sera demain. », Jules Simon (L`École, 1877)

 

Apprendre des connaissances ou des valeurs ? Cette question ancienne datant de l’antiquité a été débattue par Socrate et Protagoras (Atlan et Bousquet, 1994, p 12-13). Elle n’a pas encore trouvé de réponse puisque nous la posons encore dans notre présent ouvrage en 2014. Nous la posons parce qu’elle est au cœur de notre approche schématisée par les trois pôles du triangle KVP (K= connaissances, V = valeurs et P = pratiques sociales).

Nous allons analyser cette question en commençant par l’enseignant. Il entre en classe avec des connaissances à partager avec les apprenants mais il ne peut pas les dissocier de ses propres valeurs car les deux sont en interaction permanente comme le dit Atlan : « Les propos des scientifiques eux-mêmes sont dictés au moins autant par leurs valeurs subjectives que par leur savoir objectif » (Atlan & Bousquet, 1994, p 82).


Les valeurs et les connaissances sont interdépendantes

Dans son dialogue avec Bousquet, Atlan fait référence aux philosophes de l’antiquité. Atlan : « Protagoras, dans le débat qui l’oppose à Socrate sur le thème : comment enseigner la vertu ? Pour Socrate, il suffit d’enseigner les sciences : la connaissance de la vérité débouche automatiquement sur celle du bien. Pour Protagoras, il faut enseigner la poésie épique : le bien n’est pas un théorème géométrique ou une loi physique, c’est l’identification à un héros. On s’est moqué de Protagoras, mais aujourd’hui que se passe-t-il ? La télévision enseigne l’éthique en diffusant des images, qui déclenchent l’indignation ou l’admiration. Donc Protagoras a raison sur toute la ligne ».

Bousquet : « Vous le regrettez ? »

Atlan : « Oui et non. Je ne le regrette pas, si le regret impliquait de tenter encore une fois de réhabiliter la position que défend Socrate dans ce dialogue, car cette position est illusoire. Mais oui, je regrette que l’enseignement de masse de l’éthique par les medias se limite à une morale de l’indignation. » (Atlan & Bousquet, 1994, p. 12-13).

 

Dans cet ouvrage, les conceptions sont présentées en tant qu’interaction entre les trois pôles (KVP : K (connaissances), V (valeurs) et P (pratiques sociales des enseignants et des apprenants) d’après le modèle proposé par Clément (1998, 2004).

 K : Knowledge, connaissances scientifiques de l’enseignant ou de l’apprenant provenant de son cursus scolaire et ses autres apprentissages, à partir des manuels scolaires, des revues spécialisées, ou de toute autre source. Mais les connaissances de chacun sont à la fois assez proches, dans leur contenu, de ces connaissances spécialisées, tout en s’en différenciant fortement (Clément, 2004).

V : Valeurs de l’enseignant ou de l’apprenant, ses opinions, son idéologie et ses croyances.

P : Pratiques personnelles et/ou sociales de l’enseignant (ses pratiques de citoyen hors de l’école et ses pratiques professionnelles dans l’école dont ses pratiques pédagogiques dans la classe) ou de l’apprenant (rapports avec les autres élèves, la classe, l’école, la famille et les pratiques pédagogiques de l’enseignant).

 

Les conceptions des apprenants interagissent avec celles des enseignants dans une situation didactique et font émerger des nouvelles conceptions, espérons qu’elles seront des conceptions scientifiques.

Clément P. (2004) explique cette interaction : « d’une part, c’est l’usage de mes connaissances (pôle K) qui me permet d’en assimiler, retenir, refaçonner tout ce qui est utile à mes pratiques  professionnelles, personnelles et/ou sociales (pôle P). D’autre part, l’attention que chacun porte à des connaissances, l’importance qu’il leur donne, dépend souvent de l’interaction entre ces connaissances et ses propres systèmes de valeurs (pôle V). Le concept de "conception" est l’un des concepts importants de la didactique, mais comme le remarquent Giordan et Girault (1994) : « Des recherches spécifiques sur l’utilisation des conceptions en situation d’apprentissage sont donc à promouvoir. Elles apparaissent même comme une étape indispensable, faute de quoi le concept de "conception" risque de rester "lettre morte" ».

Les conceptions scientifiques et les conceptions spontanées ne sont pas interchangeables : elles ne répondent pas aux mêmes questions et ne poursuivent pas les mêmes finalités. Avec le temps, les conceptions spontanées reprennent leur place dans la vie courante puisqu’elles fonctionnent et sont efficaces et mobilisables facilement (Larochelle et Desautels, 1992).

         Certaines conceptions ne cèdent pas facilement et peuvent former des obstacles aux apprentissages des connaissances scientifiques, c’est ce que nous allons voir dans le paragraphe suivant.

 

Les conceptions non scientifiques ne cèdent pas facilement

Je pars de l’enquête effectuée par Pierre Clément, professeur à l’université Claude Bernard-Lyon 1, sur un échantillon de 98 étudiants français en 1ère année médecine.

La question posée : « vous avez très soif. Vous buvez un litre d’eau. Peu de temps après, vous allez avoir envie d’aller uriner. Dessinez (juste un schéma annoté) le trajet, dans votre corps, du litre d’eau que vous venez de boire, entre le moment où vous l’avez bu et le moment où vous allez uriner ».

 

Résultats de l’enquête 

1ère conception : 55 % de personnes interrogées ont dessiné un tuyau continu des intestins jusqu’à la vessie, l’eau y entre par la bouche et sort par l’orifice urinaire. Cette conception  est non scientifique car le tube digestif est complètement séparé des tubes urinaires et c’est le sang qui fait la liaison entre eux.

2ème conception : 6 % de personnes interrogées ont dessiné deux tuyaux séparés sans liaison sanguine entre eux. L’eau entre dans le premier par la bouche et sort par l’anus en passant par les intestins. Dans le deuxième, l’eau sort par l’orifice urinaire. Cette conception  est non scientifique  aussi.

3ème conception : 39 % de personnes interrogées ont dessiné trois tuyaux reliés par des flèches, le premier représente les intestins, le deuxième les vaisseaux sanguins et le troisième les conduits urinaires. Ce dessin illustre que les personnes interrogées entendent que ce qui est bu passe dans tout le corps à travers le sang.

 

Clément tire de l’enquête la conclusion suivante

Bien que les étudiants aient étudié, en primaire, secondaire et supérieur,  les contenus scientifiques nécessaires pour adopter la 3ème conception, on constate que la 1ère conception demeure dans les esprits de plus de la moitié d’entre eux.

Clément a cherché à comprendre les causes de ces conceptions non scientifiques et il est arrivé à l’idée suivante :

Les conceptions résultent de l’interaction entre trois éléments

1er élément : les connaissances scientifiques publiées dans les revues spécialisées ou dans les livres ou celles que l’élève a apprises à l’école.

2ème élément : les valeurs que l’élève adopte à propos de ce sujet.

3ème élément : le milieu dans lequel vit l’élève, ses pratiques personnelles et les pratiques sociales dans son environnement.

On passe maintenant à la réalité tunisienne pour donner quelques exemples de ces conceptions non scientifiques. Elles sont  ancrées dans les esprits des élèves bien que les contenus scientifiques, nécessaires à leur réfutation, soient enseignés à tous les niveaux :

1er exemple : les causes des mouvements respiratoires chez l’homme : l’élève arrive au collège tout en étant  convaincu que l’air entre dans les poumons et les gonfle donc le thorax se lève. Le contraire est vrai : les muscles intercostaux et le muscle du diaphragme se contractent et tirent les poumons attachés donc le volume de la cage thoracique augmente, crée un vide et l’air entre. On constate que l’entrée de l’air est une conséquence et non une cause des mouvements respiratoires. Les élèves se défendent en disant que l’instituteur ne leur a pas enseigné les connaissances  correctes. Ces derniers ne disent pas la vérité par oubli car malgré la correction faite au collège, certains d’entre eux conservent cette conception non scientifique et la remobilisent au secondaire et au supérieur.

2ème exemple : la respiration chez les plantes vertes : l’élève arrive au collège tout en étant convaincu que la plante respire  différemment de l’homme, c'est-à-dire qu’elle absorbe le dioxyde de carbone et dégage l’oxygène.  Le contraire est vrai : pendant la respiration qui se fait jour et nuit, la plante prend l’oxygène et dégage le dioxyde de carbone. Cette conception non scientifique chez l’élève pourrait être causée par la confusion entre deux  fonctions, la respiration et la photosynthèse, qui se font en même temps à la lumière. Pendant la photosynthèse qui n’a lieu qu’en présence de lumière, la plante prend le dioxyde de carbone pour en fabriquer les matières organiques comme l’amidon, le sucre, les lipides et les protides puis dégage l’oxygène.

3ème exemple : l’élève arrive au collège tout en étant convaincu que le dioxyde de carbone est composé de gaz toxiques et nuisibles à la santé de tous les êtres vivants. Il ne le considère pas comme matière de même nature que les corps solides et liquides. Cette conception non scientifique ne facilite pas la tache du professeur qui est appelé à convaincre les élèves que :

- le gaz est une substance nutritive pour les plantes vertes.

- à partir de ce gaz, l’olivier fabrique l’huile et la betterave à sucre fabrique le sucre.

- sans dioxyde de carbone, les végétaux verts producteurs de matière organique et les animaux consommateurs meurent de faim et la vie disparaîtra sur terre.

4ème exemple : le poids du cerveau chez l’homme et la femme : il s’agit de la  dominante conviction non scientifique- postulant que l’homme est plus intelligent que la femme car  son cerveau est plus grand - et des valeurs qui en découlent. Ces valeurs qui avilissent la femme  et élèvent l’homme bien que les connaissances exactes (Le poids du cerveau n’a aucun rapport avec l’intelligence, car  il varie en fonction du poids du corps)    soient enseignées en classes terminales.

5ème exemple : la majorité des gens croient que l’inné est déterminant dans le développement physique et mental du corps et négligent ou minimisent le rôle de l’acquis. Il faut savoir que c’est impossible de séparer l’inné de l’acquis car ils sont en interaction permanente.

 

Conclusion

Les conceptions non scientifiques qui sont ancrées dans l’esprit de l’élève, du professeur et autres, forment un système intellectuel cohérent qui a prouvé son efficacité pendant des années. Donc, on ne peut pas les changer par la simple transmission de connaissances à l’élève. Ce dernier arrive en classe, armé d’idées et d’opinions résultant de l’interaction avec son environnement physique et social. Il est influencé par ce qu’il entend et ce qu’il lit et en même temps il influe sur ses pairs. En outre, on conclut que l’élève n’est ni une page blanche dans laquelle on écrit ce qu’on veut, ni un vase vide qu’on remplit avec ce qu’on désire mais il est  une personne capable d’évoluer.

Il est de notre devoir de ne pas négliger les conceptions de l’élève dans chaque acte de l’éducation  pour ne pas être comme ceux qui bâtissent sur du sable mouvant. Je vous propose un point de vue de traitement des conceptions non scientifiques selon une méthode didactique : avant d’étudier n’importe quel sujet, on collecte les conceptions des élèves sur ce sujet et on les analyse pour identifier les obstacles qui empêchent l’acquisition de connaissances. Le dépassement de ces obstacles formera l’objectif de la leçon tout en sachant que l’apport de connaissances exactes ne suffit pas, à lui seul, pour changer les conceptions non scientifiques chez l’élève. Ces dernières peuvent resurgir et ne cèdent pas facilement bien que nous ayons impertinemment cru qu’elles avaient été dépassées. 

 

J’invite mes collègues à réfléchir sur la métaphore de Jonnaert « les obstacles  à l’apprentissage ressemblent à l’iceberg ». La partie cachée est plus importante car les erreurs explicites qui viennent de la mémoire à court terme et qui  nous semblent simples, peuvent nous éloigner du  traitement des obstacles qui forment un système intellectuel profond. Un tel  système soigneusement caché dans la mémoire à long terme  constitue le support des conceptions non scientifiques que nous avons sculpté dans le cerveau de l’élève.

 

Est-ce que nos enseignants tunisiens connaissent les conceptions non scientifiques de leurs élèves avant de commencer leur cours et est-ce qu`ils comprennent que leurs élèves ne comprennent pas ?


« Les professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas ! »

 

« Les professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas. » G. Bachelard (1989)

« Une réforme du système éducatif n’est un enjeu majeur que si elle profite, en priorité, aux élèves qui ne réussissent pas à l’école. » P. Perrenoud (1997)

 

Les réformes éducatives sont faites en général pour aider les élèves en difficulté et non pour favoriser les meilleurs. Paradoxalement, notre dernière réforme (restaurer l`examen « la sixième » et supprimer progressivement les 25% de rachat au bac) a ajouté des difficultés aux élèves en difficulté. On peut embellir un bâtiment en voie de démolition par des retouches  mais on ne peut pas l`empêcher de tomber et gare à ceux qui leur tombera sur la tête! Le système éducatif n`est pas une piste de course il suffit de hausser la barre et que le meilleur gagne. Nous, les enseignants, nous voudrions que tous nos élèves gagnent, les faibles avant les excellents. A mon avis, il vaut mieux ne pas construire sur du sable mouvant, au contraire il faut construire sur une base fondamentale solide, c`est pourquoi on a changé l`appellation « école primaire » en « école de base ou fondamentale ».

Dans Le système éducatif tunisien, les élèves ne sont que des passagers, 6 ans en primaire, 3 au collège, 4 au lycée et au supérieur 3  ou plus, tandis que les enseignants passent 40 ans de leur vie dans le même poste donc ce sont des résidents presque à vie. Donc, un réformateur scientifique averti et sérieux devrait commencer par former le formateur lui-même (l`instit, le prof du lycée et le prof universitaire). Comment ? Un formateur (l`enseignant) doit être obligatoirement formé avant de lui livrer un permis d`enseignement valable à vie. Est-ce que nos enseignants sont formés pour enseigner ? Malheureusement ma réponse est plutôt négative. Pourquoi ? Bien sur, ils ont obtenu les diplômes nécessaires, chacun dans sa spécialité, mais, est-ce que c`est suffisant pour enseigner ? Non il faudrait savoir maitriser d`autres compétences scientifiques et technologiques pour pouvoir réussir son cours.

Quels sont ces compétences nécessaires pour que l`enseignant puisse transférer son savoir à ses élèves ?

