Le
système éducatif au banc des accusés !
Citoyen du Monde Dr Mohamed Kochkar
Le
système éducatif au banc des accusés !
« La science est réductrice de
la diversité »
Edgar
Morin : « Le temps est venu de changer de civilisation (…) et de réhumaniser l`humanité (…) Jean Jaurès conciliait
patriotisme et internationalisme. Aujourd'hui il faut associer ces deux termes
qui sont antagonistes pour la pensée non complexe : patriotisme et
cosmopolitisme signifiant "citoyen du monde" ».
L`auteur : Chacun
de nos problèmes est un phénomène complexe. Les causes nationales et les causes
internationales de nos maux sont tellement imbriquées les unes dans les autres et en perpétuelle interaction qu’il
m’est impossible de les séparer : C’est pourquoi je suis devenu citoyen du monde, 100%
patriotique et 100% cosmopolite.
Je dédie mon premier ouvrage scientifique à
Pierre Clément, mon meilleur professeur et ancien directeur de thèse.
Je
remercie mes amis, Dr. Alaya Alaya, Dr. Noureddine Layali et Yahya Khalifa pour
m`avoir aidé à corriger certaines imperfections dans ce document.
« Ce n'est pas un signe
de bonne santé mentale d'être bien adapté à une société malade. »
Jiddu
Krishnamurti (2010)
Table
des matières
Préface 1………………………………………………………
…………………..13
Préface 2……………………………………………………………………………15
Première partie :
Didactique des disciplines………………………………..17
Introduction: Tout un système
éducatif au banc des accusés ! Chiraz
Kefi…………………………………………………………………………….…….18
Apprentissage
et
constructivisme?...........................................................23
Apprendre des connaissances ou des valeurs ?………………………………34
« Les
professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent
pas »…………………………………………………………………………………44
La simplification des
concepts scientifiques pourrait induire l’élève en erreur………………………………………………………………………………..47
L’erreur de l’élève pourrait
être utile pour l’enseignant et l’apprenant………………………………………………………………………….53
La fraude dans les examens
scolaires : l’élève n’est pas le seul responsable…………………………………………………………………………59
Seconde partie :
Epistémologie de la biologie………………..……………63
Introduction :
Science et idéologie : exemples en didactique et en épistémologie de la
biologie. Pierre Clément ………………………..…………65
Partie 2. 1 : Polémique autour des deux
paradigmes: l`épigenèse cérébrale et le tout génétique
……………………………………………….…75
L’«épigenèse
cérébrale » complète le « tout génétique »!.............................76
La
« plasticité cérébrale » ouvre de larges applications thérapeutiques……..81
Le
paradigme du « tout génétique », résiste-t-il contre le paradigme de
l’«épigenèse» ?...............................................................................................85
Notre
identité biologique, est-elle déterminée seulement par nos gènes?.....90
Auto-organisation
et émergence : Nos comportements, sont-ils acquis ou héréditaires......................................................................................................96
Partie 2.2 : La fin de
la dominance du paradigme du « tout génétique »……………………………………………………………………….102
Critiques récentes du
déterminisme génétique……………………………….103
« Elmektoub »
dans L’ADN, un programme ou non ?..............................105
L’intelligence,
est-elle héréditaire ou
acquise ?.......................................109
L’agressivité,
est-elle héréditaire ou
acquise ?........................................115
Peut-on cloner l’Homme ?.....................................................................119
Peut-on
éviter certaines maladies héréditaires
?.....................................123
Partie 2.3 : Polémique
autour du cerveau……………………………...129
Evolution
des connaissances sur le cerveau………………………………..130
Le cerveau de la femme n’est
ni inférieur ni identique à celui de l’homme………………………………………………………………………… 137
Le cerveau humain: est-il un tout ou la somme des
parties ?....................141
Critiques récentes du modèle ordinateur du cerveau………………………..143
Perspectives………………………………………………………………………146
Références bibliographiques…………………………………………………….147
Préface 1
Pierre
Clément, Docteur en didactique de la biologie, Professeur de didactique de la
biologie à l`Université Claude Bernard Lyon 1(octobre 2014)
Quand j’ai rencontré pour la
première fois Mohamed Kochkar, en 1998 à l’ISEFC de Tunis où j’allais faire des
cours de Didactique de la Biologie à la première promotion du DEA de
Didactique, il n’avait jamais entendu parler de l’épigenèse cérébrale, c’est à
dire de la façon dont nos neurones cérébraux se configurent en fonction de
notre histoire propre. Il découvrait alors que tout cerveau humain est a priori
capable de tout, d’apprendre n’importe quelle langue par exemple, et que ses
performances s’acquièrent en fonction de ce qu’il apprend à maitriser :
langage, concepts, gestes, procédures … Changeux avait popularisé l’épigenèse
cérébrale dans son best-seller « L’homme neuronal » (1983). Je
faisais largement référence à ce concept dans mon cours, ainsi qu’à d’autres
concepts qui montrent que ce qui est vivant s’auto-construit en fonction de ce
qui l’entoure, et qu’émergent ainsi des pensées, des cellules et autres
structures adaptées ou encore des espèces nouvelles, sans qu’on ait besoin de
faire appel à un déterminisme simpliste de ces nouveautés qui auraient été préfigurées
par un programme, qu'il soit génétique ou autre.
Mohamed Kochkar a été ébloui par la
pertinence de ce concept d’émergence, qui encourage à lutter contre une pensée
fataliste, qui permet de comprendre que chacun construit sa propre pensée et
qui suggère aux enseignants de mettre leurs élèves dans le contexte le plus
favorable pour qu’ils apprennent par eux-mêmes, pas en récitant par cœur sans
comprendre, mais en s’appropriant des connaissances et valeurs qui leur
permettront de résoudre nombre de leurs problèmes individuels et sociaux. J’ai
eu ensuite le plaisir d’encadrer le travail de thèse de Mohamed Kochkar,
focalisé sur l’enseignement, à des lycéens tunisiens, de ces nouveaux concepts
de la biologie, et en particulier de l’épigenèse cérébrale. Et quand il m’a
invité chez lui, j’ai eu l’immense surprise de voir, sur le trottoir devant sa
villa à Hammam Chott, le mot EPIGENESE gravé en lettres de près d’un mètre
chacune ! Je ne suis pas sûr que les passants qui marchent sur ces lettres
en comprennent le sens avant qu’il ne le leur ait expliqué. Mais je sais qu’il
aime l’expliquer. Il aime enseigner. Il aime éduquer. Il a, depuis sa thèse,
écrit plusieurs courts articles pour un large public. J’espère vivement que les
lecteurs apprécieront la conviction, voire la fougue de Mohamed Kochkar quand
il souhaite éduquer en partageant ces connaissances et ces valeurs.
Préface 2
Lassaad
Mouelhi, Docteur en didactique de la biologie, Maitre de conférences à
l`Université de Tunis (novembre 2014)
J’ai
eu l’honneur d’accompagner mon cher ami Mohamed Kochkar pendant nos études de 3ème
cycle universitaire en didactique de la Biologie à l’Institut Supérieur de
l’Education et de la Formation Continue de Tunis (ISEFC) et à l’Université
Claude Bernard Lyon 1 en France (à partir de décembre 1999). La didactique des
Sciences de la vie et de la terre, que mon ami l’a toujours considérée comme
l’épistémologie de l’enseignement, nous a permis de découvrir le monde de la
recherche scientifique. Nos deux thèses de doctorat en didactique des
disciplines, encadrées par notre professeur Pierre Clément, ont porté
essentiellement sur l’enseignement-apprentissage de deux concepts relativement
récents en neurobiologie à savoir l’épigenèse et la plasticité cérébrales. Ils
ont fait l’objet de discussions quotidiennes de Mr Mohamed à la cafétéria de
Hammam-Chatt où il habite ou dans les espaces de l’université Claude Bernard à
Lyon 1 pendant les stages estivaux. Ces débats
sur l’épigenèse et la plasticité cérébrales sont assimilés pour Mr
Kochkar à des analgésiques lorsqu’il souffre de maux de tête. Notre ami, ébloui
par le concept de l’épigenèse, a pu dépasser les problèmes de santé dont il a
longtemps souffert pour que nous puissions soutenir ensemble nos deux thèses le
16 février 2007.
J’ai
vécu avec mon ami Mohamed la plupart des moments de la rédaction des contenus
de ce livre qui constitue en grande partie sa thèse. Je vous encourage à lire
cet ouvrage car vous allez trouver beaucoup de plaisir en apprenant des
connaissances qui pourraient vous aider à changer vos conceptions sur les
déterminismes biologiques du cerveau humain.
Première
partie : Didactique des disciplines
Introduction
Tout un système au banc des accusés !
Chiraz Kefi (Rédactrice
Web/Journaliste 9.07.2014)
L'éducation
est un grand dossier qui attend de sérieuses et profondes réformes, remises
toujours à plus tard, aux prochaines élections, ou au prochain gouvernement.
Personne n'en prend la responsabilité immédiate pour cause de complexité,
tandis que cette réforme devient de plus en plus nécessaire, voire
indispensable. Le niveau intellectuel s'étiole, si l'on croit les parents
inquiets, et les professeurs désemparés. On impute aux jeunes tous les maux de
l'école.
On
dit que les jeunes ne savent plus écrire, qu'ils ne savent plus réfléchir,
qu'ils ne savent plus comment obtenir de bonnes notes pour accéder à de bonnes
universités, et pourtant ce n'est pas toujours de leur faute.
C'est le sujet évoqué ce mercredi
(9.07.2014), lors d'une conférence organisée par le Parti Al Joumhouri, sous le
titre "L'Education en Tunisie, entre réalité et perspectives".
Le Docteur Mohamed Kochkar,
expert en sciences de l'éducation a exposé les différentes facettes de
l'éducation nationale, et surtout les facteurs qui gangrènent le système. Il
aborde en premier, la question du manque de volonté d'apprendre de la part des
élèves, qui selon lui représente la première problématique de l'Education
nationale.
« Quand l'élève rejoint l'école il a déjà une certaine
conception des choses, or, l'enseignant se comporte avec l'élève comme s`il était un vase vide qu'il suffirait de
remplir... Par exemple quand on enseigne la théorie de l'évolution au lycée, on
est face à un élève qui a une conception préalable du sujet, qui est de nature
religieuse. L'enseignant est supposé interroger l'élève sur ce qu'il sait déjà,
et essayer de secouer ses convictions pour le préparer à recevoir de nouvelles
idées... Il ne faut pas dénigrer l'élève, car quand l'enseignant le dénigre, il
dénigre à son tour l'enseignant », a-t-il dit.
Les obstacles auxquels sont
confrontés les enfants lors de l'apprentissage, sont d'ordre épistémologique,
psychologique et didactique, selon Kochkar. « Par exemple, quand on dit
à l'élève que la plante se nourrit de l'air, il est difficile pour lui de
comprendre, car dans sa tête la plante se nourrit de la terre. Il faut pour
cela, revenir vers ses idées reçues et les secouer pour les déstabiliser pour
ensuite lui donner de nouvelles connaissances et lui faire atteindre un nouvel
équilibre », a-t-il expliqué.
Mohamed Kochkar a mis le
doigt sur une autre défaillance qui n'est autre que le manque de stratégie
pédagogique chez les enseignants, et ce pour absence de formations spécifiques.
L'expert
considère par ailleurs, qu'il n'existerait « aucune solution prête à
l'emploi...et aucune personne habilitée à proposer un modèle de substitution à
celui qui existe actuellement... Qui sommes-nous pour donner des solutions qui
devraient venir de l'intérieur du système lui-même ? ? », a-t-il
dit.