Je pense que chaque enseignant tunisien devrait passer par un institut universitaire de formation des maitres (IUFM) il bénéficiera d`une formation académique en pédagogie, didactique, épistémologie, histoire des sciences, psychologie de l`enfant, sciences de l`évaluation et TICE (technologies de l`information et de la communication pour l`enseignement). Sans pour autant négliger l`infrastructure ni non plus se focaliser là-dessus. Qu`est-ce qu`elle a donné la fameuse infrastructure aux pays du Golfe ? Je pense que le mal réside dans la superstructure, c. à. d. la formation des formateurs doit être suivie de la formation « constructiviste » (Piaget &Vygotsky) de l`élève (selon le célèbre proverbe chinois : « ne me donne pas un poisson, mais apprends-moi à pêcher ». En Tunisie, je n`ai pas remarqué de  différences en moyens didactiques entre les régions de la Tunisie.

 

Je finis mon discours par attirer l`attention de mes collègues et leur dire que l`élève n`est pas un rat dans un labyrinthe et l`enseignant n`est pas un chercheur en psychologie comportementale qui lui définit à l`avance une porte d`entrée et un issue de sortie, l`élève n`est ni un vase vide qu`il suffit de remplir ni une page blanche qu`il suffit de noircir.

 

Pourquoi les professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas ?

                                                                                                                                       


 

La simplification des concepts scientifiques pourrait induire l’élève en erreur.

 

Je pense qu`il y a deux approches qui divisent aujourd’hui la pensée scientifique : l’approche analytique et l’approche systémique.

Joël De Rosnay compare ces deux approches dans son livre « Le Macroscope », page 119 :

v  Approche  analytique

§  Isole et se concentre sur les éléments.

§  S’appuie sur la précision des détails.

§  Modifie une seule variable à la fois.

§  Approche efficace lorsque les interactions  sont linéaires et faibles.

§  Conduit à un enseignement par discipline (juxta-disciplinaire).

v  Approche  systémique

§  Relie et se concentre sur les interactions entre les éléments.

§  S’appuie sur la perception globale.

§  Modifie des groupes de variables simultanément.

§  Approche efficace lorsque les interactions sont non linéaires et fortes.

§  Conduit à un enseignement pluri-disciplinaire.

 

L’efficacité de l’approche analytique-causale-linéaire réside dans sa simplicité et sa mobilisation facile. Elle  rassure la personne et la met à l’aise. Elle dessine une relation linéaire directe entre la cause et l’effet, par exemple la maladie résulte des microbes (elle pourrait résulter des médicaments comme les anti-inflammatoires) et l’obésité de la suralimentation (elle pourrait résulter du manque d’exercice) et le comportement inné des gènes (par épigenèse le comportement pourrait résulter de l’interaction entre les gènes et l’environnement).

Malgré sa simplicité, cette approche a favorisé l’évolution des sciences expérimentales comme la génétique et la microbiologie. Aujourd’hui, elle devient non seulement incapable d’expliquer toute seule certains phénomènes complexes mais elle engendre des obstacles didactiques et épistémologiques à l’apprentissage. Elle réduit les phénomènes complexes à une simple relation de cause à effet. Elle  oublie ou fait semblant d’oublier la dialectique qui stipule par exemple que le cerveau influe sur le comportement et le comportement influe sur le cerveau, l`homme pollue l’environnement et l’environnement pollué nuit à la santé de l’homme, etc.

Certains enseignants de biologie adoptent seulement l’approche analytique dans l’enseignement de la génétique. Dans ce cas, l’approche analytique peut nous induire au déterminisme génétique qui postule que chaque caractère est prédéterminé par un gène. Par contre, on connaît que les êtres vivants sont complexes de nature et que leurs constituants intérieurs interagissent avec ceux de l’extérieur. Donc, est-ce que c’est possible d’enseigner les connaissances d’une façon simplifiée ? Si cette simplification est dictée par la nécessité pédagogique, on arrive au résultat contraire car la connaissance non scientifique s’ancre plus facilement que la connaissance scientifique et sa réfutation devient plus difficile a posteriori et on admet que les conceptions non scientifiques ne cèdent pas facilement.

Quand l’enseignant s’appuie sur l’approche analytique linéaire, il se trouve obligé de simplifier les réseaux complexes : prenons l’exemple de la relation gène-caractère, c’est vrai que la couleur des yeux et le groupe sanguin sont deux caractères complètement prédéterminés génétiquement. Et on sait  aussi que beaucoup de nos caractéristiques morphologiques, comme la couleur de la peau ou l’obésité ou autre, sont codées dans les gènes mais n’oublions pas le rôle de l’environnement dans le déterminisme de ces caractères : le brun pourrait devenir plus foncé ou moins foncé selon le climat, et l’obésité dépendrait du régime alimentaire.  Alors, le problème majeur vient du transfert de ce déterminisme aux capacités intellectuelles. Les faits et les comportements sociaux de l’individu seraient déterminés par des facteurs héréditaires incontrôlables par l’individu lui-même comme le préconisent certains savants héréditaristes en essayant de nous convaincre qu’ils ont découvert les gènes de l’alcoolisme, de l’homosexualité, de l’agressivité, de l’intelligence et même de la croyance en Dieu (la revue « Sciences & Vie », août 2005, n° 1055).

Le paradigme du « tout génétique » a émergé de l’approche linéaire  et il a dominé tout seul l’histoire de la génétique pendant des dizaines d’années. Mais  le théoricien biologiste Henri Atlan a prédit son déclin dans son livre « la fin du ‘’tout génétique’’ ?  (Vers de nouveaux paradigmes en biologie » Ed. INRA, 1998).

Le danger du paradigme « tout génétique » réside dans la déification des gènes et dans l’acceptation de leurs productions. Donc l’intelligence et  la bonne santé deviennent des dons de gènes et l’agressivité, une malédiction qu’on ne peut pas repousser. Beaucoup d’opinions non scientifiques pourraient émerger de ce paradigme : l’agressivité, les maladies et l’intelligence  deviennent des caractères héréditaires non acquises de l’interaction sociale. Il me semble que ce paradigme  de la pensée scientifique est réducteur car dans son explication des caractères humains, il favorise les facteurs héréditaires aux dépens des facteurs acquis. En s’appuyant sur ce paradigme pour expliquer les causes des problèmes sociaux, comme l’agressivité, l’échec scolaire et la toxicomanie, cela  pourrait nous conduire à ne prendre en compte que les facteurs héréditaires et négliger en même temps les facteurs sociaux acquis.

 

Conclusion

L’enseignement de la biologie consiste à montrer la complexité des phénomènes naturels et à se concentrer sur les interactions qui se passent entre leurs divers éléments donc l’enseignant a besoin des deux approches analytique et systémique car elles sont complémentaires et non contradictoires. L’interaction et la complexité, qui sont deux concepts importants en sciences, complètent les concepts de linéarité et de simplification et formeront avec eux un nouveau paradigme scientifique meilleur. Ces deux nouveaux concepts pourraient ne pas faciliter la résolution d’un problème mais au contraire le complexifier tout en  le mettant sur la bonne voie de la solution correcte. Prenons l’exemple de l’intelligence, elle est « 100 %  héréditaire et 100 % acquise » d’après le dicton célèbre d’Albert Jacquard :

- Elle est innée car on hérite de nos parents un cerveau humain composé de 100 milliards de neurones.

-  Elle est acquise car dans chaque neurone, s’effectuent des milliards de réactions chimiques. Le neurone n’est pas isolé, il échange avec son environnement des milliards d’éléments chimiques instables. Chaque neurone est capable d’établir 10 mille synapses avec ses voisins. Durant notre vie et à partir de l’interaction avec l’environnement, nos neurones vont configurer et reconfigurer entre eux un million de milliards de synapses. Sachant que le nombre de nos gènes, d’après le dernier séquençage d’ADN en 2001, ne dépasse pas les 30 mille gènes. 98.9 % de ces gènes sont répétitifs ou silencieux, c'est-à-dire sans rôle connu et 1.1 % seulement portent un code de fabrication de protéines. On pense que le paradigme dominant « un gène-une protéine » n’est plus capable à lui seul d’expliquer l’existence des dizaines de milliers de protéines et des milliards de synapses. La complexité de notre intelligence nous rappelle celle de l`épigenèse et met en évidence une interaction entre nos gènes et notre environnement d`où émerge notre pensée.

 

Pour assimiler la complexité des phénomènes naturels, l`élève tunisien fait obligatoirement des erreurs. Faut-il pour autant le blâmer et le gronder ?

 


L’erreur de l’élève pourrait être utile pour l’enseignant et l’apprenant.

 

« L'erreur est un moteur de l'apprentissage »

 

Je pars d’une enquête (DEA didactique de la biologie, 2000) que j’ai effectuée sur un échantillon tunisien composé de 74 enseignants de biologie.

La question posée : donnez une définition du neurone ?

Résultats de l’enquête :

6  personnes interrogées ont donné une définition correcte et complète.

59 personnes interrogées ont donné une définition correcte mais incomplète.

1  personne interrogée a donné une définition fausse.

8  personnes interrogées n’ont pas répondu à la question.

Je conclus de cette enquête, simple et limitée dans le temps, le lieu et le nombre, que les diplômés du supérieur peuvent se tromper. Que disons-nous donc des élèves?

 

Premièrement,  en lisant Michel Saroul (1990), chercheur français, dans son livre « l’évaluation en questions » page 110, j’ai retenu trois points de vue différents sur le statut de l’erreur dans le système éducatif en général et son rôle dans l’enseignement : « Pour Skinner, le savant américain béhavioriste, l’erreur est considérée comme pédagogiquement nocive [...] Crowder, quant à lui, rend non seulement l’erreur possible, mais la prévoit dans le cheminement de l’élève [...] L’environnement LOGO  qui désigne ici à la fois une conception pédagogique et une famille de langages, rend l’apprenant maître de la machine : il la programme [...] dans le système LOGO, l’erreur est considérée non seulement comme possible ou souhaitable mais comme nécessaire à la découverte heuristique par l’élève ».

C’est le statut donné à l’erreur en classe qui différencie l’enseignement linéaire et magistral (du professeur à l’élève) de l’enseignement interactif (du professeur à l’élève, de l’élève au professeur et des élèves entre eux). Dans l’enseignement interactif, le professeur prend en considération les conceptions des élèves sur le sujet traité et leur permet de construire leur savoir en interaction avec leurs erreurs comme le dit Saroul : « l’erreur va activer l’attention de l’élève et va l’amener à réfléchir en vue d’en rechercher les causes et de la corriger».

Deuxièmement, en m’inspirant des professeurs Bernard Grange et Marie-Madelaine Raffin qui ont écrit dans le livre cité plus haut, page 123, je propose les méthodes suivantes  afin d’essayer à remédier l’erreur:

- « l’élève, seul ou avec son camarade, prend en charge la correction du travail ».

- « si l’auto-correction est juste, le travail du professeur s’arrête là, car l’élève n’a pas eu besoin de l’aide de l’adulte. Il a fait preuve d’une certaine autonomie ». L’école constructiviste de Piaget et Vygotsky préfère cette démarche qui libère l’élève du tutorat du professeur.

- « si l’erreur subsiste, le professeur peut intervenir de plusieurs façons : en le renvoyant à l’expérience ou au cours en lui donnant une information supplémentaire et en le laissant à nouveau chercher une bonne réponse ou en le questionnant (oralement ou par écrit) afin de le mettre sur la ‘’voie’’ de la bonne réponse ».

Troisièmement, si l’on sait que les sciences expérimentales ont progressé après une longue série d’erreurs, on ne doit pas s’étonner devant une erreur commise par l’élève en classe et surtout on ne doit, ni le lui reprocher cet acte, ni le gronder. L’erreur de l’élève en classe est bénéfique, en premier lieu pour l’élève et pour ses pairs qui vont découvrir la bonne réponse et en deuxième lieu pour le professeur qui va connaître le niveau de ses élèves, ce qui l’oblige à répéter ou à modifier ou même à décaler sa leçon dans certains cas.

                                                           

Retournons maintenant à la réalité tunisienne après la présentation des théories précédentes (une bonne pratique se base toujours sur une bonne théorie). Certains professeurs accaparent la parole et jonglent intellectuellement en classe et ne laissent pas de chance à l`élève pour qu’il essaye lui-même l’expérience et l’erreur. Souvent, les professeurs excluent le faible élève de la discussion, non pas intentionnellement  mais par ignorance de l’épistémologie, de l’histoire des sciences et de la didactique. Ces professeurs pourraient rendre l’élève complexé ou retiré ou même le pousser à détester complètement la discipline. Les exemples suivants illustreront ce que je viens d’avancer :

1er exemple : dans une séance d’anglais, le professeur parle beaucoup plus que l’élève surtout dans une salle non équipée de nouvelles technologies. Suite à ce qui précède, je pose une question : si nous ne donnons pas à l’élève l’occasion d’apprendre, au lycée, la prononciation correcte et l’emploi de la grammaire anglaise, où va-t-il les apprendre alors ?

2ème exemple : dans une séance de sciences de la vie et de la terre, le professeur prépare les cellules entre lame et lamelle, les met sous le microscope, met au point l’observation puis enfin invite les élèves à observer. Qui sait, est-ce que l’élève a observé les cellules et non des bulles d’air ? Est-ce que l’élève apprend seulement par imitation ? Pourquoi l’élève ne fait-t-il pas l’expérience lui-même du début jusqu’à la fin ? Où est le mal si un élève casse un matériel par inattention quelque soit son prix?

Certains de mes collègues justifient leurs comportements par le manque de temps, ou la protection du matériel, ou l’indiscipline  des élèves ou l’encombrement des classes. Je les prie de laisser l’élève essayer et se tromper. Je vais d’ailleurs répondre gentiment et objectivement à leurs arguments, l’un après l’autre :

- Supposons que le programme soit long et que les enseignants aient réussi à l’achever dans  les délais préalablement déterminés. Ils l’ont achevé au profit de qui ? Au profit de l’inspecteur ? Est-ce que les élèves ont compris la moitié de ce programme ?  Quel est l’intérêt de bourrer le crâne des élèves ?

- Le matériel est fait pour être utilisé et on prévoit un budget de recouvrement chaque année. Est-ce que la protection du matériel est une raison suffisante pour empêcher nos enfants d’apprendre par essai et erreur ? Est-ce que le matériel du laboratoire est plus cher qu’un cerveau formé ? Le matériel du  laboratoire pourrait être remplacé, par contre l’élève en difficulté pourrait coûter aux contribuables mille ordinateurs et mille microscopes.