D'ailleurs, il accuse le système de
se faire bercer par des illusions: « Certains estiment qu'il faut
revenir au système éducatif d'antan, car il serait meilleur...mais ce ne sont
que des impressions erronées. On dit aussi que dans le futur, le professeur
sera remplacé par un ordinateur, ce qui ne se
produirait pas. Une troisième illusion veut que l'on croie qu'il suffit
qu'un enseignant donne une leçon pour que l'élève comprenne. Ce ne sont que des
illusions tout cela », a-t-il lâché.
Le plus répandu dans le système
éducatif tunisien est d'inculquer les connaissances à travers un système de
sanction et récompense, tandis que Mohamed Kochkar formule l'espoir de
voir se développer en Tunisie l'école du constructivisme, où l'enfant construit
par lui-même ses connaissances. « Nous avons une méthode qui s'en
rapproche qui s'appelle le socio-constructivisme. L'enfant n'apprend pas seul,
mais apprend en groupe et en présence d'un professeur », a-t-il
expliqué.
Il existe un autre modèle
d'enseignement, où l'on crée chez l'enfant un équilibre et un déséquilibre lors
du processus d'apprentissage.
Mais il existe aussi la pédagogie de
projet « qui malheureusement n'a pas pris en Tunisie... C'est quand le
professeur divise la classe en groupes, et chaque groupe est tenu de préparer
un projet qu'il exposera à la fin de l'année. Le professeur n'enseigne pas,
mais il est là pour répondre aux interrogations des élèves lorsqu'ils se butent
à des difficultés...Vous savez le problème c'est que l'enseignant pose toujours
des questions et s'attend à des réponses. Mais ce n'est pas la meilleure
solution pour apprendre, il faut demander aux élèves s'ils ont des
questions...je peux vous assurer que j'ai assisté à une séance d'exposés de ce
genre en France, on dirait des exposés d'Etudiants en DEA », a dit
Kochkar.
Un enseignant modèle est,
selon lui, celui qui intervient le moins en cours, contrairement aux idées
reçues. Par ailleurs, le droit à l'erreur pour l'enfant est normal et est même
indispensable pour apprendre. Mais si les élèves peinent malgré tout à avoir un
niveau d'éducation qui réponde au mieux aux standards internationaux, c'est
souvent la faute au système éducatif, d'après Kochkar.
L'expert évoque l'exemple des
enseignants, qui sont l'expression même d'un système boiteux. Des enseignants
qui, par souci de facilité, s'obstinent à inculquer du contenu biaisé aux
élèves.
« Prenons l'exemple du système respiratoire. Nous savons
que l'être humain inhale et expire de l'air par réaction à la contraction
et décontraction des muscles thoraciques. Il y a des enseignants qui apprennent
à l'élève que si le poumon se gonfle c'est parce que c'est l'air qui y entre. Une fois même un enseignant m'avait
dit qu'il enseignait de la sorte depuis des décennies et qu'il n'était pas prêt
à changer sa version », a relaté Kochkar.
Quand l'éducation va mal, tout va
mal. Et la société exige que moins on est diplômé moins on dispose de chances
de réussite pour l'avenir. C'est pourquoi certains élèves recourent à la fraude
lors des examens.
Cette année (2014) encore, plusieurs
élèves ont été sanctionnés pour avoir fraudé lors des épreuves du
baccalauréat.
« Nous
oublions toutes les procédures scientifiques pour remédier à ce problème, et
nous nous en prenons à l'élève qui est le maillon le plus faible du
système », déplore Kochkar. Selon lui, l'enseignant,
le concepteur du programme scolaire, le directeur de l'établissement, et le
ministre de l'Education nationale sont les premiers responsables de la fraude, «
Ce sont eux qui devraient être sanctionnés et traduits devant le conseil de
discipline », a-t-il dit.
Quelles
sont les théories d`apprentissage appropriées qui pourraient améliorer notre
système éducatif tunisien ?
Apprentissage et
constructivisme?
« Donnez à l`enfant
le désir d`apprendre et toute méthode sera bonne. » Jean-Jacques
Rousseau (l`Émile, 1792)
Ruel (1994, p. 38-39) articule sa réflexion
sur le constructivisme autour de deux postulats :
- le savoir n’est pas transmissible
passivement, il est construit activement par le sujet.
- la
cognition est une fonction adaptative, elle sert à l’organisation du monde de
l’expérience plutôt qu’à la découverte d’une réalité ontologique.
Notre étude dans cet ouvrage s’inscrit dans
le modèle socio-constructiviste et interactif (SCI) de construction des
connaissances (Jonnaert, 2002), un véritable « paradigme épistémologique » qui
guide nos recherches en général selon trois dimensions:
- La
dimension constructiviste, en référence à Piaget, valorise l’appropriation
active et réflexive du savoir par l’apprenant.
- La
dimension « socio », en référence à Vygotsky et aux néopiagétiens, met en
évidence la nécessité d’une interaction sociale avec les pairs et les adultes.
- La
dimension interactive consiste à mettre le sujet en interaction avec l’objet à
apprendre ou à mettre les connaissances préalables (les connaissances
antérieures, le déjà-là, les conceptions) de l’apprenant en interaction avec le
« savoir-objet-d’enseignement » (c'est-à-dire le savoir codifié dans
les apprentissages scolaires). Le sujet ne construit de nouvelles
connaissances, ou modifie d’anciennes connaissances, que s’il vit en «
interaction » avec son milieu physique et social. Cette dimension ne peut se
réaliser que dans une situation-problème d’enseignement/apprentissage.
Ces trois dimensions fonctionnent en
s’articulant sans cesse les unes aux autres, mais, en plus, chacune alimente
toujours les deux autres.
1. Le constructivisme
La théorie de Piaget a mis l’accent sur le
rôle des structures cognitives que le sujet construit à partir de ses propres
actions. Tout savoir est une construction du sujet en réponse aux
sollicitations de l'environnement (Piaget, 1992). Piaget plaide pour une
acquisition des connaissances par l'expérience, directe ou indirecte, plutôt
que par la transmission. Piaget insiste sur une conception de l’enseignement
qui se résume essentiellement, non pas à transmettre des connaissances mais à
faciliter le processus de construction des connaissances que seul chaque enfant
individuellement peut faire grâce à son action sur les objets et à ses
interactions avec son milieu.
Le moyen utilisé est de faire surgir des
conflits cognitifs internes dans la tête des élèves : ce que chacun croyait
savoir ou savoir faire est bousculé et remis en question.
Les constructivistes pensent que ces conflits
sont les moteurs mêmes de l`apprentissage. Le modèle constructiviste repose sur
une conception selon laquelle l'apprentissage est une démarche active de
construction des connaissances, démarche engagée par l'apprenant et non une
réception passive de savoirs pré-construits par les éducateurs (Cresas, 1991).
Ce modèle est caractérisé par la place centrale qu'occupe l'apprenant dans la
construction de son savoir : «l’élève construit son savoir à partir d’une
investigation du réel, ce réel comprenant aussi les pratiques sociales de
référence? […]. Il se l’approprie de
manière non linéaire, par différentiations, généralisations, ruptures… »,
(Astolfi et al, 1997, p 56). Cette interaction avec l'environnement met en jeu
des processus intellectuels qui favorisent le changement conceptuel. En effet,
ces processus permettent d'appréhender de nouveaux aspects de la réalité, soit
en les intégrant aux schèmes conceptuels existants (assimilation), soit en
créant de nouveaux schèmes pour les intégrer (accommodation). Le déséquilibre
entraîné par la nécessité d'une réorganisation des schèmes de connaissances se
rétablit grâce à un retour à l'équilibre ou équilibration (Piaget, 1972).
2. Constructivisme et nativisme
Le constructivisme postule que le sujet
construit progressivement sa représentation du réel au travers de son action
sur l’environnement.
Le nativisme envisage le développement comme
la révélation progressive de formes innées, où l’environnement certes
intervient, mais davantage comme matériau épigénétique que comme terme d’une
interaction. Les nativistes eux-mêmes, et en premier lieu N. Chomsky, admettent
que le langage se constitue à partir d’un « noyau fixe » (une « compétence
intrinsèque » spécifiant les grammaires accessibles à l’enfant humain) inné
apportant le cadre des opérations logiques nécessaires à l’apprentissage du
langage, mais que, par la suite, le milieu intervient pour compléter le
processus. Le nativisme conduit donc à la notion d’une prédétermination des
performances effectivement accessibles aux individus d’une espèce, parmi la
multitude des performances possibles (Jeannerod, 1983). Dans la perspective
constructiviste, les stades de développement sont au contraire d’authentiques «
constructions » ouvrant chaque fois sur de nouvelles possibilités (Jeannerod,
1983).
3. Le néoconstructivisme
3.1.
Le conflit socio-cognitif (CSC)
Elèves de Piaget, Perret-Clermont (1980)
ainsi que Doise et Mugny (1981) tentent, sans renier les principes de base du
constructivisme, de dépasser le réductionnisme individualiste du modèle
piagétien en proposant le concept du CSC comme moteur de développement et
d’apprentissage. Pour eux, le concept piagétien de conflit cognitif interne à
un sujet (les schèmes existants chez celui-ci rentrent en conflit avec le
milieu ; des schèmes alternatifs rentrent en compétition) est insuffisant, car
tout apprentissage est social. La théorie du CSC repose sur l’idée que l’effet
structurant du conflit cognitif s’accroît s’il s’accompagne d’un conflit social
: des apprenants mis en présence et confrontés à une même tâche seront amenés à
développer des actions et des verbalisations qui vont entrer en conflit car
reposant sur des schèmes cognitifs quelque peu différents ; cette confrontation
offre aux sujets en présence plus de chances de mettre en place des processus
d’accommodation des structures de connaissances initiales et d’améliorer les
processus d’équilibration (Xavier & De Ketele, 1999). La théorie de Piaget
n’est donc pas remise en cause dans sa nature, mais dans les mécanismes de sa
genèse. Le constructivisme de Piaget suppose lui aussi des conflits, donc des
déséquilibres, puis des équilibrations. Mais ceci est du domaine de l’action du
sujet (effective, ou intériorisée) et ne suppose pas essentiellement la
présence et la confrontation avec un « alter ».
Pour que le CSC soit pertinent, il faudrait qu’il remplisse trois conditions:
- la
présence explicite de plusieurs points de vue.
-
une situation où le CSC est clair et non fuyant.
- ne
pas confondre un effectif CSC avec une situation où l’acquiescement d’un des
protagonistes peut être de simple complaisance ou de soumission. Le CSC
confirme le rôle décisif et positif de la coopération d’égal à égal entre pairs
et infirme les rapports d’autorité.
Exemple
d’un CSC en classe de biologie
Un apprenant postule que le cerveau de
l’homme est plus grand que celui de la femme. Un autre réplique que la taille
du cerveau est proportionnelle au poids du corps. Les deux vont confronter
leurs points de vue. Chacun va présenter ses arguments, ce qui crée un conflit
entre les deux en plus de l’interaction. Chacun des deux élèves ou même un
troisième va prendre conscience des réponses autres que les siennes. La
différence entre les deux points de vue devient explicite. Ce conflit pourrait
conduire les élèves à un changement conceptuel car ils vont écouter les deux
thèses et ne retenir que celle qui est plus convaincante. Donc c’est le conflit
qui est à la base d’un changement conceptuel, et non la simple interaction
entre deux élèves, qui peut se produire sans conflit.
3.2.
Le débat socio-cognitif (DSC)
Le DSC est une approche critique du conflit
socio-cognitif (CSC). L’argumentation en faveur du CSC est de nature
psychologique. Par contre l’argumentation en faveur du DSC est de nature
épistémologique.