 

 

Conclusion

« L’erreur est le moteur de la classe ». Elle active la conversation. La séance qui se déroule sans erreurs est une séance morte car les élèves n’ont pas  participé et n’ont pas donné leurs points de vue. Ils ne peuvent donc apprendre ni sciences, ni liberté, ni démocratie, ni civisme. Ils vont s’habituer à la résignation et à la soumission à l’autre. Il ne faut pas oublier que la classe est le seul endroit où on félicite les fautifs. Par contre, dans la vie active, la faute d’un  médecin ou d’un ingénieur ou autre fonctionnaire pourrait être sanctionnée par un licenciement. Dans les concours de recrutement aussi, on n’a pas le droit de faire des erreurs vu le surnombre de demandeurs d’emploi, 100 mille demandes pour 1500 postes de professeurs.

 

Pour éviter les erreurs dans les examens, l`élève tunisien recourt au moyen le plus simple, la fraude. Faut-il l`incriminer et le sanctionner ou l`aider et l’éduquer par des moyens scientifiques et non par des moyens disciplinaires ?

 


La fraude dans les examens scolaires : l’élève n’est pas le seul responsable.

 

Premièrement, faisons un bref rappel des mesures disciplinaires répressives appliquées actuellement en Tunisie : l’élève soupçonné de fraude est reconduit devant le conseil de discipline du lycée, s’il est coupable, il est renvoyé du lycée pour  4 à 15 jours et en cas de récidive, la sanction sera plus lourde : le renvoi définitif du lycée. L’élève a le droit de se défendre mais sans avoir recours à un avocat malgré la gravité de la punition qu’il pourra encourir.

Deuxièmement, essayons de donner à la fois un aperçu sur les causes objectives de la fraude et sur les alternatives scientifiques proposées :

  1. Les classes nombreuses : est-ce que c’est logique de mettre 40 élèves dans une salle conçue pour 20 et interdire à chacun de regarder la feuille de son compagnon de table ? Est-ce que à l’élève qu’incombe la responsabilité des classes nombreuses ?
  2. La façon de poser les questions : où est le mal si un élève prépare au préalable une  vraie « fausse copie » remplie de citations dans un examen de rédaction arabe ou remplie de formules dans un examen de mathématiques ou de physique? Il vaut mieux évaluer l’élève sur la mobilisation de connaissances et non seulement sur leur mémorisation. La mémorisation est réhabilitée dans l’enseignement moderne mais elle ne doit pas accaparer tout l’apprentissage.

 

  1. Le contenu anachronique  des programmes : pourquoi impose-t-on à l’élève des programmes qui ne prennent pas en compte ses préoccupations ? Il serait plus correct pédagogiquement de demander l’avis des élèves avant de concevoir les programmes officiels.

4. Le béhaviorisme de Watson et Skinner : durant tout le cursus scolaire, l’élève apprend par stimulus/réponse et par sanction/récompense. On détermine son avenir à sa place et on le traite comme un rat dans un labyrinthe dont nous seuls,  les enseignants, connaissons les issues. Notre  élève ne cesse de nous lancer au visage un éloquent slogan célèbre « votre marchandise vous est rendue ». Cette école béhavioriste a réussi à former des générations qui ne savent pas prendre d’initiatives.

Il serait préférable d’opter pour le socioconstructivisme de Piaget et Vygotsky qui apprend à l’élève à apprendre tout seul surtout dans le monde de l’informatique où l’élève pourrait bien dépasser son professeur en connaissances. L’école socioconstructiviste formerait un apprenant capable de construire son savoir avec l’aide de ses pairs et l’accompagnement de son  professeur. Le socioconstructivisme pourrait provoquer un changement conceptuel chez les éducateurs et les enseignants à propos de leur relation avec leurs élèves. L’élève n’est pas un vase vide qu’il suffit de remplir mais un individu qui réfléchit et peut avoir un point de vue  indépendant et différent de son maître.

  1. La pédagogie par objectif :

Les concepteurs des programmes décident, les professeurs exécutent sans prendre en considération les conceptions des élèves sur un concept enseigné. Nous nous  interrogeons ici : Est-ce que c’est la leçon du concepteur du programme ou celle du professeur ou celle de l’élève ?

Il serait souhaitable d’appliquer la pédagogie du projet, le projet scientifique interdisciplinaire, choisi et exécuté par l’élève au sein d’une équipe. Cette équipe d’élèves  soutiendra à la fin de l’année son projet devant un jury et un public scolaire. De cette façon nous n’aurons plus besoin de surveiller l’élève, nous éradiquerons la fraude à la  racine et nous formerons un citoyen sûr de lui-même et de ses coéquipiers.

Permettez-moi de vous décrire la scène que j’ai vue dans un lycée à Nancy en France: J’ai assisté à une soutenance des élèves de 3ème sciences, un an avant le bac : les élèves, sur la scène d`une salle amphithéâtre, défendent leur projet devant un jury en utilisant les nouvelles technologies. Croyez-moi, on dirait des étudiants en DEA ou des doctorants de chez nous qui soutiennent leurs mémoires ou leurs thèses. Ils ont travaillé pendant un an, en équipe, au laboratoire du lycée et chez eux. Ils ont cherché les connaissances dans les livres, les encyclopédies et Internet. Ils ont mobilisé ces connaissances pour essayer de trouver des solutions pertinentes à  un problème actuel comme  par exemple « l’effet des pluies acides sur les plantes ». Ils ont appris les abc de la recherche scientifique et le travail avec les autres.

 

Conclusion

Les moyens scientifiques pour lutter contre la fraude existent mais les responsables et les enseignants ne voient que les  sanctions qu’ils font subir à l`élève, le maillon le plus faible dans une chaîne éducative de coupables qui commence au sommet et se termine à  la base, du ministre à l`enseignant.

 

Quels sont les supports biologiques de l`apprentissage développé dans la première partie, la didactique des disciplines?

 


 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

Seconde partie : Epistémologie de la biologie


 

Introduction

 

Science et idéologie : exemples en didactique et en épistémologie de la biologie.

Extraits d`un article de Pierre CLÉMENT, LIRDHIST, université Claude Bernard, Lyon I, colloque Sciences, Médias et Société, 15-17 juin 2004, Lyon, ENS-LSH, http://sciences-medias.ens-lsh.fr/article.php3 ?id_article=58

 

Mots-clés: biologie,  idéologie, didactique, épistémologie.

 

Je souhaiterais proposer ici la pertinence d’une approche didactique et épistémologique pour contribuer à l’analyse des rapports entre médias, sciences et société.

L’interaction entre science et idéologie est au cœur des travaux des philosophes des sciences, à partir des écrits des scientifiques. Mais les caractéristiques que les pratiques d’enseignement ou de vulgarisation confèrent à cette interaction sont plus rarement objet de recherches.

J’entendrai ici par « idéologie » à la fois l’idéologie scientifique que Georges Canguilhem, dans le sillon de Gaston Bachelard puis Michel Foucault et Louis Althusser, a magistralement mise en évidence dans l’histoire des sciences de la vie, mais aussi l’idéologie de tout enseignant ou autre médiateur culturel des sciences. C’est l’interaction entre les systèmes de valeurs et les connaissances scientifiques qui nous intéressent. À une époque où l’enseignement et la vulgarisation scientifiques tentent de fonder une nouvelle citoyenneté sur plus de connaissances scientifiques, il est nécessaire de clarifier les limites de ces connaissances, et d’identifier les systèmes de valeurs de ceux qui sont chargés de les diffuser, pour qu’ils en soient moins prisonniers à leur insu, et ne proposent pas aux futurs citoyens des discours contradictoires d’un pays à un autre au moment même où se construit, lentement et laborieusement, l’idée d’une identité européenne.

 

Nouveaux regards de la didactique des sciences

La didactique des sciences s’intéresse aux processus de  transmission/appropriation de connaissances scientifiques dans toute situation : aussi bien face à des médias que dans des contextes d’éducation formelle. La didactique ne peut se passer d’une approche épistémologique et historique des contenus scientifiques, ni de l’analyse de leurs enjeux sociaux.

Emprunteuse de démarches et concepts issus d’autres champs des sciences humaines et sociales - sciences de la cognition, sciences du langage, anthropologie, sociologie, psychologie, etc. -, la didactique des disciplines a aussi forgé ses propres démarches et concepts. Ces derniers relèvent de trois approches complémentaires (Clément 1998), que je vais présenter successivement.

 

Analyse des conceptions des apprenants et des autres acteurs du système éducatif

Dans une perspective constructiviste, il est essentiel d’analyser les conceptions initiales de ceux à qui est destiné un message scientifique  que ce soit dans un contexte scolaire ou autre : pour mieux comprendre leurs difficultés à assimiler ces nouvelles connaissances - analyse des obstacles éventuels à ces acquisitions -, comme pour évaluer les changements conceptuels à la suite d’un apprentissage.

 

Les conceptions sont ici entendues dans le sens le plus large 

1)    En y incluant les motivations par rapport à une question scientifique,  nous savons en effet que ces dimensions affectives sont essentielles aux apprentissages. Si un cours, une conférence ou une exposition scientifique donne, à celui ou à celle qui l’a suivi, l’envie d’en savoir plus, de faire des enquêtes, alors c’est gagné !

1)      En les analysant comme l’interaction entre trois pôles : KVP (figure1).

 

 

 

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Figure 1 : Les conceptions en tant qu’interaction entre les trois pôles KVP

 

Le pôle K représente les connaissances scientifiques. La référence est ce que les chercheurs publient, mais les connaissances de chacun sont à la fois assez proches, dans leur contenu, de ces connaissances spécialisées, tout en s’en différenciant fortement.

Or cette personnalisation de l’assimilation individuelle de connaissances s’effectue en fonction des deux autres pôles, P et V. D’une part, c’est l’usage de mes connaissances qui me permet d’en assimiler, retenir, refaçonner tout ce qui est utile à mes pratiques : professionnelles, personnelles et/ou sociales (pôle P). D’autre part, l’attention que chacun porte à des connaissances, l’importance qu’il leur donne, dépend souvent de l’interaction entre ces connaissances et ses propres systèmes de valeurs (pôle V).

 

C’est l’ensemble de ces interactions qui est l’objet de nos recherches et projets de recherche. La spécificité de ces travaux (au sein du LIRDHIST) est d’utiliser une méthode contrastive :

- d’une part par une approche historique qui permet a posteriori d’analyser l’évolution des connaissances scientifiques sous l’angle de leurs interactions avec les pratiques sociales et avec les valeurs dominantes de chaque époque. L’approche historico-épistémologique s’intéresse aux connaissances des chercheurs - ou plutôt à leurs conceptions = leurs KVP. L’approche historico-didactique analyse celles des enseignants et des autres acteurs du système éducatif, à chaque époque. Elle pourrait aussi être étendue aux acteurs de la médiatisation des sciences ;

- d’autre part par une comparaison de pays à pays, à l’époque actuelle, avec le même objectif - interactions KVP : par exemple, au sein des pays européens, ou tout autour de la Méditerranée, les auteurs des programmes et les enseignants ont-ils les mêmes conceptions sur un certain nombre de questions vives qui font partie des enseignements scientifiques (évolution, sexualité, santé, environnement, éducation civique, etc.) ? (…).

 

Analyse comparative des conceptions d’enseignants

Les conceptions craniologiques d’enseignants et étudiants sur les cerveaux d’hommes et de femmes : En 1861, Paul Broca, éminent neurobiologiste et chef de file de la craniologie, mesura le poids des cerveaux d’hommes et de femmes, ces derniers étant nettement moins lourds. Broca mit en relation cette « infériorité physique » avec ce qui était admis à cette époque : l’« infériorité intellectuelle » des femmes. Cent vingt ans après, Stephen J. Gould (1983) a réanalysé les données originales de Broca, et a montré que les différences de poids de ces cerveaux étaient d’abord liées à la taille des individus, puis à leur âge, puis à la présence ou absence de méninges, etc. : le paramètre sexe n’intervient pas ! Par ailleurs, d’autres travaux ont prouvé que, dans l’espèce humaine, il n’existe aucune relation entre le poids du cerveau et l’intelligence (synthèse dans Vidal 2001).

Mais plus d’un siècle de croyances craniologiques a marqué des générations d’enseignants et de journalistes scientifiques, ainsi que leurs élèves ou publics ; il s’est inscrit dans notre langage quotidien - « grosses têtes », etc. Les conceptions des enseignants ont-elles pour autant évoluées de la même façon dans tous les pays ?

Nous avons mené une enquête, dans plusieurs pays européens ou méditerranéens. (…). Il ressort de ces résultats que l’argument craniologique (poids et/ou taille du cerveau lié aux performances cérébrales dans l’espèce humaine) est encore très présent dans certains pays, alors même qu’il n’a plus aucun fondement scientifique : cette thèse est désormais uniquement idéologique. Cet exemple montre que :

- le discours des scientifiques peut ne pas être dénué d’une idéologie ici mise en évidence avec le recul historique ;

- quand l’idéologie sexiste est largement nourrie de ces discours scientifiques, elle peut résister aux nouvelles démonstrations scientifiques. En particulier dans certains contextes sociopolitiques, particulièrement au Liban (où un enseignant ou étudiant sur deux invoque cet argument, quelle que soit sa discipline), et en Tunisie (un enseignant sur trois) ;

- dans ces derniers cas, et de façon plus générale, la formation des enseignants et futurs enseignants mériterait d’être attentive à ces interactions entre science et idéologie. Il en est de même pour la formation des journalistes et autres médiateurs scientifiques.

Notons enfin que l’idéologie déterministe dont témoigne cet exemple sur la craniologie, se retrouve dans bien d’autres domaines très médiatisés, qu’ils soient scientifiques ou non : la prédestination divine, l’astrologie, la chiromancie, la physiognomonie relayée par la morphopsychologie, l’iridologie, etc., et plus récemment le déterminisme génétique.

Nous sommes pourtant à l’heure où les scientifiques proclament la « fin du tout-génétique » (Atlan 1999 ; Kupiec, Sonigo 2000), à l’heure où le séquençage du génome humain montre que nous sommes loin de posséder les 150 mille gènes initialement escomptés, et que nous en avons moins de 25 mille (deux fois moins que le riz ou la rose), à l’heure où l’importance des processus épigénétiques commence à être reconnue : épigénèse cérébrale mais aussi épigénèse de l’ADN et lors de la synthèse des protéines. Les journalistes ne commencent que très timidement à diffuser ces nouvelles approches de la complexité qui contestent l’idéologie réductionniste du tout-génétique (voir par exemple le hors-série de Sciences et Avenir, 136, 2003). Mais les programmes et manuels scolaires sont jusqu’ici restés plus timides, continuant par exemple à enseigner la notion pourtant très contestée de « programme génétique » (Abrougui, Clément 1997b ; Forissier, Clément 2003a). (…).