Le débat socio-cognitif constitue une alternative
heureuse aux conflits socio-cognitifs (Doise et Mugny, 1981), qui sont bien
souvent en pratique plus «sociaux» que cognitifs et qui, en permettant
l’affaiblissement mutuel des élèves, perpétuent la violence (Favre, 1996). Le
DSC permet aux élèves d’apprendre dans la solidarité et non dans la rivalité,
dans la curiosité et non dans la passivité, dans la joie et non dans l’ennui
(Develay, 1994).
Stavy (1980) se demande si des stratégies de
conflit ne risquent pas de faire perdre aux élèves leur confiance en eux et
même régresser d’une conception correcte à une « misconception ».
Dans son approche analogique de l’enseignement, elle affirme que si les élèves
n’ont pas pris conscience de l’existence du conflit et du processus
d’apprentissage, l’apprentissage a eu lieu sans que les élèves en soient conscients.
Du point de vue de l’élève, il n’y a aucune « misconception »
et aucun apprentissage n’a lieu. Les élèves brillants réagissent au conflit
avec enthousiasme et apprécient "l’effet de surprise" de la méthode
et de la confrontation avec des problèmes nouveaux. Par contre, des élèves en
difficulté semblent développer des images dévalorisantes d’eux-mêmes, une
attitude négative par rapport à l’école et aux travaux qu’on leur propose et
une forte dose d’anxiété. Par conséquent, ils essayent d’éviter le conflit et
sont plus systématiquement enclins à reculer face au problème auquel ils
étaient confrontés qui ne représente pour eux qu’un nouvel échec. Stavy
explique que l’enseignement par le conflit peut entraîner une perte de
confiance chez les élèves en difficulté et même une régression. C’est pourquoi
dans nos recherches, on a adopté le DSC à la place du CSC sachant qu’«une
réforme du système éducatif n’est un enjeu majeur que si elle profite, en
priorité, aux élèves qui ne réussissent pas à l’école » (Perrenoud, 1997).
4. La zone proximale de développement (ZPD)
Pour progresser, l’enfant doit en effet
apprendre dans une zone de développement légèrement supérieure à ce que lui
permettent objectivement ses capacités mentales et cognitives (c’est-à-dire son
développement mental ou QI actuel). Vygotsky critique la théorie
maturationniste de Piaget, pour qui l’apprentissage ne peut avoir lieu que s’il
advient suite à la maturation des capacités mentales de l’enfant. « Le seul
bon enseignement est celui qui précède le développement […] Enseigner à
l’enfant ce qu’il n’est pas capable d’apprendre, est aussi stérile que lui
enseigner ce qu’il sait déjà faire tout seul » (Vygotsky, 1985).
L’élève construit ses nouvelles connaissances
dans l’interaction avec les autres élèves. L’enseignant le place dans un
cheminement qui lui permettra de passer de la dépendance à l’autonomie par
rapport à ses anciennes connaissances.
Vygotsky a accordé un rôle prépondérant aux
interactions sociales et à l’intériorisation des instruments de pensée
véhiculés par la culture.
Tout apprentissage résulte d'interactions
sociales et dépend de la culture dans laquelle un individu se développe
(Vygotsky, 1985). « Là où le milieu ne suscite pas les tâches voulues, ne
présente pas d'exigences nouvelles, n'encourage ni ne stimule à l'aide de buts
nouveaux le développement intellectuel, la pensée de l'adolescent ne cultive
pas toutes les possibilités qu'elle recèle réellement » (Vygotsky, 1985).
5. Le constructivisme et l’enseignant
Vygotsky a réhabilité le rôle de
l’enseignant. Concrètement, l'enseignant devient celui qui soumet aux élèves un
problème à résoudre, fait émerger leurs conceptions et les aide à les
confronter pour arriver à une nouvelle conception plus "efficace" que
les précédentes, plus mobilisable et plus durable diront les didacticiens, pour
expliquer le réel ou résoudre le problème. Mal comprise, cette démarche de
l’enseignant peut devenir tout autre et atteindre des résultats diamétralement
opposés à l'esprit du constructivisme. En effet, tout dépend de la façon dont
on traite les conceptions initiales des élèves ou des enseignants. Souvent,
lorsque l'élève est invité à formuler ses propres questions de recherche ou ses
propres explications d'un phénomène, cette sollicitation a pour objectif de
transformer celles-ci selon les conceptions scientifiques établies. En
caricaturant, cela se passe ainsi :
L’enseignant s’adresse à ses élèves et
leur pose la question « pertinente » suivante: "Que savez-vous
de l'épigenèse et de la plasticité cérébrale ? Et sans attendre leurs réponses
diverses, il enchaîne: « Maintenant, je vais vous dire ce que c'est, en
fait...". (Sous-entendu : "vous n'y êtes pas du tout").
L'enseignant détient alors une vérité cachée,
une "bonne réponse", le "savoir savant".
6.
La psychologie cognitive
Une théorie contemporaine de l’apprentissage
- encore à construire - devrait intégrer non seulement ces différents
fondements, maintenant bien connus, mais aussi quelques-uns des facteurs mis en
évidence ultérieurement par la psychologie cognitive. Cet exposé est centré sur
certains d’entre eux : ceux qui contraignent les apprentissages et font que,
parfois, la capacité d’un individu à réaliser une tâche ne s’améliore pas avec
l’exercice autant que le souhaiterait le didacticien. Une meilleure
connaissance de ces contraintes devrait permettre de mieux les contourner.
En jonglant avec ces théories d`apprentissage
selon la situation didactique et le niveau de l`apprenant, faut-il apprendre à
nos élèves des connaissances ou des valeurs ?
Apprendre des connaissances ou des valeurs ?
« Le peuple qui a les meilleures écoles est le
premier peuple. S'il ne l'est pas aujourd'hui, il le sera demain. »,
Jules Simon (L`École, 1877)
Apprendre des connaissances ou des
valeurs ? Cette question ancienne datant de l’antiquité a été débattue par
Socrate et Protagoras (Atlan et Bousquet, 1994, p 12-13). Elle n’a pas encore
trouvé de réponse puisque nous la posons encore dans notre présent ouvrage en
2014. Nous la posons parce qu’elle est au cœur de notre approche schématisée
par les trois pôles du triangle KVP (K= connaissances, V = valeurs et P =
pratiques sociales).
Nous allons analyser cette question en
commençant par l’enseignant. Il entre en classe avec des connaissances à
partager avec les apprenants mais il ne peut pas les dissocier de ses propres
valeurs car les deux sont en interaction permanente comme le dit Atlan : «
Les propos des scientifiques eux-mêmes sont dictés au moins autant par leurs
valeurs subjectives que par leur savoir objectif » (Atlan & Bousquet,
1994, p 82).
Les valeurs et les connaissances sont interdépendantes
Dans son dialogue avec Bousquet, Atlan
fait référence aux philosophes de l’antiquité. Atlan : « Protagoras, dans le
débat qui l’oppose à Socrate sur le thème : comment enseigner la vertu ? Pour
Socrate, il suffit d’enseigner les sciences : la connaissance de la vérité
débouche automatiquement sur celle du bien. Pour Protagoras, il faut enseigner
la poésie épique : le bien n’est pas un théorème géométrique ou une loi
physique, c’est l’identification à un héros. On s’est moqué de Protagoras, mais
aujourd’hui que se passe-t-il ? La télévision enseigne l’éthique en diffusant
des images, qui déclenchent l’indignation ou l’admiration. Donc Protagoras a
raison sur toute la ligne ».
Bousquet : « Vous le regrettez ? »
Atlan : « Oui et non. Je ne le regrette pas, si le
regret impliquait de tenter encore une fois de réhabiliter la position que
défend Socrate dans ce dialogue, car cette position est illusoire. Mais oui, je
regrette que l’enseignement de masse de l’éthique par les medias se limite à
une morale de l’indignation. » (Atlan & Bousquet, 1994, p. 12-13).
Dans cet ouvrage, les conceptions sont
présentées en tant qu’interaction entre les trois pôles (KVP : K (connaissances),
V (valeurs) et P (pratiques sociales des enseignants et des apprenants) d’après
le modèle proposé par Clément (1998, 2004).
K : Knowledge,
connaissances scientifiques de l’enseignant ou de l’apprenant provenant de son
cursus scolaire et ses autres apprentissages, à partir des manuels scolaires,
des revues spécialisées, ou de toute autre source. Mais les connaissances de
chacun sont à la fois assez proches, dans leur contenu, de ces connaissances
spécialisées, tout en s’en différenciant fortement (Clément, 2004).
V : Valeurs de l’enseignant ou de l’apprenant, ses
opinions, son idéologie et ses croyances.
P : Pratiques personnelles et/ou sociales de l’enseignant
(ses pratiques de citoyen hors de l’école et ses pratiques professionnelles
dans l’école dont ses pratiques pédagogiques dans la classe) ou de l’apprenant
(rapports avec les autres élèves, la classe, l’école, la famille et les
pratiques pédagogiques de l’enseignant).
Les conceptions des apprenants
interagissent avec celles des enseignants dans une situation didactique et font
émerger des nouvelles conceptions, espérons qu’elles seront des conceptions
scientifiques.
Clément P. (2004) explique cette
interaction : « d’une part, c’est l’usage de mes connaissances (pôle K) qui
me permet d’en assimiler, retenir, refaçonner tout ce qui est utile à mes
pratiques professionnelles, personnelles
et/ou sociales (pôle P). D’autre part, l’attention que chacun porte à des
connaissances, l’importance qu’il leur donne, dépend souvent de l’interaction
entre ces connaissances et ses propres systèmes de valeurs (pôle V). Le concept
de "conception" est l’un des concepts importants de la didactique,
mais comme le remarquent Giordan et Girault (1994) : « Des recherches
spécifiques sur l’utilisation des conceptions en situation d’apprentissage sont
donc à promouvoir. Elles apparaissent même comme une étape indispensable, faute
de quoi le concept de "conception" risque de rester "lettre
morte" ».
Les conceptions scientifiques et les
conceptions spontanées ne sont pas interchangeables : elles ne répondent pas
aux mêmes questions et ne poursuivent pas les mêmes finalités. Avec le temps,
les conceptions spontanées reprennent leur place dans la vie courante
puisqu’elles fonctionnent et sont efficaces et mobilisables facilement (Larochelle
et Desautels, 1992).
Certaines conceptions ne cèdent pas
facilement et peuvent former des obstacles aux apprentissages des connaissances
scientifiques, c’est ce que nous allons voir dans le paragraphe suivant.
Les conceptions non scientifiques
ne cèdent pas facilement
Je
pars de l’enquête effectuée par Pierre Clément, professeur à l’université
Claude Bernard-Lyon 1, sur un échantillon de 98 étudiants français en 1ère
année médecine.
La
question posée : « vous avez très soif. Vous buvez un litre d’eau.
Peu de temps après, vous allez avoir envie d’aller uriner. Dessinez (juste un
schéma annoté) le trajet, dans votre corps, du litre d’eau que vous venez de
boire, entre le moment où vous l’avez bu et le moment où vous allez
uriner ».
Résultats de l’enquête
1ère
conception : 55 % de personnes interrogées ont dessiné un tuyau continu
des intestins jusqu’à la vessie, l’eau y entre par la bouche et sort par
l’orifice urinaire. Cette conception est
non scientifique car le tube digestif est complètement séparé des tubes
urinaires et c’est le sang qui fait la liaison entre eux.
2ème
conception : 6 % de personnes interrogées ont dessiné deux tuyaux séparés
sans liaison sanguine entre eux. L’eau entre dans le premier par la bouche et
sort par l’anus en passant par les intestins. Dans le deuxième, l’eau sort par
l’orifice urinaire. Cette conception est
non scientifique aussi.
3ème
conception : 39 % de personnes interrogées ont dessiné trois tuyaux reliés
par des flèches, le premier représente les intestins, le deuxième les vaisseaux
sanguins et le troisième les conduits urinaires. Ce dessin illustre que les
personnes interrogées entendent que ce qui est bu passe dans tout le corps à
travers le sang.
Clément tire de l’enquête la
conclusion suivante
Bien
que les étudiants aient étudié, en primaire, secondaire et supérieur, les contenus scientifiques nécessaires pour
adopter la 3ème conception, on constate que la 1ère
conception demeure dans les esprits de plus de la moitié d’entre eux.
Clément
a cherché à comprendre les causes de ces conceptions non scientifiques et il
est arrivé à l’idée suivante :
Les conceptions résultent de
l’interaction entre trois éléments
1er
élément : les connaissances scientifiques publiées
dans les revues spécialisées ou dans les livres ou celles que l’élève a
apprises à l’école.
2ème
élément : les valeurs que l’élève adopte à propos de
ce sujet.
3ème
élément : le milieu dans lequel vit l’élève, ses
pratiques personnelles et les pratiques sociales dans son environnement.
On
passe maintenant à la réalité tunisienne pour donner quelques exemples de ces
conceptions non scientifiques. Elles sont
ancrées dans les esprits des élèves bien que les contenus scientifiques,
nécessaires à leur réfutation, soient enseignés à tous les niveaux :
1er
exemple : les causes des mouvements respiratoires chez
l’homme : l’élève arrive au collège tout en étant convaincu que l’air entre dans les poumons et
les gonfle donc le thorax se lève. Le contraire est vrai : les muscles
intercostaux et le muscle du diaphragme se contractent et tirent les poumons
attachés donc le volume de la cage thoracique augmente, crée un vide et l’air
entre. On constate que l’entrée de l’air est une conséquence et non une cause
des mouvements respiratoires. Les élèves se défendent en disant que
l’instituteur ne leur a pas enseigné les connaissances correctes. Ces derniers ne disent pas la
vérité par oubli car malgré la correction faite au collège, certains d’entre
eux conservent cette conception non scientifique et la remobilisent au
secondaire et au supérieur.
2ème
exemple : la respiration chez les plantes
vertes : l’élève arrive au collège tout en étant convaincu que la plante
respire différemment de l’homme,
c'est-à-dire qu’elle absorbe le dioxyde de carbone et dégage l’oxygène. Le contraire est vrai : pendant la
respiration qui se fait jour et nuit, la plante prend l’oxygène et dégage le
dioxyde de carbone. Cette conception non scientifique chez l’élève pourrait
être causée par la confusion entre deux
fonctions, la respiration et la photosynthèse, qui se font en même temps
à la lumière. Pendant la photosynthèse qui n’a lieu qu’en présence de lumière,
la plante prend le dioxyde de carbone pour en fabriquer les matières organiques
comme l’amidon, le sucre, les lipides et les protides puis dégage l’oxygène.
3ème
exemple : l’élève arrive au collège tout en étant
convaincu que le dioxyde de carbone est composé de gaz toxiques et nuisibles à
la santé de tous les êtres vivants. Il ne le considère pas comme matière de
même nature que les corps solides et liquides. Cette conception non
scientifique ne facilite pas la tache du professeur qui est appelé à convaincre
les élèves que :
- le gaz est une substance
nutritive pour les plantes vertes.
- à partir de ce gaz,
l’olivier fabrique l’huile et la betterave à sucre fabrique le sucre.
- sans dioxyde de carbone,
les végétaux verts producteurs de matière organique et les animaux
consommateurs meurent de faim et la vie disparaîtra sur terre.
4ème
exemple : le poids du cerveau chez l’homme et la
femme : il s’agit de la dominante
conviction non scientifique- postulant que l’homme est plus intelligent que la
femme car son cerveau est plus grand -
et des valeurs qui en découlent. Ces valeurs qui avilissent la femme et élèvent l’homme bien que les connaissances
exactes (Le poids du cerveau n’a aucun rapport avec l’intelligence, car il varie en fonction du poids du corps) soient enseignées en classes terminales.
5ème
exemple : la majorité des gens croient que l’inné est
déterminant dans le développement physique et mental du corps et négligent ou
minimisent le rôle de l’acquis. Il faut savoir que c’est impossible de séparer
l’inné de l’acquis car ils sont en interaction permanente.
Conclusion
Les
conceptions non scientifiques qui sont ancrées dans l’esprit de l’élève, du
professeur et autres, forment un système intellectuel cohérent qui a prouvé son
efficacité pendant des années. Donc, on ne peut pas les changer par la simple
transmission de connaissances à l’élève. Ce dernier arrive en classe, armé
d’idées et d’opinions résultant de l’interaction avec son environnement
physique et social. Il est influencé par ce qu’il entend et ce qu’il lit et en
même temps il influe sur ses pairs. En outre, on conclut que l’élève n’est ni
une page blanche dans laquelle on écrit ce qu’on veut, ni un vase vide qu’on
remplit avec ce qu’on désire mais il est
une personne capable d’évoluer.
Il
est de notre devoir de ne pas négliger les conceptions de l’élève dans chaque
acte de l’éducation pour ne pas être
comme ceux qui bâtissent sur du sable mouvant. Je vous propose un point de vue
de traitement des conceptions non scientifiques selon une méthode
didactique : avant d’étudier n’importe quel sujet, on collecte les
conceptions des élèves sur ce sujet et on les analyse pour identifier les
obstacles qui empêchent l’acquisition de connaissances. Le dépassement de ces
obstacles formera l’objectif de la leçon tout en sachant que l’apport de
connaissances exactes ne suffit pas, à lui seul, pour changer les conceptions
non scientifiques chez l’élève. Ces dernières peuvent resurgir et ne cèdent pas
facilement bien que nous ayons impertinemment cru qu’elles avaient été
dépassées.
J’invite
mes collègues à réfléchir sur la métaphore de Jonnaert « les
obstacles à l’apprentissage ressemblent
à l’iceberg ». La partie cachée est plus importante car les erreurs
explicites qui viennent de la mémoire à court terme et qui nous semblent simples, peuvent nous éloigner
du traitement des obstacles qui forment
un système intellectuel profond. Un tel
système soigneusement caché dans la mémoire à long terme constitue le support des conceptions non
scientifiques que nous avons sculpté dans le cerveau de l’élève.
Est-ce que nos enseignants tunisiens connaissent les
conceptions non scientifiques de leurs élèves avant de commencer leur cours et
est-ce qu`ils comprennent que leurs élèves ne comprennent pas ?
« Les
professeurs ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent
pas ! »
« Les professeurs ne comprennent pas que leurs
élèves ne comprennent pas. » G.
Bachelard (1989)
« Une réforme du système éducatif n’est un
enjeu majeur que si elle profite, en priorité, aux élèves qui ne réussissent
pas à l’école. » P. Perrenoud
(1997)
Les réformes éducatives sont faites en général pour
aider les élèves en difficulté et non pour favoriser les meilleurs.
Paradoxalement, notre dernière réforme (restaurer l`examen « la sixième » et
supprimer progressivement les 25% de rachat au bac) a ajouté des difficultés
aux élèves en difficulté. On peut embellir un bâtiment en voie de démolition
par des retouches mais on ne peut pas
l`empêcher de tomber et gare à ceux qui leur tombera sur la tête! Le système
éducatif n`est pas une piste de course où il suffit de hausser la barre et que le meilleur gagne.
Nous, les enseignants, nous voudrions que tous nos élèves gagnent, les faibles
avant les excellents. A mon avis, il vaut mieux ne pas construire sur du sable
mouvant, au contraire il faut construire sur une base fondamentale solide,
c`est pourquoi on a changé l`appellation « école primaire » en
« école de base ou fondamentale ».
Dans Le système éducatif tunisien, les élèves ne sont
que des passagers, 6 ans en primaire, 3 au collège, 4 au lycée et au supérieur
3 ou plus, tandis que les enseignants
passent 40 ans de leur vie dans le même poste donc ce sont des résidents
presque à vie. Donc, un réformateur scientifique averti et sérieux devrait
commencer par former le formateur lui-même (l`instit, le prof du lycée et le
prof universitaire). Comment ? Un formateur (l`enseignant) doit être
obligatoirement formé avant de lui livrer un permis d`enseignement valable à vie.
Est-ce que nos enseignants sont formés pour enseigner ? Malheureusement ma
réponse est plutôt négative. Pourquoi ? Bien sur, ils ont obtenu les
diplômes nécessaires, chacun dans sa spécialité, mais, est-ce que c`est
suffisant pour enseigner ? Non il faudrait savoir maitriser d`autres
compétences scientifiques et technologiques pour pouvoir réussir son cours.
Quels sont ces compétences nécessaires pour que
l`enseignant puisse transférer son savoir à ses élèves ?
Je pense que chaque enseignant tunisien devrait passer
par un institut universitaire de formation des maitres (IUFM) où il
bénéficiera d`une formation académique en pédagogie, didactique, épistémologie,
histoire des sciences, psychologie de l`enfant, sciences de l`évaluation
et TICE (technologies de l`information et de la communication pour
l`enseignement). Sans pour autant négliger l`infrastructure ni non plus se
focaliser là-dessus. Qu`est-ce qu`elle a donné la fameuse infrastructure aux
pays du Golfe ? Je pense que le mal réside dans la superstructure, c. à.
d. la formation des formateurs doit être suivie de la formation
« constructiviste » (Piaget &Vygotsky) de l`élève (selon le célèbre
proverbe chinois : « ne me donne pas un poisson, mais apprends-moi
à pêcher ». En Tunisie, je n`ai pas remarqué de différences en moyens didactiques entre les
régions de la Tunisie.
Je finis mon discours par attirer l`attention de mes
collègues et leur dire que l`élève n`est pas un rat dans un labyrinthe et
l`enseignant n`est pas un chercheur en psychologie comportementale qui lui
définit à l`avance une porte d`entrée et un issue de sortie, l`élève n`est ni
un vase vide qu`il suffit de remplir ni une page blanche qu`il suffit de
noircir.
Pourquoi les professeurs ne comprennent pas que leurs
élèves ne comprennent pas ?
La simplification des
concepts scientifiques pourrait induire l’élève en erreur.
Je
pense qu`il y a deux approches qui divisent aujourd’hui la pensée
scientifique : l’approche analytique et l’approche systémique.
Joël De Rosnay compare ces
deux approches dans son livre « Le Macroscope », page 119 :
v Approche analytique
§ Isole et
se concentre sur les éléments.
§ S’appuie
sur la précision des détails.
§ Modifie
une seule variable à la fois.
§ Approche
efficace lorsque les interactions sont
linéaires et faibles.
§ Conduit
à un enseignement par discipline (juxta-disciplinaire).
v Approche systémique
§ Relie et
se concentre sur les interactions entre les éléments.
§ S’appuie
sur la perception globale.
§ Modifie
des groupes de variables simultanément.
§ Approche
efficace lorsque les interactions sont non linéaires et fortes.
§ Conduit
à un enseignement pluri-disciplinaire.
L’efficacité
de l’approche analytique-causale-linéaire réside dans sa simplicité et sa
mobilisation facile. Elle rassure la
personne et la met à l’aise. Elle dessine une relation linéaire directe entre
la cause et l’effet, par exemple la maladie résulte des microbes (elle pourrait
résulter des médicaments comme les anti-inflammatoires) et l’obésité de la
suralimentation (elle pourrait résulter du manque d’exercice) et le
comportement inné des gènes (par épigenèse le comportement pourrait résulter de
l’interaction entre les gènes et l’environnement).