 

Analyse comparative de documents scientifiques

Un exemple dans une publication scientifique primaire : les cerveaux des hommes et des femmes : En février 1995, la célèbre revue Nature reprenait en couverture de son numéro 373 deux images de coupes de cerveau humain, avec différents niveaux de gris sur lesquels se détachent quelques taches rouges, symétriques sur une des coupes, d’un seul côté sur l’autre. Sous ces images, une seule légende en gros caractères : gender and language. À côté du sommaire, un commentaire présente cette image : [...] A long-suspectedsexdifference in the functionalorganization of the brain for languageisconfirmed [...]. Le titre de la publication est: « Sex differences in the functional organization of the brain for language » (Shaywitz et al. 1995).

Les journalistes ont largement repris le message illustré par cette image spectaculaire, dont j’ai analysé qu’il est plus idéologique que scientifique (Clément 1997, 2001b). Ils ont expliqué que le cerveau est à l’origine des performances cérébrales telles que le langage, et que les différences de latéralisation observées seraient à l’origine de caractéristiques spécifiquement masculines ou féminines.

 

 

J’ai analysé de façon détaillée ces articles dans différentes revues de vulgarisation scientifique. Je ne présente ici que deux points.

Tout d’abord, les neurobiologistes savent aujourd’hui que le cerveau humain naît immature, et qu’il se configure progressivement par épigénèse cérébrale au cours de laquelle des réseaux neuronaux se stabilisent progressivement en fonction de l’expérience individuelle (voir par exemple Changeux 1983, 2002 ; Edelman 1987 ; Fottorino 1998).

 

 

La relation entre le cerveau et le langage est à double sens, incluant la rétroaction de l’épigénèse cérébrale généralement oubliée par les journalistes et, ce qui est plus inquiétant, par les éditeurs de la revue Nature. Une éventuelle différence de latéralisation entre cerveaux d’hommes et de femmes ne prouve pas que ce serait une donnée biologique de naissance. Elle peut tout aussi bien être la conséquence de comportements différenciés. Le commentaire de la revue Nature - « A long-suspected sex difference » - est donc plus idéologique que scientifique.

Une lecture attentive de cet article de la revue Nature (Clément 1997, 2001b) montre également que les résultats concernent aussi une absence de différence entre cerveaux d’hommes et de femmes pour les deux autres fonctions testées - nommées « orthographiques » et « sémantiques » par les auteurs - ; et que la différence « phonologique » est à peine significative au seuil de 5 %, la spectaculariser par le choix du titre et des illustrations, et par la reprise en couverture, relève donc de choix idéologiques, qui sont assumés par les éditeurs mêmes d’une publication primaire aussi prestigieuse. Comment s’étonner ensuite que les journalistes scientifiques aient repris ce message idéologique clair, sans distance critique sur ses fondements scientifiques - difficiles à appréhender? (…).

 

Est-ce que le débat entre l`inné (le tout génétique) et l`acquis (l`épigenèse) est un débat idéologique ou scientifique et est-ce qu`il est dépassé aujourd`hui ?


 

 

 

 

 

Partie 2.1 : Polémique autour des deux paradigmes: L’«épigenèse cérébrale » et le « tout génétique »!

 


 

« L’épigenèse cérébrale » complète le « tout génétique »!

 

Le concept "épigenèse" : un bref rappel historique

Avec R. Y Cajal (début XXème), le cerveau devient neuronal. L’invention du terme neurone est discutée entre lui et Waldeyer (1890). Golgi défendait la continuité des neurones à la place de leur contiguïté. Le point d’articulation entre les neurones recevra le nom de synapse donné par le physiologiste anglais Sherrington (1897). Cajal avait émis en 1909 l’hypothèse que la croissance des neurones se poursuivait après la naissance sous l’influence de l’exercice (cité par Jeannerod, 1983). On voit dans les propos de Cajal les prémisses de la théorie de l’épigenèse.

Atlan : « la vieille querelle (qui a fait les beaux jours des XVIIIè et XIXè siècles) entre préformation, où le germe est considéré comme miniature toute formée de l’adulte, et épigenèse, où le germe est, au contraire, sans structure et inorganisé, l’organisation de l’adulte ne venant que du développement. La biologie moléculaire a nécessairement associé ces idées opposées… » (Atlan & Bousquet, 1994, p. 160).

Changeux : « L’élément épi- est tiré du grec et désigne « sur », « en plus », avec l’idée de superposition, de recouvrement. Le mot genèse, issu de l’ancien testament, se réfère initialement à la création du monde, à la formation d’une chose, d’une pensée, au développement. Le mot épigenèse possède pour nous, le double sens, de se superposer à l’action des gènes (effets de l’expérience) et de se rapporter au développement (du système nerveux) » (Changeux, 2001)

 

La théorie de l’épigenèse cérébrale

Vidal (2001) définit l’épigenèse : « A la naissance, le programme génétique a défini les grandes lignes de l’architecture du cerveau et les neurones cessent de se multiplier (NB : La non multiplication des neurones après la naissance : un dogme scientifique ébranlé). Cependant, la construction du cerveau est loin d’être terminée : 90 % des circuits de neurones vont se former progressivement dans les années qui suivent la naissance. C’est précisément sur la construction de ces circuits que l’environnement intervient sous ses diverses formes, qu’il s’agisse du milieu intérieur (alimentation, hormones) ou extérieur (interactions familiales et sociales, rapport au monde) ».

Le terme d’épigenèse est aussi utilisé en biologie moléculaire.

On estime actuellement le nombre gènes de l’ADN humain à moins de 30 mille. Ils sont incapables de contenir une programmation différentielle de la  formation de 1016 synapses (1012 neurones dont chacune contracte 10 mille synapses). Donc ils interviennent de façon plus globale et leur rôle complété par celui des facteurs non génétiques dans le développement du cerveau s’avère  indispensable (Jacquard, 1993). Ces facteurs sont appelés facteurs épigénétiques (le préfixe grec épi signifie tout à la fois, le surcroît, la succession, le contact et l’inflexion d’une trajectoire) car ils interviennent après la genèse initiale induite par les informations présentes dans les gènes. Ils comprennent des facteurs d’environnement (nutritionnels, sensoriels, l’expérience sociale et l’apprentissage) et des facteurs intrinsèques (interaction entre cellules, sécrétion de substances chimiques, hormones en particulier) (Habib, 1995). La théorie de l’épigenèse  est  popularisée par Changeux en 1983.

 

Etapes de l`épigenèse cérébrale

§  Redondance transitoire = les arborisations axonales et dendritiques bourgeonnent et s’épanouissent de manière exubérante.

  • Régression = des phénomènes régressifs interviennent rapidement. Des neurones meurent. Des synapses actives disparaissent.
  • Stabilisation = en réponse aux stimulations sensorielles reçues par le cerveau, certaines combinaisons de connexions sont sélectionnées et consolidées plutôt que d’autres.

 

Le cerveau naît  immature et c’est grâce aux processus épigénétiques que les réseaux neuronaux  se configurent en fonction de l’expérience individuelle et sociale de chaque individu pour donner enfin un cerveau unique au monde (Clément, 1999). L’épigenèse dure jusqu’à l’âge de 15 ans (Fottorino, 1999) mais le cerveau reste plastique jusqu’à un âge avancé (Prochiantz, 1993). L’épigenèse est une théorie qui a une limite tracée par l’enveloppe génétique, caractéristique de l’espèce, on a beau mettre un singe dans un environnement humain, il ne deviendra pas homme pour autant (Prochiantz, 1993).

 

Conclusion

L`épigenèse nous met devant une sorte d`interaction hautement complexe entre l`inné et l`acquis, une interaction qui nous rappelle ce qui se passe dans une réaction (chimique) où les éléments perdent leurs propriétés chimiques et physiques intrinsèques d`origine et se transforment en corps émergents dès qu`ils interagissent avec d`autres éléments d`une nature différente.

Est-ce que notre cerveau est capable de s`adapter aux situations émergentes de la vie : est-ce que ses réseaux neuronaux sont capables de se reconfigurer selon les expériences vécues ?


La « plasticité cérébrale » ouvre de larges applications thérapeutiques

La « plasticité cérébrale » ouvre de larges applications thérapeutiques dans de nombreuses maladies neurologiques.

Santiago Ramon Y Cajal fut le premier à formuler le concept de plasticité neuronale, à la fin du XIXe siècle, (Laroche, 2006).

Les modifications du cerveau par l’environnement se font, en règle générale, pendant des fenêtres temporelles limitées, dites périodes critiques : en achevant sa maturation, le cerveau devient de plus en plus réfractaire aux leçons de l’expérience (Purves et al., 1999). L’exemple de l’enfant-loup est particulièrement évocateur à cet égard : il ne lui sera plus possible d’apprendre à parler, une fois la période critique dépassée (Habib, 1995). Toutes ces modifications, qui surviennent au cours de la période critique, reflètent une formidable plasticité du réseau nerveux.

Cette notion relativement récente fait l’objet de recherches dans de nombreux laboratoires en France et à l’étranger. Nous allons essayer de définir cette notion : La plasticité cérébrale est la capacité que possède le cerveau à réorganiser ses réseaux de neurones en fonction des stimuli extérieurs et des expériences vécues par l’individu ou d’adapter son fonctionnement suite à un traumatisme ou à une maladie.

Le terme général de plasticité cérébrale recouvre deux familles de processus :

-          l’une est liée aux apprentissages (par épigenèse cérébrale) qui sont possibles à tout âge, même s’ils sont plus importants chez les enfants. C’est de ce côté qu’il faudrait chercher les supports neuronaux des changements conceptuels, ou ceux des obstacles épistémologiques en acte.

-          l’autre est liée à des modifications cérébrales de plus grande ampleur, qui sont parfois compensées par des réorganisations des circuits neuronaux.

 

Ainsi, en fonction de l’environnement ou en réponse à des lésions, de nouvelles connexions peuvent s’établir assez rapidement pour permettre le recâblage, en contournant les régions lésées ou endommagées du cerveau (Elbert et al. 1996). Des recherches récentes montrent qu’en fait des modifications plastiques se produisent à tous les niveaux du système nerveux central : le cerveau est un système dynamique qui s’auto-organise et se réorganise en permanence à l’âge adulte, exemple : La pratique du violon accroît la dextérité d’une seule main et augmente la représentation corticale de l’auriculaire gauche chez les violonistes. Cependant, une différence est observée en ce qui concerne cette représentation : elle est plus importante chez les violonistes qui ont commencé à pratiquer avant l’âge de 13 ans, mais elle est également substantielle chez ceux qui ont commencé plus tard. Ces observations montrent que si le cerveau peut se modifier plus facilement dans l’enfance, il est encore remarquablement plastique chez les adultes. La plasticité cérébrale peut intervenir pour répondre à des agressions et compenser les effets de lésions cérébrales en aménageant de nouveaux réseaux, l’exemple vécu par mon directeur de thèse Pierre Clément vient témoigner en ce sens, son discours est à la fois cognitif et affectif : « Savoir que les fonctions vestibulaires et oculomotrices sont couplées est une chose : autre chose est d’expérimenter sur soi qu’après un déficit vestibulaire il devient insupportable de regarder la télévision, et même de lire, dangereux de marcher sans aide, et bien sûr impossible de conduire (sans même parler des grands vertiges et nausées des premiers jours).

Connaître l’importance de la plasticité cérébrale est une chose. La vivre en est une autre : plus merveilleuse en est devenue mon expérience de la disparition progressive de ces déficiences comportementales alors même que persiste leur origine initiale (le déficit vestibulaire). Le concept de plasticité cérébrale devient dès lors associé à la guérison. » (Clément, 1999).

 

Conclusion 

Déclenchée à bon escient, maîtrisée, cette formidable possibilité de réadaptation des neurones laisse envisager dans quelques années de larges applications thérapeutiques dans de nombreuses maladies neurologiques.

Malgré l`apport scientifique de la théorie de l`épigenèse, il parait que le paradigme du « tout génétique » résiste encore !


Le paradigme du « tout génétique », résiste-t-il contre le paradigme de l’«épigenèse» ?

 

Le dominant et ancien  paradigme, le « tout génétique », résiste à céder de la place pour le compte du nouveau paradigme complémentaire, l’«épigenèse cérébrale ».        L’épigenèse et le « tout génétique » sont deux paradigmes qui se complètent. L’enjeu du concept de l’épigenèse est politique, cognitif et concerne les principes de l’auto-construction, de l’interaction, de la sélection et du  hasard : une politique qui serait tournée vers l’avenir tenant compte de l’environnement et des limitations du paradigme du tout génétique.

 

Critiques épistémologiques récentes du paradigme du « tout génétique »

Le paradigme de l’ADN-comme-programme  continue à être utilisé dans l’enseignement tunisien. On rencontre encore dans les manuels de biologie les concepts de « code génétique », « programme génétique », «un gène code pour un caractère », etc. (Abrougui, 1997).

 

Rumelhard (2005) écrit : « La question d’enseignement conduit à se demander s’il faut continuer à parler de programme génétique dans un premier temps, puis à remettre en cause ce concept, dans un deuxième temps. Autrement dit si l’essentiel de l’enseignement scientifique ne réside pas dans la rectification d’un concept et non pas dans son énonciation conforme à la vérité dernière (au sens de plus récente et non pas ultime) au niveau scientifique ».

 

Le « tout génétique » est un paradigme qui a régné pendant des dizaines d’années en biologie. C’est peut-être parce que l’on voyait le déterminisme comme une fatalité que l’on n’a guère remis en question le pouvoir des gènes.

Le concept ADN évolue dans l’histoire des sciences comme tout concept. Du paradigme du « tout génétique », on tend vers le paradigme de l’émergence et de la complexité. Le paradigme « ADN-comme-programme » est fort critiqué par une partie de la communauté scientifique, surtout des biologistes, des épistémologues et des didacticiens. Les paradigmes ne cèdent pas facilement. Les anciens paradigmes forment des obstacles aux apprentissages des nouveaux paradigmes.

 

Comment passer d’un paradigme à l’autre et construire une alternative concrète au paradigme déterministe ?