Malgré
sa simplicité, cette approche a favorisé l’évolution des sciences
expérimentales comme la génétique et la microbiologie. Aujourd’hui, elle
devient non seulement incapable d’expliquer toute seule certains phénomènes
complexes mais elle engendre des obstacles didactiques et épistémologiques à
l’apprentissage. Elle réduit les phénomènes complexes à une simple relation de
cause à effet. Elle oublie ou fait
semblant d’oublier la dialectique qui stipule par exemple que le cerveau influe
sur le comportement et le comportement influe sur le cerveau, l`homme pollue
l’environnement et l’environnement pollué nuit à la santé de l’homme, etc.
Certains
enseignants de biologie adoptent seulement l’approche analytique dans
l’enseignement de la génétique. Dans ce cas, l’approche analytique peut nous
induire au déterminisme génétique qui postule que chaque caractère est
prédéterminé par un gène. Par contre, on connaît que les êtres vivants sont
complexes de nature et que leurs constituants intérieurs interagissent avec
ceux de l’extérieur. Donc, est-ce que c’est possible d’enseigner les
connaissances d’une façon simplifiée ? Si cette simplification est dictée
par la nécessité pédagogique, on arrive au résultat contraire car la
connaissance non scientifique s’ancre plus facilement que la connaissance
scientifique et sa réfutation devient plus difficile a posteriori et on admet
que les conceptions non scientifiques ne cèdent pas facilement.
Quand
l’enseignant s’appuie sur l’approche analytique linéaire, il se trouve obligé
de simplifier les réseaux complexes : prenons l’exemple de la relation
gène-caractère, c’est vrai que la couleur des yeux et le groupe sanguin sont
deux caractères complètement prédéterminés génétiquement. Et on sait aussi que beaucoup de nos caractéristiques
morphologiques, comme la couleur de la peau ou l’obésité ou autre, sont codées
dans les gènes mais n’oublions pas le rôle de l’environnement dans le
déterminisme de ces caractères : le brun pourrait devenir plus foncé ou
moins foncé selon le climat, et l’obésité dépendrait du régime
alimentaire. Alors, le problème majeur
vient du transfert de ce déterminisme aux capacités intellectuelles. Les faits
et les comportements sociaux de l’individu seraient déterminés par des facteurs
héréditaires incontrôlables par l’individu lui-même comme le préconisent
certains savants héréditaristes en essayant de nous convaincre qu’ils ont
découvert les gènes de l’alcoolisme, de l’homosexualité, de l’agressivité, de
l’intelligence et même de la croyance en Dieu (la revue « Sciences &
Vie », août 2005, n° 1055).
Le
paradigme du « tout génétique » a émergé de l’approche linéaire et il a dominé tout seul l’histoire de la
génétique pendant des dizaines d’années. Mais
le théoricien biologiste Henri Atlan a prédit son déclin dans son livre
« la fin du ‘’tout génétique’’ ?
(Vers de nouveaux paradigmes en biologie » Ed. INRA, 1998).
Le
danger du paradigme « tout génétique » réside dans la déification des
gènes et dans l’acceptation de leurs productions. Donc l’intelligence et la bonne santé deviennent des dons de gènes
et l’agressivité, une malédiction qu’on ne peut pas repousser. Beaucoup
d’opinions non scientifiques pourraient émerger de ce paradigme :
l’agressivité, les maladies et l’intelligence
deviennent des caractères héréditaires non acquises de l’interaction
sociale. Il me semble que ce paradigme
de la pensée scientifique est réducteur car dans son explication des
caractères humains, il favorise les facteurs héréditaires aux dépens des
facteurs acquis. En s’appuyant sur ce paradigme pour expliquer les causes des
problèmes sociaux, comme l’agressivité, l’échec scolaire et la toxicomanie,
cela pourrait nous conduire à ne prendre
en compte que les facteurs héréditaires et négliger en même temps les facteurs
sociaux acquis.
Conclusion
L’enseignement
de la biologie consiste à montrer la complexité des phénomènes naturels et à se
concentrer sur les interactions qui se passent entre leurs divers éléments donc
l’enseignant a besoin des deux approches analytique et systémique car elles
sont complémentaires et non contradictoires. L’interaction et la complexité,
qui sont deux concepts importants en sciences, complètent les concepts de
linéarité et de simplification et formeront avec eux un nouveau paradigme
scientifique meilleur. Ces deux nouveaux concepts pourraient ne pas faciliter
la résolution d’un problème mais au contraire le complexifier tout en le mettant sur la bonne voie de la solution
correcte. Prenons l’exemple de l’intelligence, elle est « 100 % héréditaire et 100 % acquise » d’après
le dicton célèbre d’Albert Jacquard :
- Elle est innée car on
hérite de nos parents un cerveau humain composé de 100 milliards de neurones.
- Elle est acquise car dans chaque neurone,
s’effectuent des milliards de réactions chimiques. Le neurone n’est pas isolé,
il échange avec son environnement des milliards d’éléments chimiques instables.
Chaque neurone est capable d’établir 10 mille synapses avec ses voisins. Durant
notre vie et à partir de l’interaction avec l’environnement, nos neurones vont
configurer et reconfigurer entre eux un million de milliards de synapses.
Sachant que le nombre de nos gènes, d’après le dernier séquençage d’ADN en
2001, ne dépasse pas les 30 mille gènes. 98.9 % de ces gènes sont répétitifs ou
silencieux, c'est-à-dire sans rôle connu et 1.1 % seulement portent un code de
fabrication de protéines. On pense que le paradigme dominant « un gène-une
protéine » n’est plus capable à lui seul d’expliquer l’existence des
dizaines de milliers de protéines et des milliards de synapses. La complexité
de notre intelligence nous rappelle celle de l`épigenèse et met en évidence une
interaction entre nos gènes et notre environnement d`où émerge notre pensée.
Pour
assimiler la complexité des phénomènes naturels, l`élève tunisien fait
obligatoirement des erreurs. Faut-il pour autant le blâmer et le gronder ?
L’erreur de l’élève pourrait
être utile pour l’enseignant et l’apprenant.
« L'erreur
est un moteur de l'apprentissage »
Je
pars d’une enquête (DEA didactique de la biologie, 2000) que j’ai effectuée sur
un échantillon tunisien composé de 74 enseignants de biologie.
La question posée :
donnez une définition du neurone ?
Résultats de
l’enquête :
6 personnes interrogées ont donné une
définition correcte et complète.
59 personnes interrogées ont
donné une définition correcte mais incomplète.
1 personne interrogée a donné une définition
fausse.
8 personnes interrogées n’ont pas répondu à la
question.
Je conclus de cette enquête,
simple et limitée dans le temps, le lieu et le nombre, que les diplômés du
supérieur peuvent se tromper. Que disons-nous donc des élèves?
Premièrement,
en lisant Michel Saroul (1990), chercheur français, dans son livre « l’évaluation
en questions » page 110, j’ai retenu trois points de vue différents
sur le statut de l’erreur dans le système éducatif en général et son rôle dans
l’enseignement : « Pour Skinner, le savant américain
béhavioriste, l’erreur est considérée comme pédagogiquement nocive [...]
Crowder, quant à lui, rend non seulement l’erreur possible, mais la prévoit
dans le cheminement de l’élève [...] L’environnement LOGO qui désigne ici à la fois une conception
pédagogique et une famille de langages, rend l’apprenant maître de la machine :
il la programme [...] dans le système LOGO, l’erreur est considérée non
seulement comme possible ou souhaitable mais comme nécessaire à la découverte
heuristique par l’élève ».
C’est
le statut donné à l’erreur en classe qui différencie l’enseignement linéaire et
magistral (du professeur à l’élève) de l’enseignement interactif (du professeur
à l’élève, de l’élève au professeur et des élèves entre eux). Dans
l’enseignement interactif, le professeur prend en considération les conceptions
des élèves sur le sujet traité et leur permet de construire leur savoir en
interaction avec leurs erreurs comme le dit Saroul : « l’erreur va
activer l’attention de l’élève et va l’amener à réfléchir en vue d’en
rechercher les causes et de la corriger».
Deuxièmement, en
m’inspirant des professeurs Bernard Grange et Marie-Madelaine Raffin qui ont
écrit dans le livre cité plus haut, page 123, je propose les méthodes
suivantes afin d’essayer à remédier l’erreur:
- « l’élève, seul ou
avec son camarade, prend en charge la correction du travail ».
- « si l’auto-correction
est juste, le travail du professeur s’arrête là, car l’élève n’a pas eu besoin
de l’aide de l’adulte. Il a fait preuve d’une certaine autonomie ».
L’école constructiviste de Piaget et Vygotsky préfère cette démarche qui libère
l’élève du tutorat du professeur.
- « si l’erreur
subsiste, le professeur peut intervenir de plusieurs façons : en le
renvoyant à l’expérience ou au cours en lui donnant une information
supplémentaire et en le laissant à nouveau chercher une bonne réponse ou en le
questionnant (oralement ou par écrit) afin de le mettre sur la ‘’voie’’ de la
bonne réponse ».
Troisièmement, si
l’on sait que les sciences expérimentales ont progressé après une longue série
d’erreurs, on ne doit pas s’étonner devant une erreur commise par l’élève en
classe et surtout on ne doit, ni le lui reprocher cet acte, ni le gronder.
L’erreur de l’élève en classe est bénéfique, en premier lieu pour l’élève et
pour ses pairs qui vont découvrir la bonne réponse et en deuxième lieu pour le
professeur qui va connaître le niveau de ses élèves, ce qui l’oblige à répéter
ou à modifier ou même à décaler sa leçon dans certains cas.
Retournons
maintenant à la réalité tunisienne après la présentation des théories
précédentes (une bonne pratique se base toujours sur une bonne théorie).
Certains professeurs accaparent la parole et jonglent intellectuellement en
classe et ne laissent pas de chance à l`élève pour qu’il essaye lui-même
l’expérience et l’erreur. Souvent, les professeurs excluent le faible élève de
la discussion, non pas intentionnellement
mais par ignorance de l’épistémologie, de l’histoire des sciences et de
la didactique. Ces professeurs pourraient rendre l’élève complexé ou retiré ou
même le pousser à détester complètement la discipline. Les exemples suivants
illustreront ce que je viens d’avancer :
1er
exemple : dans une séance d’anglais, le professeur
parle beaucoup plus que l’élève surtout dans une salle non équipée de nouvelles
technologies. Suite à ce qui précède, je pose une question : si nous ne donnons
pas à l’élève l’occasion d’apprendre, au lycée, la prononciation correcte et
l’emploi de la grammaire anglaise, où va-t-il les apprendre alors ?
2ème
exemple : dans une séance de sciences de la vie et de
la terre, le professeur prépare les cellules entre lame et lamelle, les met
sous le microscope, met au point l’observation puis enfin invite les élèves à
observer. Qui sait, est-ce que l’élève a observé les cellules et non des bulles
d’air ? Est-ce que l’élève apprend seulement par imitation ? Pourquoi
l’élève ne fait-t-il pas l’expérience lui-même du début jusqu’à la fin ?
Où est le mal si un élève casse un matériel par inattention quelque soit son
prix?
Certains
de mes collègues justifient leurs comportements par le manque de temps, ou la
protection du matériel, ou l’indiscipline
des élèves ou l’encombrement des classes. Je les prie de laisser l’élève
essayer et se tromper. Je vais d’ailleurs répondre gentiment et objectivement à
leurs arguments, l’un après l’autre :
- Supposons que le programme
soit long et que les enseignants aient réussi à l’achever dans les délais préalablement déterminés. Ils
l’ont achevé au profit de qui ? Au profit de l’inspecteur ? Est-ce
que les élèves ont compris la moitié de ce programme ? Quel est l’intérêt de bourrer le crâne des
élèves ?
- Le matériel est fait pour
être utilisé et on prévoit un budget de recouvrement chaque année. Est-ce que
la protection du matériel est une raison suffisante pour empêcher nos enfants
d’apprendre par essai et erreur ? Est-ce que le matériel du laboratoire
est plus cher qu’un cerveau formé ? Le matériel du laboratoire pourrait être remplacé, par
contre l’élève en difficulté pourrait coûter aux contribuables mille
ordinateurs et mille microscopes.
Conclusion
« L’erreur
est le moteur de la classe ». Elle active la conversation. La séance
qui se déroule sans erreurs est une séance morte car les élèves n’ont pas participé et n’ont pas donné leurs points de
vue. Ils ne peuvent donc apprendre ni sciences, ni liberté, ni démocratie, ni
civisme. Ils vont s’habituer à la résignation et à la soumission à l’autre. Il
ne faut pas oublier que la classe est le seul endroit où on félicite les
fautifs. Par contre, dans la vie active, la faute d’un médecin ou d’un ingénieur ou autre
fonctionnaire pourrait être sanctionnée par un licenciement. Dans les concours
de recrutement aussi, on n’a pas le droit de faire des erreurs vu le surnombre
de demandeurs d’emploi, 100 mille demandes pour 1500 postes de professeurs.
Pour éviter les erreurs dans les examens,
l`élève tunisien recourt au moyen le plus simple, la fraude. Faut-il
l`incriminer et le sanctionner ou l`aider et l’éduquer par des moyens
scientifiques et non par des moyens disciplinaires ?
La fraude dans les examens
scolaires : l’élève n’est pas le seul responsable.
Premièrement,
faisons un bref rappel des mesures disciplinaires répressives appliquées
actuellement en Tunisie : l’élève soupçonné de fraude est reconduit devant
le conseil de discipline du lycée, s’il est coupable, il est renvoyé du lycée
pour 4 à 15 jours et en cas de récidive,
la sanction sera plus lourde : le renvoi définitif du lycée. L’élève a le
droit de se défendre mais sans avoir recours à un avocat malgré la gravité de
la punition qu’il pourra encourir.
Deuxièmement,
essayons de donner à la fois un aperçu sur les causes objectives de la fraude
et sur les alternatives scientifiques proposées :
- Les classes
nombreuses : est-ce que c’est logique de mettre 40 élèves dans
une salle conçue pour 20 et interdire à chacun de regarder la feuille de
son compagnon de table ? Est-ce que à l’élève qu’incombe la
responsabilité des classes nombreuses ?
- La façon de
poser les questions : où est le mal si un élève prépare au
préalable une vraie « fausse copie » remplie de citations
dans un examen de rédaction arabe ou remplie de formules dans un examen de
mathématiques ou de physique? Il vaut mieux évaluer l’élève sur la
mobilisation de connaissances et non seulement sur leur mémorisation. La
mémorisation est réhabilitée dans l’enseignement moderne mais elle ne doit
pas accaparer tout l’apprentissage.
- Le contenu
anachronique des programmes : pourquoi impose-t-on à l’élève
des programmes qui ne prennent pas en compte ses préoccupations ? Il
serait plus correct pédagogiquement de demander l’avis des élèves avant de
concevoir les programmes officiels.
4. Le béhaviorisme de
Watson et Skinner : durant tout le cursus scolaire, l’élève apprend
par stimulus/réponse et par sanction/récompense. On détermine son avenir à sa
place et on le traite comme un rat dans un labyrinthe dont nous seuls, les enseignants, connaissons les issues.
Notre élève ne cesse de nous lancer au
visage un éloquent slogan célèbre « votre marchandise vous est rendue ».
Cette école béhavioriste a réussi à former des générations qui ne savent pas
prendre d’initiatives.
Il
serait préférable d’opter pour le socioconstructivisme de Piaget et Vygotsky
qui apprend à l’élève à apprendre tout seul surtout dans le monde de
l’informatique où l’élève pourrait bien dépasser son professeur en connaissances.
L’école socioconstructiviste formerait un apprenant capable de construire son
savoir avec l’aide de ses pairs et l’accompagnement de son professeur. Le socioconstructivisme pourrait
provoquer un changement conceptuel chez les éducateurs et les enseignants à
propos de leur relation avec leurs élèves. L’élève n’est pas un vase vide qu’il
suffit de remplir mais un individu qui réfléchit et peut avoir un point de
vue indépendant et différent de son
maître.
- La
pédagogie par objectif :
Les
concepteurs des programmes décident, les professeurs exécutent sans prendre en
considération les conceptions des élèves sur un concept enseigné. Nous
nous interrogeons ici : Est-ce que
c’est la leçon du concepteur du programme ou celle du professeur ou celle de l’élève ?
Il
serait souhaitable d’appliquer la pédagogie du projet, le projet scientifique
interdisciplinaire, choisi et exécuté par l’élève au sein d’une équipe. Cette
équipe d’élèves soutiendra à la fin de
l’année son projet devant un jury et un public scolaire. De cette façon nous
n’aurons plus besoin de surveiller l’élève, nous éradiquerons la fraude à
la racine et nous formerons un citoyen
sûr de lui-même et de ses coéquipiers.
Permettez-moi
de vous décrire la scène que j’ai vue dans un lycée à Nancy en France: J’ai
assisté à une soutenance des élèves de 3ème sciences, un an avant le bac : les
élèves, sur la scène d`une salle amphithéâtre, défendent leur projet devant un
jury en utilisant les nouvelles technologies. Croyez-moi, on dirait des
étudiants en DEA ou des doctorants de chez nous qui soutiennent leurs mémoires
ou leurs thèses. Ils ont travaillé pendant un an, en équipe, au laboratoire du
lycée et chez eux. Ils ont cherché les connaissances dans les livres, les
encyclopédies et Internet. Ils ont mobilisé ces connaissances pour essayer de
trouver des solutions pertinentes à un
problème actuel comme par exemple
« l’effet des pluies acides sur les plantes ». Ils ont appris les abc
de la recherche scientifique et le travail avec les autres.
Conclusion
Les
moyens scientifiques pour lutter contre la fraude existent mais les
responsables et les enseignants ne voient que les sanctions qu’ils font subir à l`élève, le
maillon le plus faible dans une chaîne éducative de coupables qui commence au
sommet et se termine à la base, du
ministre à l`enseignant.
Quels
sont les supports biologiques de l`apprentissage développé dans la
première partie, la didactique des disciplines?
Seconde
partie : Epistémologie de la biologie
Introduction
Science et idéologie :
exemples en didactique et en épistémologie de la biologie.
Extraits d`un article de
Pierre CLÉMENT, LIRDHIST, université Claude Bernard, Lyon I, colloque Sciences,
Médias et Société, 15-17 juin 2004, Lyon, ENS-LSH, http://sciences-medias.ens-lsh.fr/article.php3 ?id_article=58
Mots-clés: biologie, idéologie, didactique, épistémologie.
Je
souhaiterais proposer ici la pertinence d’une approche didactique et
épistémologique pour contribuer à l’analyse des rapports entre médias, sciences
et société.
L’interaction
entre science et idéologie est au cœur des travaux des philosophes des
sciences, à partir des écrits des scientifiques. Mais les caractéristiques que
les pratiques d’enseignement ou de vulgarisation confèrent à cette interaction
sont plus rarement objet de recherches.
J’entendrai
ici par « idéologie » à la fois l’idéologie scientifique que Georges
Canguilhem, dans le sillon de Gaston Bachelard puis Michel Foucault et Louis
Althusser, a magistralement mise en évidence dans l’histoire des sciences de la
vie, mais aussi l’idéologie de tout enseignant ou autre médiateur culturel des
sciences. C’est l’interaction entre les systèmes de valeurs et les
connaissances scientifiques qui nous intéressent. À une époque où
l’enseignement et la vulgarisation scientifiques tentent de fonder une nouvelle
citoyenneté sur plus de connaissances scientifiques, il est nécessaire de
clarifier les limites de ces connaissances, et d’identifier les systèmes de
valeurs de ceux qui sont chargés de les diffuser, pour qu’ils en soient moins
prisonniers à leur insu, et ne proposent pas aux futurs citoyens des discours
contradictoires d’un pays à un autre au moment même où se construit, lentement
et laborieusement, l’idée d’une identité européenne.
Nouveaux regards de
la didactique des sciences
La
didactique des sciences s’intéresse aux processus de transmission/appropriation de connaissances
scientifiques dans toute situation : aussi bien face à des médias que dans
des contextes d’éducation formelle. La didactique ne peut se passer d’une
approche épistémologique et historique des contenus scientifiques, ni de
l’analyse de leurs enjeux sociaux.
Emprunteuse
de démarches et concepts issus d’autres champs des sciences humaines et
sociales - sciences de la cognition, sciences du langage, anthropologie,
sociologie, psychologie, etc. -, la didactique des disciplines a aussi
forgé ses propres démarches et concepts. Ces derniers relèvent de trois
approches complémentaires (Clément 1998), que je vais présenter successivement.
Analyse des
conceptions des apprenants et des autres acteurs du système éducatif
Dans
une perspective constructiviste, il est essentiel d’analyser les conceptions
initiales de ceux à qui est destiné un message scientifique que ce soit dans un contexte scolaire ou
autre : pour mieux comprendre leurs difficultés à assimiler ces nouvelles
connaissances - analyse des obstacles éventuels à ces acquisitions -,
comme pour évaluer les changements conceptuels à la suite d’un apprentissage.
Les conceptions sont
ici entendues dans le sens le plus large
1) En y incluant les motivations par
rapport à une question scientifique,
nous savons en effet que ces dimensions affectives sont essentielles aux
apprentissages. Si un cours, une conférence ou une exposition scientifique
donne, à celui ou à celle qui l’a suivi, l’envie d’en savoir plus, de faire des
enquêtes, alors c’est gagné !
1)
En les analysant comme l’interaction entre trois pôles : KVP
(figure1).
Figure
1 : Les conceptions en tant qu’interaction entre les trois pôles KVP
Le pôle
K représente les connaissances scientifiques. La référence est ce que les
chercheurs publient, mais les connaissances de chacun sont à la fois assez
proches, dans leur contenu, de ces connaissances spécialisées, tout en s’en
différenciant fortement.
Or
cette personnalisation de l’assimilation individuelle de connaissances
s’effectue en fonction des deux autres pôles, P et V. D’une part, c’est l’usage
de mes connaissances qui me permet d’en assimiler, retenir, refaçonner tout ce
qui est utile à mes pratiques : professionnelles, personnelles et/ou
sociales (pôle P). D’autre part, l’attention que chacun porte à des
connaissances, l’importance qu’il leur donne, dépend souvent de l’interaction
entre ces connaissances et ses propres systèmes de valeurs (pôle V).
C’est
l’ensemble de ces interactions qui est l’objet de nos recherches et projets de
recherche. La spécificité de ces travaux (au sein du LIRDHIST) est d’utiliser
une méthode contrastive :
- d’une part par une
approche historique qui permet a posteriori d’analyser l’évolution des
connaissances scientifiques sous l’angle de leurs interactions avec les
pratiques sociales et avec les valeurs dominantes de chaque époque. L’approche
historico-épistémologique s’intéresse aux connaissances des chercheurs - ou
plutôt à leurs conceptions = leurs KVP. L’approche historico-didactique analyse
celles des enseignants et des autres acteurs du système éducatif, à chaque
époque. Elle pourrait aussi être étendue aux acteurs de la médiatisation des sciences ;
- d’autre part par
une comparaison de pays à pays, à l’époque actuelle, avec le même objectif -
interactions KVP : par exemple, au sein des pays européens, ou tout autour
de la Méditerranée, les auteurs des programmes et les enseignants ont-ils les mêmes
conceptions sur un certain nombre de questions vives qui font partie des
enseignements scientifiques (évolution, sexualité, santé, environnement,
éducation civique, etc.) ? (…).