Avec l’épigenèse, il ne s’agit pas d’apporter de nouvelles certitudes, ni de réfuter tout ce qui a été dit jusque là, mais plutôt de préciser qu’un certain nombre de concepts ne sont pas réductibles au tout génétique : ADN, gène,  déterminisme, génotype / phénotype et éviter qu’ils  virent à l’idéologie (sexisme : voir un exemple sur la craniométrie, le dualisme, le chromosome Y surnuméraire, le gène de l’alcoolisme, le gène de la croyance). Le concept de l’épigenèse s’oppose à l’idéologie du « tout génétique » jusqu’alors dominante (Atlan, 1998). Il n’est pas question de réduire à néant tout le savoir scientifique accumulé que le séquençage du génome nous a donné, mais bien plutôt de compléter l’approche réductionniste analytique par une compréhension globale, synthétique, interactive, dynamique et évolutive. Le déterminisme génétique pouvait prétendre à un individu entièrement déterminé par ses gènes (car programmé par un créateur, « le Dieu ADN »), sur le modèle instructiviste d’Aristote et ses disciples contemporains, défenseurs du tout génétique. L’épigenèse devrait ainsi permettre de sortir de l’alternative entre l’inné et l’acquis vers l’aléatoire et la sélection. Le monde de l’épigenèse est la réfutation de toute puissance du « Dieu ADN », car c’est un monde traversé par l’improbable et le hasard des histoires individuelles. Le déterminisme biologique en général ne peut rendre compte de l’hypervariabilité des anticorps dans l`immunité, des synapses dans le cerveau et des différences entre individus (quand on sait qu’ils ont 99.99 % de gènes semblables).

Ce serait une grave erreur de croire que l’épigenèse devrait dès lors remplacer le déterminisme biologique et, sous prétexte qu’il y a une limite aux prédispositions génétiques, renoncer à explorer le génome humain. Pourtant ce serait une autre erreur de croire que cette épigenèse est purement subjective et pourrait être dépassée par une plus profonde connaissance du déterminisme génétique. La part d’imprévisible dans l’épigenèse nous oblige à passer d’une logique de programmation dirigiste et fataliste à une logique d’interaction avec l’environnement, une logique qui donne place au hasard et à l’auto-organisation.

 

Est-ce que le « tout génétique » détermine tout seul notre identité biologique ?

 

 


Notre identité biologique, est-elle déterminée seulement par nos gènes ?

 

L’identité biologique est-elle limitée à l’identité génétique ?

Nous allons esquisser un petit historique de l’identité de l’homme:

ü  La notion de la « prédestination » (Elmektoub) remonte à la plus haute antiquité, elle a été reprise et amplifiée par les discours religieux qui considèrent que  les moindres gestes et faits de notre vie sont programmés par Dieu avant notre naissance.

ü  Au 18ème siècle, ce déterminisme religieux va devenir biologique avec le progrès scientifique. En effet, c’est vers 1802 que Gall (médecin et père de la phrénologie) postulait  que le développement des aptitudes mentales correspondait à une bosse détectable par palpation de la boîte crânienne (bosse des maths !).

ü  Au 19ème siècle, « du temps de l’anthropologie criminelle de Cesare Lombroso (1887). Celui-ci prétendait pouvoir identifier les prostitués à leurs pieds : elles avaient soi-disant le gros orteil séparé des autres doigts, tout comme les pieds préhensiles des singes, signe morphologique de régression évolutive de cette catégorie de femmes indésirables dans la société », (Vidal, 2001 ; Gould, 1983).

ü  Au 20ème siècle, le déterminisme devient microscopique et détourne à son profit les grandes avancées en technologie et en génétique comme le montrent les trois exemples de recherche suivants :

§   « En 1993, Dean Hamer décrivait dans la revue Science un fragment du chromosome X associé à l’orientation homosexuelle chez l’homme. Depuis, la réalité de ce gène a été clairement invalidée (Rice et al. 1999). Néanmoins le succès médiatique du gène de l’homosexualité a été tel qu’il est toujours présent dans l’esprit du grand public », (Vidal, 2001).

§   « Je pense, par exemple, à un éditorial de la revue Science voici quelques années, expliquant que non seulement toutes les maladies seraient guéries mais la criminalité aussi, puisque ce projet permettrait d’identifier le gène de la criminalité et de l’éliminer de la population ! » (Atlan & Bousquet, 1994, p. 82).

 

§  « les travaux récents de Dreen Kimura (2001, Western Ontario, Canada) en offrent une autre illustration : il est question cette fois de trouver des corrélations entre le sexe, le nombre de stries des empreintes digitales et les fonctions cognitives. Ainsi les hommes auraient un nombre de stries plus élevé que les femmes, tandis que le nombre de stries des homosexuels masculins serait plus proche de celui des femmes et des hommes transsexuels. […] mais Kimura ne s’arrête pas là et va jusqu’à trouver des corrélations entre le nombre de stries des doigts et les meilleures performances des hommes par rapport aux femmes dans des tests de raisonnement mathématique. Ainsi, ces différences d’aptitudes déterminées avant la naissance expliqueraient non seulement la faible proportion des femmes dans les disciplines mathématiques et physiques, mais aussi la moindre productivité des femmes scientifiques comparées à leurs homologues masculins » (Vidal, 2001)

 

Le plus grave dans les exemples cités ci-dessus, réside d’une part dans la fausseté des connaissances qui peut créer un obstacle didactique difficile à surmonter, et d’autre part dans l’idéologie qui utilisait au 19ème siècle un trait morphologique (bosse dans le crâne, gros orteil séparé, etc.) et au 20ème siècle un trait génétique (chromosome ou gène) ou l’imagerie cérébrale pour justifier les différences entre les hommes et les femmes ou déterminer un comportement humain (prostitution, homosexualité, criminalité, intelligence, croyance en Dieu, etc.). Les critères  ont changé mais l’enjeu est le même comme le définit Vidal (2001) : « il s’agit de trouver une raison biologique aux inégalités socioculturelles» et nous complétons la phrase de Vidal en disant «pour que le pouvoir politique  se dérobe de ses responsabilités envers les damnés de la terre».

Nous rappelons les grandes formes de croyances déterministes qui se sont succédées, et persistent encore, avec comme seul point commun un déterminisme malgré soi (dès notre naissance) de traits fondamentaux de notre personnalité : la théorie de la prédestination (jansénistes, calvinistes, etc.), l’astrologie, la chiromancie (art de prédire l`avenir d`après les lignes de la main), la physiognomonie (qui est devenue la morphopsychologie, c’est elle qui a inventé la théorie de l’angle facial), le nazisme et le déterminisme  génétique (Clément et al, 2000).

Au 20ème siècle, le déterminisme biologique est fréquemment réduit au déterminisme génétique et ce sont nos gènes, selon les héréditaristes et les sociobiologistes, qui contrôleraient notre intelligence et nos performances sociales.

Le Dieu des religieux est remplacé par le Dieu « ADN » des biologistes dans les idéologies héréditaristes. Ces dernières ont connu un grand succès avec le nazisme, l’eugénisme, la purification ethnique, le racisme, le sexisme, les surdoués (dont les échecs sont tus par la presse), l’élitisme banal du système scolaire et le fatalisme social (Clément, 1993).

Les arguments classiques du déterminisme biologique confondent les apprentissages individuels et sociaux pour faire des distinctions entre les groupes humains (par exemple, l’intelligence), produits de l’évolution culturelle et historique (Gould, 1983), avec des phénotypes génétiquement déterminés.

 

 

Est-ce que nos comportements, comme l’agressivité et l’intelligence, sont-ils acquis ou héréditaires ?

 

 

 


Auto-organisation et émergence : Nos comportements, sont-ils acquis ou héréditaires ?

 

Les comportements comme l’agressivité, l’intelligence ou la performance d’être très bon violoniste sont des émergences résultant de l’auto-organisation des neurones en interaction avec l’environnement « Il apparaissait plutôt que le cerveau fonctionne à partir d’interconnexions massives, sur un schéma distribué, de sorte que la configuration des liens entre ensembles de neurones puisse se modifier au fil de l’expérience. Ces ensembles témoignent d’une aptitude à l’auto-organisation qui ne trouve aucune représentation en logique » (Varéla, 1989).

 

Parler d’émergence, c’est alors refuser le réductionnisme, refuser de réduire nos comportements à un programme codé dans nos gènes.

Le concept d’auto-organisation a été mis en évidence à partir des nouvelles générations d’ordinateurs (Varéla, 1989). Transposé en biologie, il permet de concevoir qu’il puisse exister au sein de tout système biologique une « marge de liberté »  et de « créativité » indispensable à la survie de toute espèce. La liberté et la créativité sont, par définition, des processus d’auto-organisation qui n’obéissent, ni à un programme génétique (ADN), ni à un apprentissage scolaire. Ces processus découlent des propriétés intrinsèques du système : l’ouverture, la complexité, la redondance (n.b.1), la fiabilité et la compétence.

Cette théorie de l’auto-organisation se retrouve, implicite, dans la théorie de Piaget (Universalis, 1997) et le constructivisme peut aujourd’hui s’appuyer sur l’ontogenèse neuronale, la mise en place des synapses et la constitution des réseaux neuronaux (Clément, 1994): par exemple, les travaux multiples sur l’ontogenèse (n.b.2) de la vision chez le chaton ont montré que certaines voies visuelles se mettent en place même sans expérience visuelle, mais pas d’autres : la proportion de neurones répondant à des lignes horizontales ou verticales varie selon l’expérience visuelle du chaton (Hubel et Wiesel, 1962).

L’auto-organisation et l’émergence pourraient ne pas faciliter la résolution d’un problème mais au contraire le complexifier : Prenons l’exemple de l’intelligence, elle est 100 %  héréditaire et 100 % acquise d’après la formule « magico-scientifique » d’Albert Jacquard :

 - 100% innée car on hérite de nos parents un cerveau humain composé de 1011 de neurones. Dans chaque neurone, s’effectuent des milliards de réactions chimiques. Le neurone n’est pas isolé, il échange avec son environnement cellulaire des milliards d’éléments chimiques instables.

- 100 % acquise car l’homme construit son intelligence en interaction avec son environnement social.

 

Critiques récentes du concept "auto-organisation".

Kupiek (2005), le chercheur à l’école normale supérieure de Paris nous met en garde contre de multiples confusions : « souvent considérée comme une alternative au programme génétique, l’auto-organisation est une théorie des années 1960 qui connaît plusieurs variantes, portées par Henri Atlan, Ilya Prigogine, Stuart Kauffman…Elle tente d’expliquer l’émergence de l’ordre à partir des interactions entre les composants d’un système biologique sans faire appel à une contrainte qui s’exercerait sur ce système. Elle semble donc s’opposer au programme génétique, censé dicter le comportement des protéines. Cette opposition n’est que superficielle. En effet l’auto-organisation souscrit à la même vision d’un monde hiérarchisé en niveaux d’organisation différenciés qualitativement. […] Tandis que la génétique privilégie l’information génomique équivalente de la spécificité et de la cause formelle, l’auto-organisation réintroduit l’accident et la cause finale […] Elles sont prisonnières du même cadre de pensée. Elles partagent la même vision d’un monde fondamentalement en ordre qu’elles cherchent à expliquer ».

 

Conclusion

            Nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec la mise en garde de Kupiek : l’épigenèse qui tente d’expliquer l’émergence de comportements à partir des interactions entre les neurones, semble bien s’opposer au programme génétique. Cette opposition nous paraît profonde, car d’après les déterministes, nos comportements sont inscrits dés la naissance dans nos gènes (gènes de l’intelligence, de l’agressivité, de l’alcoolisme, de l’homosexualité, de la croyance en Dieu, etc.).

Notes de bas de page

1.      La redondance se traduit par le fait que de nombreux éléments identiques quand à la structure et à la fonction sont interconnectés entre eux et ne sont pas localisés en un même lieu.

2.      Ontologie : Histoire singulière d’un individu ou d’une cellule.

 

 

Est-ce que le développement des recherches en épigenèse annoncera la fin de la dominance du paradigme du « tout génétique » ?


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partie 2.2 : La fin de la dominance du paradigme du « tout génétique »

Critiques récentes du déterminisme génétique : Points de vue de certains auteurs.

 

Clément (2004) : « […] Nous sommes pourtant à l’heure où les scientifiques proclament la "fin du tout génétique"(Atlan 1999 ; Kupiec, Sonigo, 2000), à l’heure où le séquençage du génome humain montre que nous sommes loin de posséder les 150000 gènes initialement escomptés, et que nous en avons moins de 25000 (deux fois moins que le riz ou la rose), à l’heure où l’importance des processus épigénétiques commence à être reconnue : épigenèse cérébrale mais aussi épigenèse de l’ADN et lors de la synthèse des protéines ».

Atlan : « Le destin écrit dans les gènes, fixé une fois pour toutes dès l’origine, c’est déjà faux… L’illusion de la maîtrise de ce destin, encore plus ! Chaque histoire doit se régler cas par cas. Reportez-vous au gène du cancer du sein, dominant à 80%. C’est effrayant, mais on peut faire quelque chose. Parfois il est vrai que certaines préfèrent ne pas savoir. Et dans certains cas, cela peut sembler justifié. » (Atlan & Bousquet, 1994, p. 72).

Atlan : « Prenons l’exemple de la bactérie Escherichia coli (2000 gènes) : même si on connaissait toute la séquence de son matériel génétique, on ne saurait pas tout d’elle ! » (Atlan & Bousquet, 1994, p. 159).

Le génétique se trouve divinisé, et c’est bien évidemment le paradigme dominant qui en est responsable, puisqu’on nous a répété que tout est génétique, que tout est dans le programme génétique, qu’il suffit d’avoir le listing du dit programme pour avoir tout compris, etc. (Atlan, 1998).

R. C. Lewontin regrette que la lutte contre le déterminisme biologique soit comparable à la lutte contre l’incendie. Chaque fois que vous éteignez un, un autre se déclare ailleurs, (Gouyon et al, 1997).

 

Est-ce que ces critiques citées vont déconstruire les conceptions non scientifiques désignées sous le nom d` « Elmektoub » dans nos gènes ?

 


« Elmektoub » dans L’ADN, un programme ou non ?

 

Critiques épistémologiques récentes du paradigme « ADN-comme-programme »

Le rôle de l’ADN est considéré différemment selon le paradigme dans lequel on pense. Kuhn (1986) appelle paradigme « la conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d’explication envisageables, et les types de faits de découvrir dans une science donnée ».

Atlan (1999), biophysicien, oppose l’ancien paradigme du programme génétique aux nouveaux paradigmes de l’émergence et de la complexité et appelle paradigme l’« ensemble d’idées, de conceptions, qui forment un ordre de pensée à l’intérieur duquel on pense, on imagine et on planifie les expériences, on interprète les résultats, on élabore des théories » (cité par Rumelhard, 2005).

Parmi les quatre approches possibles, épistémologiques, institutionnelles, psychologiques et sociologiques des paradigmes, par réduction du champ de spécialité, seule la première pourrait, de manière privilégiée, donner lieu à un travail didactique (Rumelhard, 2005).

Nous allons présenter trois paradigmes (ou métaphores ou modèles) qui interprètent le rôle de l’ADN de trois façons : le paradigme de l’ADN comme programme,  le paradigme de l’ADN comme données et celui de la fin du « tout génétique ».

On peut se demander si le paradigme de l’ADN comme programme n’est pas liée aux conceptions déterministes qu’il renforce. Dans notre culture arabo-musulmane, il existe une conception déterministe  nommée  « Elmektoub » (mot arabe qui veut dire littéralement en français  « c’est écrit », « c’est le destin »). « Elmektoub » signifie que tous nos actes durant toute notre vie sont prédéterminés et sont écrits sur le front de l`individu à sa naissance. Le paradigme de l’ADN comme programme vient renforcer cette conception en lui donnant une base scientifique mais en déplaçant un peu le lieu de l’écriture, du front aux gènes. L’appellation même des 4 bases, les 4 lettres du code génétique renforce la métaphore d` « Elmektoub ».

 

Il faudrait citer ici en totalité les propos d’Atlan pour bien comprendre sa critique du paradigme de l’ADN comme programme :

Atlan : « Certains pensent  que le programme génétique n’est pas une métaphore, que c’est réel ! […] la façon dont un chercheur interprète les faits bizarres ou inattendus qu’il rencontre reste à l’intérieur du même paradigme, avec le même vocabulaire […] Derrière la métaphore du programme se trouve quand même une réalité. Cette réalité, que l’on observe, est un développement orienté dans le temps vers une finalité, au moins apparente. Un embryon de souris ne donnera jamais qu’une souris, et un œuf de poule, une poule, on le sait depuis longtemps. »  (Atlan & Bousquet, 1994, p.p. 169-172).

Atlan : « La cellule fonctionne comme un interpréteur du programme codé dans l’ADN. Elle joue un rôle supplémentaire en fournissant des données à ce programme, puisque, après différentiation, le même génome est traité par différentes cellules en sorte d’accomplir différentes fonctions. Le caractère distinctif critique de ce modèle est que la machinerie cellulaire, comme interpréteur du programme, n’est pas un programme total. Autrement dit, n’importe quelle chaîne de gènes à l’entrée ne produit pas nécessairement un résultat (un phénotype) à la sortie. Ce modèle pose un problème sérieux en ce qu’il ne permet pas d’expliquer l’évolution de façon non téléologique. Car l’information dans un programme est localisée, et c’est pourquoi les programmes ne sont pas robustes. Une mutation locale aléatoire dans un programme le détruirait dans presque tous les cas. Pour pouvoir conserver une représentation téléonomique et non téléologique (étude de la finalité), nous devons remplacer ce modèle par un autre qui attribue aux ADN un rôle plus robuste » (Atlan & Koppel, 1991, p. 199).

 

Est-ce que notre intelligence est inscrite dans nos gènes dès la naissance ?


L’intelligence, est-elle héréditaire ou acquise ?

 

Le quotient intellectuel QI 

Les psychologues français Alfred Binet (1857-1911) et Théodore Simon (1873-1961) ont mis au point en 1905 des tests pour mesurer l’intelligence des enfants de 3 à 15 ans. L’âge mental de l’enfant est évalué en fonction du type d’épreuves qu’il est à même de surmonter.

Exemples 

§  Reconnaître la différence entre le matin et le soir : 6 ans.

§  Compter de 20 à 0 par ordre décroissant : 8 ans.

§  Connaître les mois de l’année dans l’ordre : dix ans.

§  L’âge mental est calculé à partir des épreuves réussies. Par exemple, un enfant qui réussit tous les exercices jusqu’à l’âge de 11 ans et trois parmi les cinq épreuves de l’âge de 12 ans, a un âge mental de 11.6 ans.

 

Et depuis  les tests de QI ont été normalisés et leurs items sont testés au préalable sur des populations témoins d’âge précis. Ne sont conservés dans les tests que les items qui permettent de répartir 95 % des individus de cette population entre les valeurs 60 et 40 de QI.

 

Le quotient intellectuel a été l’objet de critiques diverses

Chacun connaît des personnes ayant une intelligence extraordinaire, mais limitée à un domaine particulier. Chacun sait que l’intelligence n’est pas une capacité figée, on parle maintenant de la plasticité cérébrale et de la plasticité de l’intelligence, par exemple : un élève qui  n’a pas réussi cette année, peut réussir l’année suivante. Un jeune étudiant qui a échoué dans ses études, peut récupérer à un certain âge plus avancé. Ainsi, il est aventureux de faire l’amalgame entre toutes les formes d’intelligence, et encore plus d’envisager un QI unique et universel, sans tenir compte des différences culturelles. (Neubauer, 2003).

Kahn (2000) : « En mai 1998, dans le journal Psychological Science […] Les auteurs en concluaient qu’un gène intervenant dans l’intelligence est porté par le chromosome 6 et est situé à proximité de la séquence polymorphe. Tous les généticiens savent l’extrême prudence avec laquelle il convient d’accueillir de tels résultats. Ce sont des approches similaires qui ont conduit, dans le passé, à des conclusions ensuite démenties portant sur la localisation de gènes dans les maladies psychiatriques et dans l’homosexualité masculine ».

Jacquard (2002): «  c’est à propos de l’intelligence que se pose avec plus d’acuité la question de l’inné et de l’acquis. Pour des raisons idéologiques, il est tentant d’admettre que toute activité résulte des dons de la nature, ou au contraire que l’essentiel résulte de l’aventure vécue. L’expérience idéale pour trancher entre ces deux thèses serait de comparer des vrais jumeaux élevés dans des conditions très différentes.  Mais le nombre des cas observés avec rigueur est trop faible pour permettre une conclusion. Une étude bien documentée a été publiée par l’INSERM, un institut français de recherche. Trente cinq enfants de statut social très bas et adoptés par des familles de niveau élevé ont été suivis tout au long de leur scolarité, et leurs parcours ont été comparés à ceux de leurs trente-neuf frères et sœurs restés dans leurs familles d’origine. Parmi les premiers, un seul échec scolaire grave a été constaté, parmi les seconds, douze. Il est clair que le développement intellectuel conditionnant l’insertion dans la société dépend plus des conditions de vie des enfants que de leur patrimoine génétique. Les gènes peuvent être responsables de cas pathologiques, mais ils n’ont guère d’influence sur la construction fine de l’intelligence».

         Jeannerod : « on prend un concept aussi global, aussi multifactoriel que l’intelligence, on le ramène à un seul facteur par des artifices statistiques, ensuite on cherche sa transmission génétique et on fait des banques du sperme pour Prix Nobel ! » (Oliva, 1995).

         Giordan (1998) : « Il faut envisager l’apprendre dans un double mouvement, du biologique au social et du social au biologique, ce qui permet de dépasser aisément les querelles habituelles sur l’inné et l’acquis. C’est de leur interaction que naît cette caractéristique de la pensée humaine que l’on nomme intelligence ».

 

A ceux qui disent que l’intelligence n’est pas du tout génétique mais uniquement acquise, il faut sans cesse rappeler que la genèse du cerveau est déterminée par les gènes et son épigenèse est le résultat d’interaction entre le génome et l’environnement.

Pour connaitre les conceptions des professeurs tunisiens sur l`origine de l`intelligence, j`ai  posé la question suivante dans une enquête:

* Y a-t-il une prédisposition génétique chez les parents qui induirait leurs enfants à être très bons à l’école ?

1   OUI         1     NON 

Justifiez votre réponse.

         Contrairement à ce qu`on attendait, les résultats collectés ont montré qu`un tiers des personnes interrogées croient que l’intelligence est héréditaire (35,2 % ou 98/275). Ceci pourrait s’expliquer par l’impact de l’enseignement scolaire (dominance du paradigme du « tout génétique ») combiné à l’effet des media qui véhiculent une idéologie déterministe. Par contre on sait maintenant que l’intelligence se construit en fonction de l’expérience individuelle par interaction entre l’environnement et le génotype.

 

Dans ce qui suit, en plus de l`intelligence, nous allons poser le problème de l`agressivité humaine et nous allons voir si elle est inscrite dans nos gènes dès la naissance ou elle est  épigénétique?

 


L’agressivité, est-elle héréditaire ou acquise ?

 

Clément et al (1981) répond à la question précédente comme suit : « Non, il n’existe pas de gène de violence ni de " chromosome du crime". Une composante hormonale existe. Cependant, le rôle de l’environnement social est primordial. En 1965, un article dans la célèbre revue anglo-saxonne Nature établissait pour la première fois une corrélation entre le caryotype XYY, un déficit mental, et un comportement agressif. Parmi 197 détenus, les chercheurs découvrirent 7 XYY, soit bien plus que dans une population témoin de 1925 hommes examinés au hasard, dont un seul était XYY [] Actuellement il semble admis que le pourcentage de XYY dans les institutions pénales est légèrement supérieur à 1 % et de 0.1 % dans la population générale. [] Dans aucun article nous n’avons trouvé ce pourcentage de plus de 99 % de porteurs XYY qui n’on jamais été emprisonnés ou enfermés. Or il aurait suffi que le doigt soit mis sur cette évidence pour que le mythe du « chromosome du crime » ne puisse naître ! [] Une erreur fréquente chez les chercheurs est de transformer une corrélation en une relation de cause à effet : une alternative possible (parmi d’autres) expliquant la corrélation entre XYY et emprisonnement, sans qu’il y ait la moindre relation de cause à effet entre les deux paramètres ».

Kahn (2000) : « (…) L’article qui rapporte ces résultats, publié dans Nature, en tire la conclusion qu’un ou deux gènes de "sociabilité" sont portés par le chromosome X masculin. Malgré son intérêt, cette hypothèse doit être considérée avec précaution ; en effet, doit-on penser que les hommes, dont le chromosome X est évidemment d’origine maternelle puisqu’ils ont hérité d’un chromosome Y de leur père, sont tous des êtres asociaux comparés aux femmes qui ont la chance insigne d’avoir hérité de leur père ce chromosome X de la "sociabilité" ? La tendance naturelle de la gent masculine à se réunir entre copains, à former des clubs de pétanque ou de chasse, ne le suggère pas vraiment ».

 

Question de recherche : Y a-t-il une prédisposition génétique chez les parents qui induirait leurs enfants à être agressifs ?                        

1   OUI         1     NON 

Justifiez votre réponse.

 

Présentation de quelques résultats 

ü La majorité des personnes tunisiennes interrogées (71,7 %) refusent le déterminisme génétique de l’agressivité en répondant « non ».

ü Le cinquième  de ces personnes interrogées (21 %) déclarent croire à l’hérédité de l’agressivité en répondant « oui ». Ce résultat nécessite un commentaire spécial car il est alarmant. Ceci pourrait être du au mythe tenace du chromosome du crime (Clément et al, 1981) qui sévit encore car les media ne l’ont pas combattu avec le même enthousiasme que celui qui a servi à sa propagation.

ü Le dixième des personnes interrogées (9.8 %) ont fourni des arguments génétiques selon le modèle causal linéaire (génotypeà phénotype).

ü Le tiers des personnes interrogées (33,1 %) ont fourni des arguments environnementaux et 5,1 % ont fourni des arguments non génétiques ce qui suggère que le refus du déterminisme génétique de l’agressivité peut être remplacé par un déterminisme culturel selon le modèle causal linéaire (environnement) ou (non génétique) à phénotype),

ü 0.4 % seulement des personnes interrogées ont fourni des arguments environnementaux et génétiques, mais selon le modèle additif (environnement + génotype à phénotype).

 

Si l`intelligence et l`agressivité ne sont pas héréditaires, peut-on donc cloner l`homme intelligent (les prix Nobel) ou l`homme agressif (les criminels)?          
Peut-on cloner l’Homme ?

 

Clonage et épigenèse 

En 1997, des chercheurs britanniques sont parvenus à cloner une brebis, à créer en laboratoire son double génétique, sans fécondation d’un ovule par un spermatozoïde, à partir d’une cellule différenciée prélevée sur une glande mammaire. Mais la succession d’évènements, ayant permis la naissance de la fameuse brebis Dolly, a bien peu de chances de se produire dans la nature (Gouyon et al., 1997). Dolly, la petite brebis met le monde en ébullition et à partir de ce moment on commence à penser sérieusement au clonage humain. Je cite ici Prochiantz (1993) qui attire notre attention sur la difficulté de cloner l’Homme : « […] on peut faire l’hypothèse que plus une espèce occupe une position élevée dans l’échelle évolutive, plus la part de l’épi-génétique, comparée à la part du génétique, prend de l’importance dans la construction des individus. ».

 

Critiques épistémologiques récentes du terme clonage par Rumelhard (2005) 

Il faudrait citer ici en totalité le paragraphe pour bien comprendre sa critique avec laquelle je suis tout à fait d’accord « Les termes de clone et de clonage véhiculent une " représentation culturelle" très active et fortement contagieuse (Claude Debru, 2003 p. 385-397). Initialement au milieu des années 1950, le terme apparaît chez les botanistes et les agronomes. Klôn signifie en grec petite branche, et le verbe Klaô signifie couper, tailler des branches, fragmenter. Sur cette origine se greffent deux images : celle de la reproduction végétative, et celle    de la fragmentation. C’est   l’ensemble    des individus    obtenus      sans  fécondation, à partir d’un   seul   individu,  par    parthénogenèse  ou  par  bouturage. De   cette pratique à celle du transfert de noyaux, puis à la réalisation du clonage reproductif chez les batraciens (John Gurdon, 1970), puis chez les mammifères, puis chez l’homme le chemin est long et le changement de signification important. Clone ne signifie pas un groupe de membres identiques, mais un membre individuel de ce groupe. " Ce n’est plus le groupe, la reproduction en nombre, qui est en vue et peut susciter l’effort, mais l’individu, et avec cette signification, c’est une certaine culture, non de la production de masse, mais du narcissisme individuel, qui s’introduit. Le terme de clonage en est donc venu à désigner des réalités très différentes avec des connotations quasiment opposées et une très grande ambivalence". Une base expérimentale assez semblable soutient cette fois des problèmes, mais aussi des représentations, sinon des fantasmes, très différents. »

 

Conclusion sur le clonage humain 

Au-delà de la critique pertinente de Rumelhard, poser à des personnes des questions sur le clonage permet d’avoir des conceptions intéressantes qui porteront à la fois sur :

-          la question du déterminisme génétique des compétences intellectuelles (ou autres), ce qui rejoint l’axe central de notre recherche sur les déterminismes biologiques ;

-          les connaissances scientifiques, avec ou non la confusion entre clonage et photocopie, la prise en compte ou non de l’épigenèse cérébrale ;

-          et enfin des positions éthiques quand au droit moral de cloner un être humain, en tant que pratique socialement admise ou interdite.