Analyse comparative
des conceptions d’enseignants
Les
conceptions craniologiques d’enseignants et étudiants sur les cerveaux d’hommes
et de femmes : En 1861, Paul Broca, éminent neurobiologiste et chef de
file de la craniologie, mesura le poids des cerveaux d’hommes et de femmes, ces
derniers étant nettement moins lourds. Broca mit en relation cette
« infériorité physique » avec ce qui était admis à cette
époque : l’« infériorité intellectuelle » des femmes. Cent vingt
ans après, Stephen J. Gould (1983) a réanalysé les données originales de Broca,
et a montré que les différences de poids de ces cerveaux étaient d’abord liées
à la taille des individus, puis à leur âge, puis à la présence ou absence de
méninges, etc. : le paramètre sexe n’intervient pas ! Par ailleurs,
d’autres travaux ont prouvé que, dans l’espèce humaine, il n’existe aucune
relation entre le poids du cerveau et l’intelligence (synthèse dans Vidal
2001).
Mais
plus d’un siècle de croyances craniologiques a marqué des générations
d’enseignants et de journalistes scientifiques, ainsi que leurs élèves ou
publics ; il s’est inscrit dans notre langage quotidien - « grosses
têtes », etc. Les conceptions des enseignants ont-elles pour autant
évoluées de la même façon dans tous les pays ?
Nous
avons mené une enquête, dans plusieurs pays européens ou méditerranéens. (…). Il
ressort de ces résultats que l’argument craniologique (poids et/ou taille du
cerveau lié aux performances cérébrales dans l’espèce humaine) est encore très
présent dans certains pays, alors même qu’il n’a plus aucun fondement
scientifique : cette thèse est désormais uniquement idéologique. Cet
exemple montre que :
- le discours des
scientifiques peut ne pas être dénué d’une idéologie ici mise en évidence avec
le recul historique ;
- quand l’idéologie
sexiste est largement nourrie de ces discours scientifiques, elle peut résister
aux nouvelles démonstrations scientifiques. En particulier dans certains
contextes sociopolitiques, particulièrement au Liban (où un enseignant ou
étudiant sur deux invoque cet argument, quelle que soit sa discipline), et en
Tunisie (un enseignant sur trois) ;
- dans ces derniers
cas, et de façon plus générale, la formation des enseignants et futurs
enseignants mériterait d’être attentive à ces interactions entre science et
idéologie. Il en est de même pour la formation des journalistes et autres
médiateurs scientifiques.
Notons
enfin que l’idéologie déterministe dont témoigne cet exemple sur la
craniologie, se retrouve dans bien d’autres domaines très médiatisés, qu’ils
soient scientifiques ou non : la prédestination divine, l’astrologie, la
chiromancie, la physiognomonie relayée par la morphopsychologie, l’iridologie,
etc., et plus récemment le déterminisme génétique.
Nous
sommes pourtant à l’heure où les scientifiques proclament la « fin du
tout-génétique » (Atlan 1999 ; Kupiec, Sonigo 2000), à l’heure où le
séquençage du génome humain montre que nous sommes loin de posséder les 150
mille gènes initialement escomptés, et que nous en avons moins de 25 mille
(deux fois moins que le riz ou la rose), à l’heure où l’importance des processus
épigénétiques commence à être reconnue : épigénèse cérébrale mais aussi
épigénèse de l’ADN et lors de la synthèse des protéines. Les journalistes ne
commencent que très timidement à diffuser ces nouvelles approches de la
complexité qui contestent l’idéologie réductionniste du tout-génétique (voir
par exemple le hors-série de Sciences et Avenir, 136, 2003). Mais les
programmes et manuels scolaires sont jusqu’ici restés plus timides, continuant
par exemple à enseigner la notion pourtant très contestée de « programme
génétique » (Abrougui, Clément 1997b ; Forissier, Clément 2003a).
(…).
Analyse comparative
de documents scientifiques
Un
exemple dans une publication scientifique primaire : les cerveaux des
hommes et des femmes : En février 1995, la célèbre revue Nature
reprenait en couverture de son numéro 373 deux images de coupes de cerveau
humain, avec différents niveaux de gris sur lesquels se détachent quelques
taches rouges, symétriques sur une des coupes, d’un seul côté sur l’autre. Sous
ces images, une seule légende en gros caractères : gender and language.
À côté du sommaire, un commentaire présente cette image : [...] A
long-suspectedsexdifference in the functionalorganization of the brain for
languageisconfirmed [...]. Le titre de la
publication est: « Sex differences in the functional organization of the
brain for language » (Shaywitz et al. 1995).
Les
journalistes ont largement repris le message illustré par cette image
spectaculaire, dont j’ai analysé qu’il est plus idéologique que scientifique (Clément
1997, 2001b). Ils ont expliqué que le cerveau est à l’origine des performances
cérébrales telles que le langage, et que les différences de latéralisation
observées seraient à l’origine de caractéristiques spécifiquement masculines ou
féminines.
J’ai
analysé de façon détaillée ces articles dans différentes revues de
vulgarisation scientifique. Je ne présente ici que deux points.
Tout
d’abord, les neurobiologistes savent aujourd’hui que le cerveau humain naît
immature, et qu’il se configure progressivement par épigénèse cérébrale au
cours de laquelle des réseaux neuronaux se stabilisent progressivement en
fonction de l’expérience individuelle (voir par exemple Changeux 1983,
2002 ; Edelman 1987 ; Fottorino 1998).
La
relation entre le cerveau et le langage est à double sens, incluant la
rétroaction de l’épigénèse cérébrale généralement oubliée par les journalistes
et, ce qui est plus inquiétant, par les éditeurs de la revue Nature. Une
éventuelle différence de latéralisation entre cerveaux d’hommes et de femmes ne
prouve pas que ce serait une donnée biologique de naissance. Elle peut tout
aussi bien être la conséquence de comportements différenciés. Le commentaire de
la revue Nature - « A long-suspected sex difference » -
est donc plus idéologique que scientifique.
Une
lecture attentive de cet article de la revue Nature (Clément 1997,
2001b) montre également que les résultats concernent aussi une absence de
différence entre cerveaux d’hommes et de femmes pour les deux autres fonctions
testées - nommées « orthographiques » et « sémantiques »
par les auteurs - ; et que la différence « phonologique » est à
peine significative au seuil de 5 %, la spectaculariser par le choix du titre
et des illustrations, et par la reprise en couverture, relève donc de choix
idéologiques, qui sont assumés par les éditeurs mêmes d’une publication
primaire aussi prestigieuse. Comment s’étonner ensuite que les journalistes
scientifiques aient repris ce message idéologique clair, sans distance critique
sur ses fondements scientifiques - difficiles à appréhender? (…).
Est-ce
que le débat entre l`inné (le tout génétique) et l`acquis (l`épigenèse) est un
débat idéologique ou scientifique et est-ce qu`il est dépassé
aujourd`hui ?
Partie 2.1 :
Polémique autour des deux paradigmes: L’«épigenèse cérébrale » et le
« tout génétique »!
« L’épigenèse
cérébrale » complète le « tout génétique »!
Le
concept "épigenèse" : un bref rappel historique
Avec
R. Y Cajal (début XXème), le cerveau devient neuronal. L’invention
du terme neurone est discutée entre lui et Waldeyer (1890). Golgi défendait la
continuité des neurones à la place de leur contiguïté. Le point d’articulation
entre les neurones recevra le nom de synapse donné par le physiologiste anglais
Sherrington (1897). Cajal avait émis en 1909 l’hypothèse que la croissance des
neurones se poursuivait après la naissance sous l’influence de l’exercice (cité
par Jeannerod, 1983). On voit dans les propos de Cajal les prémisses de la
théorie de l’épigenèse.
Atlan :
« la vieille querelle (qui a fait les beaux jours des XVIIIè et
XIXè siècles) entre préformation, où le germe est considéré
comme miniature toute formée de l’adulte, et épigenèse, où le germe est, au
contraire, sans structure et inorganisé, l’organisation de l’adulte ne venant
que du développement. La biologie moléculaire a nécessairement associé ces
idées opposées… » (Atlan & Bousquet, 1994, p. 160).
Changeux :
« L’élément épi- est tiré du grec et désigne « sur »,
« en plus », avec l’idée de superposition, de recouvrement. Le mot
genèse, issu de l’ancien testament, se réfère initialement à la création du
monde, à la formation d’une chose, d’une pensée, au développement. Le mot
épigenèse possède pour nous, le double sens, de se superposer à l’action des
gènes (effets de l’expérience) et de se rapporter au développement (du système
nerveux) » (Changeux, 2001)
La
théorie de l’épigenèse cérébrale
Vidal
(2001) définit l’épigenèse : « A la naissance, le programme
génétique a défini les grandes lignes de l’architecture du cerveau et les
neurones cessent de se multiplier (NB : La non multiplication des
neurones après la naissance : un dogme scientifique ébranlé).
Cependant, la construction du cerveau est loin d’être terminée : 90 % des
circuits de neurones vont se former progressivement dans les années qui suivent
la naissance. C’est précisément sur la construction de ces circuits que
l’environnement intervient sous ses diverses formes, qu’il s’agisse du milieu
intérieur (alimentation, hormones) ou extérieur (interactions familiales et sociales,
rapport au monde) ».
Le
terme d’épigenèse est aussi utilisé en biologie moléculaire.
On
estime actuellement le nombre gènes de l’ADN humain à moins de 30 mille. Ils
sont incapables de contenir une programmation différentielle de la formation de 1016 synapses (1012
neurones dont chacune contracte 10 mille synapses). Donc ils interviennent de
façon plus globale et leur rôle complété par celui des facteurs non génétiques
dans le développement du cerveau s’avère
indispensable (Jacquard, 1993). Ces facteurs sont appelés facteurs
épigénétiques (le préfixe grec épi signifie tout à la fois, le surcroît, la
succession, le contact et l’inflexion d’une trajectoire) car ils interviennent
après la genèse initiale induite par les informations présentes dans les gènes.
Ils comprennent des facteurs d’environnement (nutritionnels, sensoriels,
l’expérience sociale et l’apprentissage) et des facteurs intrinsèques
(interaction entre cellules, sécrétion de substances chimiques, hormones en
particulier) (Habib, 1995). La théorie de l’épigenèse est
popularisée par Changeux en 1983.
Etapes
de l`épigenèse cérébrale
§ Redondance
transitoire = les arborisations axonales et dendritiques bourgeonnent et
s’épanouissent de manière exubérante.
- Régression
= des phénomènes régressifs interviennent rapidement. Des neurones
meurent. Des synapses actives disparaissent.
- Stabilisation
= en réponse aux stimulations sensorielles reçues par le cerveau,
certaines combinaisons de connexions sont sélectionnées et consolidées
plutôt que d’autres.
Le
cerveau naît immature et c’est grâce aux
processus épigénétiques que les réseaux neuronaux se configurent en fonction de l’expérience
individuelle et sociale de chaque individu pour donner enfin un cerveau unique
au monde (Clément, 1999). L’épigenèse dure jusqu’à l’âge de 15 ans (Fottorino,
1999) mais le cerveau reste plastique jusqu’à un âge avancé (Prochiantz, 1993).
L’épigenèse est une théorie qui a une limite tracée par l’enveloppe génétique,
caractéristique de l’espèce, on a beau mettre un singe dans un environnement
humain, il ne deviendra pas homme pour autant (Prochiantz, 1993).