 

Si on ne pourra jamais cloner l`homme intelligent ni l`homme agressif, peut-on au moins éviter les maladies héréditaires ?


Peut-on éviter certaines maladies héréditaires ?

 

Science et idéologie : Les maladies héréditaires ne constituent pas une fatalité !

Un des objectifs du  débat actuel est de dissocier le postulat matérialiste de la biologie des conceptions héréditaristes et réductionnistes qui lui collent trop à la peau (Clément, 1999). Dans les manuels scolaires tunisiens et français (mis à part Nathan), l’identité d’un être humain est systématiquement associée à la seule identité génétique, ce qui manifeste des choix implicites très héréditaristes (Abrougui, 1997). Ces choix peuvent conforter des conceptions héréditaristes chez les enseignants tunisiens et des blocages ou absences de motivation chez les apprenants qui pourraient ainsi dire : l’intelligence est héréditaire, et si nous ne sommes pas intelligents, ce n’est pas notre faute et on n’y peut rien. Donc à quoi sert de travailler si notre destin est déjà écrit dans l’ADN ?

A présent, on pense que tous les comportements, toutes les pensées, de tous les êtres vivants sont des effets de l’interaction entre l’environnement et l’ADN. Mais les facteurs de l’environnement sont très faiblement pris en considération dans les manuels scolaires tunisiens, car ils sont absents dans les programmes, ce qui traduit un choix de la noosphère (Abrougui, 1997).

L’identité biologique est un concept porteur de plusieurs sens. Elle est en partie définie, bien sûr, par notre génome unique (ADN). Cette identité englobe le biologique, le génétique, le comportemental, le psychologique, car les traits psychologiques ont, avec l’épigenèse, une base neuronale : ils sont aussi biologiques (Abrougui & Clément, 1996). Notre identité biologique, c’est tout notre corps en interaction avec son environnement intérieur et extérieur comme l’affirme  Prochiantz (1993) « On ne pense pas de la même manière si on est un manchot ou si l’on a ses deux mains ». L’intelligence n’est pas uniquement située dans la tête.

L’exemple connu de modification du déterminisme génétique, c’est le cas de la lutte contre  la "phénylcétonurie" (n.b.1)  par un régime carencé en phénylalanine responsable de cette maladie chez les porteurs du gène (Jacquard, 1972). Nous savons aussi que l’expression du gène dépend de son environnement cellulaire comme dans  le cas du colibacille (n.b.2).

Il n’empêche que certains gènes sont directement déterminants comme dans le cas de la maladie de « la chorée de Huntington» (n.b.3). Cependant, il est des cas d’anomalies génétiques où l’environnement peut empêcher la prédisposition génétique de se concrétiser comme dans le cas où la découverte d’une prédisposition à un infarctus du myocarde peut conduire à une hygiène, alimentaire notamment, plus stricte. Un autre exemple est cité par Atlan : « Certains cancers du sein ont une détermination génétique : ce sont les cancers familiaux et précoces, qui touchent, de mère en fille, des femmes relativement jeunes. Actuellement, on a identifié des gènes qui déterminent l’apparition de cancers dans ces familles. Cette détermination n’est pas absolue, mais importante, car elle a été estimée à 80 % (bien que cette estimation soit contestée),  […] Toute la question est là : est-ce 20 % c’est beaucoup ou non, est-ce que 80% c’est beaucoup ou non ? Dans ces exemples, la prédiction n’est pas absolue. Quand elle est absolue (ce qui est rare), comme dans le cas de la chorée de Huntington, pour autant on ne sait pas à quel moment la maladie va se développer. » (Atlan & Bousquet, 1994, p.p. 65-66).

Dans l’exemple précédent, Atlan a parlé  de parité (détermination estimée à 80%) mais il a ajouté entre parenthèses que cette estimation est contestée. En effet, elle l’est car il y a une interaction entre le génome, l’environnement et le phénotype donc nous préférons la formule « magico-scientifique » d’Albert  Jacquard « 100 % inné et 100 % acquis » pour chaque caractère, (Jacquard, 1993).

 

Notes de bas de page

1.      Phénylcétonurie : Affection héréditaire dans laquelle l’enzyme qui transforme la phénylalanine (acide aminé) en tyrosine (autre acide aminé) est déficiente et cela provoque une arriération mentale sévère. Un traitement est possible, il consiste à restreindre la prise de phénylalanine qui est un constituant de la plupart des aliments renfermant des protéines. Le malade est soumis à un régime, principalement végétarien, très pauvre en protéines.

 

2.       Colibacille : Ce n’est qu’en présence de lactose que le colibacille se met à synthétiser une protéine qui lui permet de tirer de l’énergie de ce sucre particulier. Ce signal qui déclenche la transcription du gène correspondant est détecté par une partie du gène lui même (Chambon, 1993).

 

3.      La chorée de Huntington : Maladie peu fréquente dans laquelle la dégénérescence des noyaux striés gris centraux du cerveau entraîne une chorée (mouvements involontaires, rapides, saccadés) et une démence (détérioration mentale progressive). C’est une maladie génétique à transmission autosomique dominante. Les symptômes n’apparaissent généralement pas avant l’âge de 35 à 50 ans ; dans de rares cas, cette maladie survient dans l’enfance (Encyclopédie médicale de la famille, Larousse, 1991).

 

Si l’intelligence n’est pas héréditaire par les gènes à 100%, quel est donc son autre support  biologique?


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partie 2.3 :

Polémique autour du cerveau humain

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Evolution des connaissances sur le cerveau


        Les végétaux n’ont ni système nerveux ni cerveau. La plupart des animaux que nous connaissons ont un cerveau (concentration de groupes de neurones dans la partie antérieure du corps, la tête), mais il y a des animaux qui ont un système nerveux sans cerveau comme les coraux, les méduses et les anémones de mer, d’autres n’ont ni système nerveux ni cerveau comme les éponges et les unicellulaires. 

         Ce qui distingue le cerveau de l’homme de ceux des animaux, c’est le grand développement des circonvolutions de la région frontale siège des facultés cérébrales les plus élevées, jugement, réflexion, abstraction, etc. (Broca). 

 

Paléontologie du cerveau 

Comme toutes les parties molles des animaux, le cerveau n’est pratiquement jamais fossilisé mais la cavité crânienne fossilisée reflète assez précisément l’anatomie de la surface du cerveau. L’apparition d’un « cerveau » remonte à près de 700 millions d’années.

 

Matérialisme contre spiritualisme et modèles du cerveau 
Spiritualisme, dualisme et modèle hydraulique

De Platon à Descartes et même à nos jours, certains philosophes récusaient l’idée selon laquelle il existerait un support biologique de l’âme. 
Dans l’Antiquité, en Grèce comme en Egypte, on se posait la grande question : « où siège l’âme, dans le cœur ou dans le cerveau ? ».

 
Thèse cardiocentrique 

Malgré leur papyrus, il semble que les anciens égyptiens comme les mésopotamiens ou les hébreux et mêmes Homère (poète de l’Iliade) et Lucrèce croyaient que c’est le cœur et non le cerveau qui est responsable de nos comportements. 

Aristote (3 siècles avant J.-C.) réactualise Homère en affirmant que le cœur est le siège des sensations, des passions et de l’intelligence. Le cerveau pour lui «composé d’eau et de terre» ne joue que le rôle de réfrigérateur de l’organisme car il ignore l’existence des nerfs, mais a observé les vaisseaux sanguins ainsi que leur convergence vers le cœur. 


Thèse céphalocentrique 

En 1930, J. Breasted déchiffre un papyrus égyptien qui contient un traité de chirurgie où, pour la première fois dans l’histoire, le cerveau apparaît sous un nom qui lui est propre. Ce manuscrit, daté du XVIIème siècle avant J.-C., est vraisemblablement une copie d’un texte antérieur rédigé vers les années 3000 avant notre ère. On y trouve une liste de 48 cas de blessures à la tête et au cou […] Le cas 8 est capital : le scribe note qu’ «une blessure qui est dans le crâne» s’accompagne d’une « déviation des globes oculaires » et que le malade «marche en traînant le pied». 

5 siècles avant J.-C., Démocrite qualifie le cerveau de « citadelle du corps », de « gardien de la pensée et de l’intelligence ». 

Hippocrate, le plus grand médecin de l’antiquité, précise que « si l’encéphale est irrité, l’intelligence se dérange ». Lui et ses collègues consolident et enrichissent la thèse de Démocrite par l’observation clinique : Croton et Hippocrate indiquaient que le cerveau est l’organe de la « raison » ou d’un « esprit dirigeant» et considéraient le cœur comme un organe des sens. 

3 siècles avant J.-C., Hérophile rectifia l’erreur d’Aristote en considérant le cerveau comme le siège de la pensée. 

2 siècles après. J.-C., Galien, médecin romain, (130-200), porte le coup fatal à la thèse cardiocentrique en montrant par des expériences que le cerveau joue bien le rôle central dans la commande du corps et de l’activité mentale. Mais l’opinion erronée d’Aristote survivra jusqu’à nos jours : on la rencontre chez nos élèves de 3ème à l’occasion de la leçon sur le cœur. Heureusement qu’on peut la réfuter facilement aujourd’hui en invoquant un argument scientifique solide : la transplantation cardiaque ne change pas le comportement du patient. Selon Galien, le « pneuma psychique » ou « organe de l’âme », que les ventricules produisent et stockent, circule dans les nerfs et met ainsi en relation cerveau, organes des sens et organes moteurs. Il subdivise l’âme en trois fonctions : motrice, sensible et raisonnable puis poursuit la décomposition de l’âme raisonnable en trois facultés qu’il nomme imagination, raison et mémoire. 

4 siècles après. J.-C., Les pères de l’église, Némesius et Saint-Augustin logent les trois facultés de Galien dans trois ventricules cérébraux où s’écoulent les esprits animaux (anima = âme).

            15 siècles après. J.-C., avec la renaissance, les dissections des animaux et surtout des cadavres reprennent, ce qui ouvre la voie à l’anatomie. Léonard de Vinci donne un dessin précis des circonvolutions cérébrales. Les ventricules sont remplacés par des parties solides de la substance même du cerveau mais il conserva la notion de la localisation des facultés psychiques dans les trois ventricules comme en témoigne un de ses dessins (cf. frontispice, p.5). 

17 siècles après. J.-C., avec Descartes, philosophe français (1596-1650), le pneuma de Galien deviendra « les esprits animaux » (anima = âme), qui véhiculés dans les nerfs, gonflent les muscles. Il logeait l’âme dans la glande pinéale (l’épiphyse) et croyait que cette glande fait l’union de l’âme et du corps. Descartes, le physiologiste a chassé l’âme du corps pour pouvoir l’analyser mais en tant que métaphysicien, il a sauvé l’âme du scalpel du physiologiste en l’immatérialisant. Pour lui le corps est une machine mais il continue de croire que l’âme est immortelle. Le « dualisme cartésien », ou séparation entre l’âme immatérielle et le corps machine, ménage la chèvre et le chou. Ce dualisme affiché pourrait ne pas être l’authentique pensée de l‘auteur d’après J. P. Changeux car l’immatérialité de l’âme était la doctrine officielle à son époque. Dans la civilisation arabo-musulmane au moyen âge, ce dualisme est courant chez les savants qui hésitaient à s’opposer ouvertement à la doctrine officielle par flagornerie ou par crainte du pouvoir établi. 

Encore 17 siècles après. J.-C., Willis (1664) met un point final à la doctrine ventriculaire et attribue avec raison, la primauté au cortex cérébral. Toutefois comme Descartes, il accepte encore l’idée d’une âme immatérielle. La recherche d’un support anatomique pour l’âme reste une préoccupation des anatomistes, Willis la logeait dans le corps strié, Vieussens (1685) dans la substance blanche des hémisphères, et Lancisi (1739) dans le corps calleux. 


          Les dualistes contemporains tentent de perpétuer une certaine tradition cartésienne avec des termes actualisés. Ce courant minoritaire a la chance de compter dans ses rangs des noms aussi illustres que ceux du Karl Popper, Sir John Eccles (neurobiologiste et prix Nobel de médecine 1963) et Roger Penrose (mathématicien et physicien). Eccles, pour qui l’âme serait en fait réunie par Dieu au fœtus trois semaines environ après la conception, a dit « (…) nous devons reconnaître que nous sommes des êtres spirituels vivants dans un monde spirituel, tout comme il existe des êtres matériels dotés d’un corps et d’un cerveau évoluant dans un monde matériel ». Mais il se démarque de Descartes en affirmant que sans le cerveau, il n’y a plus de conscience et que la conscience émerge et acquiert une nature différente de la matière cérébrale. Elle utilise le cerveau, plutôt que de se fondre avec lui. (Frei 1999). Penrose pense que nous ne vivons pas dans un monde unifié mais qu’il existe un monde mental distinct qui se « fonde » sur le monde physique. Selon lui, nous vivons dans trois mondes distincts : un monde physique, un monde mental et un monde d’objets abstraits comme les nombres et d’autres entités mathématiques. (Searle, 1996).

Je termine ce paragraphe par les propos très éloquents de D.C. Dennett dans une interview (Dennet, 1999

La Recherche (revue): Pendant des siècles, les gens ont cru que leur esprit et leur corps étaient deux choses de nature différente. Descartes lui-même, considérait cette distinction comme évidente. Qu’en pensez-vous ? 

Daniel Dennett : Ce « dualisme », cette croyance irréfléchie en la dualité du corps et de l’esprit, peut paraître naturelle : elle n’en est pas moins radicalement fausse. Nous savons aujourd’hui que chacune de nos idées, chacune de nos rêves, chacun de nos états d’esprit n’est rien d’autre qu’un événement qui se produit dans notre cerveau. Cette vue matérialiste est, désormais, communément acceptée. Si complexe et intéressante soit-elle, la conscience n’est donc qu’un phénomène physique de plus, au même titre que le magnétisme ou la photosynthèse. 

NB : Cette synthèse ci-haut a été le fruit de la lecture des 5 livres suivants : L’homme neuronal de J.-P. Changeux (1983), Mille cerveaux mille mondes (1999), l’article de P. Clément «Conceptions sur le cerveau santé et normalisation», Voyage au centre du cerveau d’E. Fottorino (1998), La construction du cerveau d’A. Prochiantz (1989 révisé en 1993).

 

Broca a distingué le cerveau de l’homme de ceux des animaux. Dans l`espèce humaine, y-a-il une différence entre le cerveau de l`homme et celui de la femme ?




Le cerveau de la femme n’est ni inférieur ni identique à celui de l’homme

 

Jalila Behi: « L`Humanité, l`homme n`en a que la moitié » (Editions Nirvana, 2003).

Je commence par une enquête que j’ai effectuée, en  2000, sur un échantillon composé de 275 personnes (étudiants et enseignants tunisiens). Dans  l’un des sujets de cette enquête, je suis arrivé au résultat suivant : 33 % des personnes interrogées affirment que le cerveau de l’homme est plus lourd que celui de la femme.

Les origines de ces conceptions non scientifiques et idéologiques pourraient venir des travaux de Broca et il se pourrait que les biologistes qui n’ont pas étudié l’épistémologie et l’histoire des sciences ne soient pas au courant des corrections de Gould.

En 1861, Paul Broca, éminent neurobiologiste français et chef de file de la craniologie, mesure le poids des cerveaux d’hommes et de femmes. Etant donné que les cerveaux des femmes étaient nettement moins lourds que ceux des hommes, Broca mit en relation cette « infériorité physique » avec ce qui était admis à cette époque : « l’infériorité intellectuelle » des femmes. Cent vingt ans après, Stephen Jay Gould, paléontologue américain, a ré-analysé les mesures originales de Broca et montré que les différences de poids de ces cerveaux étaient d’abord liées à la taille des individus, puis à leur âge, puis à la présence ou absence de méninges, etc. : le paramètre sexe n’intervient jamais !

Dans un ouvrage scientifique, « La mal mesure », Gould, 1983, a écrit : « Sur un total de 292 cerveaux masculins, Broca calcula que le poids moyen s’établissait à 1325 grammes et sur 140 cerveaux féminins à 1144 grammes, soit une différence de 181 grammes ou 14 %. Stephen Jay Gould a mis en évidence la fragilité des conclusions de Broca : le poids du cerveau diminue avec l’âge et les femmes de Broca étaient, en moyenne, nettement plus âgées que ses hommes. Le cerveau grossit proportionnellement à la taille et ses hommes avaient en moyenne presque 15 centimètres de plus que ses femmes. La différence moyenne entre le poids du cerveau d’un homme de 1.62 m et un de 1.93 m est égal à 113 grammes dans les données de Broca. Personne ne songe à considérer les hommes grands plus intelligents que les petits. ». Et personne ne songe à considérer le cachalot, mammifère marin, plus intelligent que l’homme parce qu’il a un cerveau de 10 kilogrammes.

Par ailleurs, d’autres travaux ont prouvé que, dans l’espèce humaine, il n’existe aucune relation entre le poids du cerveau et l’intelligence ou toute autre performance intellectuelle (Vidal, 2001). Mais plus d’un siècle de croyances craniologiques a marqué des générations d’enseignants et d’élèves, et s’est inscrit dans notre langage quotidien (« grosses têtes, petites têtes », « cerveaux d’oiseaux », etc.). Il n’est pas si facile de s’en sortir, et de faire passer le message que les performances cérébrales résultent des processus d’épigenèse au cours desquels se configurent et reconfigurent nos réseaux neuronaux en interaction avec les expériences vécues. Un réseau neuronal est un ensemble de neurones du système nerveux, qui ayant des données différentes, peut les combiner pour en déduire un état précis, par exemple, savoir de quelle force est la pression exercée sur la main, sa localisation.

Supposons que deux bébés vrais jumeaux abandonnés sont adoptés par deux familles différentes, l’un devient médecin et l’autre ingénieur. Si nous analyserons leurs cerveaux par imagerie médicale, on trouvera des réseaux neuronaux différents malgré leur similitude totale en poids, volume et nombre de neurones. Donc, c’est tout à fait normal qu’il existe des différences entre les cerveaux des hommes et ceux des femmes au niveau de la configuration des réseaux neuronaux. On sait maintenant que le cerveau influe sur le comportement et le comportement influe sur le cerveau. Donc les deux sont en interaction. Et on sait aussi que les hommes et les femmes n’ont pas le même comportement et ne vivent pas dans le même environnement.

Les  réseaux neuronaux du cerveau forment le support biologique des différences entre les opinions des hommes et des femmes. La maturation du cerveau dépend des interactions entre l’inné et l’acquis. Un singe n’atteindra jamais l’intelligence d’un homme même s’il vit dans le même environnement car tout simplement il n’a pas hérité un cerveau humain.

Le nombre de réseaux neuronaux n’augmente pas proportionnellement au poids du cerveau. Et d’ailleurs, le petit cerveau d’un oiseau, avec ses réseaux complexes, est capable de réaliser des performances formidables comme par exemple sa performance intellectuelle supérieure « chanter ».

 

Conclusion 

Le cerveau de la femme n’est ni inférieur ni  identique à celui de l’homme. Il me semble que les opinions non scientifiques sont très résistantes et qu’on ne peut pas  les changer seulement grâce à l’acquisition des connaissances exactes. Bien que l’information correcte (Le poids du cerveau n’a aucun rapport avec l’intelligence, mais il varie en fonction du poids du corps) existe dans le manuel scolaire officiel du bac, enseignants et élèves persistent à croire que l’homme est plus intelligent que la femme car son cerveau est plus grand.                                                                                  

 

Problématique : Comment peut-on changer ces   opinions sexistes qui favorisent les hommes aux dépens des femmes selon le volume de leur crâne  et le poids de leur cerveau?

 

Comment fonctionne donc notre cerveau ?


Le cerveau humain: est-il un tout ou la somme des parties ?

 

Débat entre les unitaristes et les localisationnistes du cerveau

ü F. Lhermite propose de comparer le cerveau à la ville de Paris : « Si une bombe détruit le pont de la Concorde, la fonction circulatoire  de la ville sera gravement affectée. Est-ce à dire que la circulation automobile à Paris siège sur le pont de la Concorde ? Notre cortex fonctionne comme un tout. Certaines zones sont spécialisées. Mais chacune prise isolément n’a aucun sens. » (Fottorino, 1998).

ü Le progrès de l’imagerie médicale a confirmé, tout en les nuançant, les thèses localisationnistes (confirmation des homonculus, zones visuelles, centres du langage, etc.) mais en même temps,  les zones d’association qui occupent plus que 80 % de la surface du cortex restent encore largement méconnues.  L’imagerie médicale montre que quand on parle, la zone de Broca est activée mais elle nous fait découvrir en même temps le fonctionnement en réseau du cortex.

 

ü Chacune des deux théories, le localisationnisme et l’unitarisme, a contribué au développement des connaissances sur le cerveau et sur son activité. Les localisationnistes ont fait des découvertes cliniques importantes concernant les aptitudes psychiques et leurs supports anatomiques. Les unitaristes ont insisté sur le fonctionnement global du cerveau et ont préparé le terrain à la découverte de la théorie de l’épigenèse et de la plasticité cérébrale.

 

Les deux théories, localisationniste et unitariste, se complètent malgré leurs divergences apparentes. L’apport des deux conceptions à la neurophysiologie contemporaine ne peut pas être nié. Aujourd’hui, on accepte à la fois l’existence des centres cérébraux mais on refuse de lier une fonction psychique à un territoire bien délimité du cerveau. M. Meunier et M. Jannerod, 1999, affirmaient que : « A elle seule, la fonction de la vision sollicite au moins trente régions différentes du cortex du singe ».

Notre cerveau, fonctionne-t-il comme un ordinateur ?

 


Critiques récentes du modèle  ordinateur du cerveau

L’ordinateur impressionne les adultes avant les enfants. Avec un milliard d’opérations par seconde, il y a de quoi émerveiller le monde entier. Mais quel ordinateur reconnaîtrait un coquelicot ou un papillon, déciderait de changer d’avis, de se reprogrammer, d’être Goethe et d’enfanter Faust ? (Fottorino, 1998). L’émerveillement devant un micro-ordinateur nous fait oublier que ses performances sont programmées par l’homme. On développe actuellement des unités élémentaires de traitement de l’information dans des ordinateurs neuro-mimétiques. L’analogie s’arrête là quand on sait que dans le cerveau humain, le nombre des synapses est supérieur au de 1016 et que chaque neurone cortical humain en établit une moyenne de 10 mille avec des neurones voisins, alors que les liaisons de chaque unité élémentaire de traitement parallèle de  l’information dans un ordinateur sont inférieures à une dizaine. Notre mémoire diffère de celle de l’ordinateur en deux points : tout d’abord, sa capacité est énorme ; on suppose qu’elle est équivalente à environ 1016 bits (dix millions de milliards de bits), alors que la mémoire centrale du Cray C98, l’un des ordinateurs les plus puissants en 2007, peut stocker au maximum 64 milliards de bits. La façon dont une information aussi gigantesque est stockée si efficacement et récupérée si rapidement reste très mystérieuse. Ensuite, notre cerveau possède deux formes distinctes de mémoire, la mémoire déclarative ou cognitive (savoir) et la mémoire procédurale (savoir-faire) (Masao, 1994).

Je termine ce paragraphe par les critiques de Varela (1998) et Edelman de la notion du « cerveau ordinateur ». Varela  dans un article- interview  intitulé « le cerveau n’est pas un ordinateur » : « la notion d’ordinateur neuronal n’est pas évidente, parce qu’un ordinateur, stricto sensu, c’est un système numérique ». (La Recherche, 1998). Le cerveau ne peut pas fonctionner comme un ordinateur, explique en substance Gerald Edelman (1989), parce qu’il n’a pas de programme. Il n’obéit pas à une série d’instructions codées au préalable. Le bébé qui apprend à reconnaître, par exemple,  les  petites autos, n’avait pas au départ une catégorie « voitures miniatures » inscrite dans la mémoire. « Le monde ne se présente pas au cerveau comme morceau d’enregistrement informatique contenant une série non ambiguë de signaux, écrit Edelman. Le cerveau permet à l’animal de sentir son environnement, de catégoriser des structures au sein d’une multitude de signaux variables et de déclencher des mouvements. […] l’aptitude du système nerveux à effectuer une catégorisation perceptive  des différents signaux pour la vue, le son, etc., et à les diviser en classes cohérentes sans code préalable est propre au cerveau, et les ordinateurs n’y parviennent pas. »  (Le nouvel Observateur, 2000).

 

 

 


 

Perspectives

 

L`orateur ne comprend pas que son public cible ne comprend pas.

Les prosélytes ne comprennent pas que leurs adeptes ne comprennent pas.

L`élite ne comprend pas que la base ne comprend pas.

Les médecins ne comprennent pas que leurs patients ne comprennent pas.

Les ingénieurs ne comprennent pas que leurs ouvriers ne comprennent pas.

Les artisans ne comprennent pas que leurs apprentis ne comprennent pas.

Les parents ne comprennent pas que leurs enfants ne comprennent pas.

Les épouses ne comprennent pas que leurs époux ne comprennent pas.

Les époux  ne comprennent pas que leurs épouses ne comprennent pas.

Le tiers-monde ne comprend pas que le premier monde ne comprend pas.

 

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STAVY, R. and BERKOVITS B. (1980). Cognitive conflict as a basis for teaching aspects of the concept of temperature. Science Education, 64, pp 679-692.

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VARELA, F. J. (1989). Connaître les sciences cognitives tendances et perspectives. Paris : éditions du Seuil.

VIDAL, C. (2001). Quand l’idéologie envahit la science du cerveau. ? La Recherche, hors série 6, « Masculin-Féminin », pp 75-79.

VYGOTSKY, L. S. (1934, traduction française 1985). Pensée et Langage, Paris : Ed. Sociales, p 158.

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XAVIER, R. & DE KETELE, J.-M. (1999). Une pédagogie de l’intégration : compétences et intégration des acquis dans l’enseignement. In PED (Pédagogies en développement). Paris-Bruxelles : De Boeck Université, pp. 27-43.

 

Dictionnaires et manuels scolaires

Sciences de la Vie et de la Terre. (2001). 1re S. nouveau programme. Paris : Hatier.

Sciences de la Vie et de la Terre. (2001). 1re S. nouveau programme. Paris : Bordas.

ABROUG, R. & al (2001). Sciences naturelles pour la 3ème année math. Lettres. Technique. Economie et gestion. Tunis : CNP, 141 p. (Manuel scolaire).

MORIN, Y. (dir.) (1991). Encyclopédie médicale de la famille (adaptation française de : THE HOME MEDICAL ENCYCLOPEDIA). Paris : Larousse Sélection, 1151 p.

AIMÉ-GENTY, N. (dir.). (1997). LE CERVEAU. Dictionnaire encyclopédique. Paris : Vuibert, 196p.

UNIVERSALIS (1997).

 

Auteur: Mohamed Kochkar, mkochkar@gmail.com, 4 rue Bardo Hammam-Chatt, Fixe: 71431913, Mobile: 23139868.


 


صدر للكاتب

1.     جمنة بين الماضي والحاضر  .................................... 172 صفحة

قريبا سيصدر للكاتب إن شاء الله

2.     تصورات بعض المفكرين حول العَلمانية....................... 105 صفحة

3.     سيرة غير ذاتية وغير موضوعية................................ 131 صفحة

4.     أفكر ولا أبالي......................................................  171 صفحة

5.     قرأتُ فعلّقتُ..........................................................128 صفحة

سلسلة "نقد السائد":

6.     نقد السائد في النظام التربوي التونسي.......................... 221 صفحة

7.     نقد السائد في أشكال التدين الإسلامي الشائع................... 211 صفحة

8.     نقد السائد في التصورات الذكورية حول المرأة................. 63 صفحة

9.     الابن الضال للاتحاد العام التونسي للشغل.......................160 صفحة

10.                       نقد السائد في الأحزاب السياسية التونسية.......................138 صفحة

11.                       نقد السائد في الثورة التونسية..................................276 صفحة

 

 


 

Signature de l`auteur de ce livre,

Citoyen du Monde Dr Mohamed Kochkar

 

« Pour le critique, il ne s’agit pas de convaincre par des arguments ou des faits, mais plus modestement, d’inviter à essayer autre chose »

(Michel Fabre & Christian Orange, 1997).

 

« À un mauvais discours, on répond par un bon discours et non par la violence »

(Le Monde Diplomatique).

 

 

 

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