Conclusion
L`épigenèse
nous met devant une sorte d`interaction hautement complexe entre l`inné et
l`acquis, une interaction qui nous rappelle ce qui se passe dans une réaction
(chimique) où les éléments perdent leurs propriétés chimiques et physiques
intrinsèques d`origine et se transforment en corps émergents dès qu`ils
interagissent avec d`autres éléments d`une nature différente.
Est-ce
que notre cerveau est capable de s`adapter aux situations émergentes de la
vie : est-ce que ses réseaux neuronaux sont capables de se reconfigurer
selon les expériences vécues ?
La
« plasticité cérébrale » ouvre de larges applications thérapeutiques
La
« plasticité cérébrale » ouvre de larges applications thérapeutiques
dans de nombreuses maladies neurologiques.
Santiago
Ramon Y Cajal fut le premier à formuler le concept de plasticité neuronale, à
la fin du XIXe siècle, (Laroche, 2006).
Les
modifications du cerveau par l’environnement se font, en règle générale,
pendant des fenêtres temporelles limitées, dites périodes critiques : en
achevant sa maturation, le cerveau devient de plus en plus réfractaire aux
leçons de l’expérience (Purves et al., 1999). L’exemple de l’enfant-loup est
particulièrement évocateur à cet égard : il ne lui sera plus possible
d’apprendre à parler, une fois la période critique dépassée (Habib, 1995).
Toutes ces modifications, qui surviennent au cours de la période critique,
reflètent une formidable plasticité du réseau nerveux.
Cette
notion relativement récente fait l’objet de recherches dans de nombreux
laboratoires en France et à l’étranger. Nous allons essayer de définir cette
notion : La plasticité cérébrale est la capacité que possède le cerveau à
réorganiser ses réseaux de neurones en fonction des stimuli extérieurs et des
expériences vécues par l’individu ou d’adapter son fonctionnement suite à un
traumatisme ou à une maladie.
Le
terme général de plasticité cérébrale recouvre deux familles de
processus :
-
l’une est liée aux
apprentissages (par épigenèse cérébrale) qui sont possibles à tout âge, même
s’ils sont plus importants chez les enfants. C’est de ce côté qu’il faudrait
chercher les supports neuronaux des changements conceptuels, ou ceux des
obstacles épistémologiques en acte.
-
l’autre est liée à
des modifications cérébrales de plus grande ampleur, qui sont parfois
compensées par des réorganisations des circuits neuronaux.
Ainsi,
en fonction de l’environnement ou en réponse à des lésions, de nouvelles connexions
peuvent s’établir assez rapidement pour permettre le recâblage, en contournant
les régions lésées ou endommagées du cerveau (Elbert et al. 1996). Des
recherches récentes montrent qu’en fait des modifications plastiques se
produisent à tous les niveaux du système nerveux central : le cerveau est
un système dynamique qui s’auto-organise et se réorganise en permanence à l’âge
adulte, exemple : La pratique du violon accroît la dextérité d’une seule
main et augmente la représentation corticale de l’auriculaire gauche chez les
violonistes. Cependant, une différence est observée en ce qui concerne cette
représentation : elle est plus importante chez les violonistes qui ont
commencé à pratiquer avant l’âge de 13 ans, mais elle est également substantielle
chez ceux qui ont commencé plus tard. Ces observations montrent que si le
cerveau peut se modifier plus facilement dans l’enfance, il est encore
remarquablement plastique chez les adultes. La plasticité cérébrale peut
intervenir pour répondre à des agressions et compenser les effets de lésions
cérébrales en aménageant de nouveaux réseaux, l’exemple vécu par mon directeur
de thèse Pierre Clément vient témoigner en ce sens, son discours est à la fois
cognitif et affectif : « Savoir que les fonctions vestibulaires et
oculomotrices sont couplées est une chose : autre chose est d’expérimenter
sur soi qu’après un déficit vestibulaire il devient insupportable de regarder
la télévision, et même de lire, dangereux de marcher sans aide, et bien sûr
impossible de conduire (sans même parler des grands vertiges et nausées des
premiers jours).
Connaître
l’importance de la plasticité cérébrale est une chose. La vivre en est une
autre : plus merveilleuse en est devenue mon expérience de la disparition
progressive de ces déficiences comportementales alors même que persiste leur
origine initiale (le déficit vestibulaire). Le concept de plasticité cérébrale
devient dès lors associé à la guérison. » (Clément, 1999).
Conclusion
Déclenchée
à bon escient, maîtrisée, cette formidable possibilité de réadaptation des
neurones laisse envisager dans quelques années de larges applications
thérapeutiques dans de nombreuses maladies neurologiques.
Malgré
l`apport scientifique de la théorie de l`épigenèse, il parait que le paradigme
du « tout génétique » résiste encore !
Le
paradigme du « tout génétique », résiste-t-il contre le paradigme de
l’«épigenèse» ?
Le
dominant et ancien paradigme, le
« tout génétique », résiste à céder de la place pour le compte du
nouveau paradigme complémentaire, l’«épigenèse cérébrale ». L’épigenèse et le « tout
génétique » sont deux paradigmes qui se complètent. L’enjeu du concept de
l’épigenèse est politique, cognitif et concerne les principes de
l’auto-construction, de l’interaction, de la sélection et du hasard : une politique qui serait tournée
vers l’avenir tenant compte de l’environnement et des limitations du paradigme
du tout génétique.
Critiques
épistémologiques récentes du paradigme du « tout génétique »
Le
paradigme de l’ADN-comme-programme continue à être utilisé dans
l’enseignement tunisien. On rencontre encore dans les manuels de biologie les
concepts de « code génétique », « programme génétique »,
«un gène code pour un caractère », etc. (Abrougui, 1997).
Rumelhard (2005) écrit : « La question
d’enseignement conduit à se demander s’il faut continuer à parler de programme
génétique dans un premier temps, puis à remettre en cause ce concept, dans un
deuxième temps. Autrement dit si l’essentiel de l’enseignement scientifique ne
réside pas dans la rectification d’un concept et non pas dans son énonciation
conforme à la vérité dernière (au sens de plus récente et non pas ultime) au
niveau scientifique ».
Le
« tout génétique » est un paradigme qui a régné pendant des dizaines
d’années en biologie. C’est peut-être parce que l’on voyait le déterminisme
comme une fatalité que l’on n’a guère remis en question le pouvoir des gènes.
Le
concept ADN évolue dans l’histoire des sciences comme tout concept. Du
paradigme du « tout génétique », on tend vers le paradigme de
l’émergence et de la complexité. Le paradigme « ADN-comme-programme »
est fort critiqué par une partie de la communauté scientifique, surtout des
biologistes, des épistémologues et des didacticiens. Les paradigmes ne cèdent
pas facilement. Les anciens paradigmes forment des obstacles aux apprentissages
des nouveaux paradigmes.
Comment passer d’un
paradigme à l’autre et construire une alternative concrète au paradigme
déterministe ?
Avec l’épigenèse, il ne s’agit pas d’apporter de nouvelles certitudes,
ni de réfuter tout ce qui a été dit jusque là, mais plutôt de préciser qu’un
certain nombre de concepts ne sont pas réductibles au tout génétique :
ADN, gène, déterminisme, génotype /
phénotype et éviter qu’ils virent à
l’idéologie (sexisme : voir un exemple sur la craniométrie, le dualisme,
le chromosome Y surnuméraire, le gène de l’alcoolisme, le gène de la croyance).
Le concept de l’épigenèse s’oppose à l’idéologie du « tout
génétique » jusqu’alors dominante (Atlan, 1998). Il n’est pas question de
réduire à néant tout le savoir scientifique accumulé que le séquençage du
génome nous a donné, mais bien plutôt de compléter l’approche réductionniste
analytique par une compréhension globale, synthétique, interactive, dynamique
et évolutive. Le déterminisme génétique pouvait prétendre à un individu
entièrement déterminé par ses gènes (car programmé par un créateur, « le
Dieu ADN »), sur le modèle instructiviste d’Aristote et ses disciples
contemporains, défenseurs du tout génétique. L’épigenèse devrait ainsi
permettre de sortir de l’alternative entre l’inné et l’acquis vers l’aléatoire
et la sélection. Le monde de l’épigenèse est la réfutation de toute puissance
du « Dieu ADN », car c’est un monde traversé par l’improbable et le
hasard des histoires individuelles. Le déterminisme biologique en général ne
peut rendre compte de l’hypervariabilité des anticorps dans l`immunité, des
synapses dans le cerveau et des différences entre individus (quand on sait
qu’ils ont 99.99 % de gènes semblables).
Ce serait une grave erreur de croire que l’épigenèse devrait dès lors
remplacer le déterminisme biologique et, sous prétexte qu’il y a une limite aux
prédispositions génétiques, renoncer à explorer le génome humain. Pourtant ce
serait une autre erreur de croire que cette épigenèse est purement subjective
et pourrait être dépassée par une plus profonde connaissance du déterminisme
génétique. La part d’imprévisible dans l’épigenèse nous oblige à passer d’une
logique de programmation dirigiste et fataliste à une logique d’interaction
avec l’environnement, une logique qui donne place au hasard et à
l’auto-organisation.
Est-ce que le « tout génétique »
détermine tout seul notre identité biologique ?
Notre identité biologique, est-elle
déterminée seulement par nos gènes ?
L’identité biologique est-elle
limitée à l’identité génétique ?
Nous allons esquisser un
petit historique de l’identité de l’homme:
ü La
notion de la « prédestination » (Elmektoub) remonte à la plus haute
antiquité, elle a été reprise et amplifiée par les discours religieux qui
considèrent que les moindres gestes et faits de notre vie sont programmés
par Dieu avant notre naissance.
ü Au
18ème siècle, ce déterminisme religieux va devenir biologique avec
le progrès scientifique. En effet, c’est vers 1802 que Gall (médecin et père de
la phrénologie) postulait que le
développement des aptitudes mentales correspondait à une bosse détectable par
palpation de la boîte crânienne (bosse des maths !).
ü Au
19ème siècle, « du temps de l’anthropologie criminelle de Cesare
Lombroso (1887). Celui-ci prétendait pouvoir identifier les prostitués à leurs
pieds : elles avaient soi-disant le gros orteil séparé des autres doigts,
tout comme les pieds préhensiles des singes, signe morphologique de régression
évolutive de cette catégorie de femmes indésirables dans la société »,
(Vidal, 2001 ; Gould, 1983).
ü Au
20ème siècle, le déterminisme devient microscopique et détourne à
son profit les grandes avancées en technologie et en génétique comme le
montrent les trois exemples de recherche suivants :
§ « En 1993, Dean Hamer décrivait dans
la revue Science un fragment du chromosome X associé à l’orientation
homosexuelle chez l’homme. Depuis, la réalité de ce gène a été clairement
invalidée (Rice et al. 1999). Néanmoins le succès médiatique du gène de
l’homosexualité a été tel qu’il est toujours présent dans l’esprit du grand
public », (Vidal, 2001).
§ « Je pense, par exemple, à un
éditorial de la revue Science voici quelques années, expliquant que non
seulement toutes les maladies seraient guéries mais la criminalité aussi,
puisque ce projet permettrait d’identifier le gène de la criminalité et de
l’éliminer de la population ! » (Atlan & Bousquet, 1994, p.
82).
§ « les
travaux récents de Dreen Kimura (2001, Western Ontario, Canada) en offrent une
autre illustration : il est question cette fois de trouver des
corrélations entre le sexe, le nombre de stries des empreintes digitales et les
fonctions cognitives. Ainsi les hommes auraient un nombre de stries plus élevé
que les femmes, tandis que le nombre de stries des homosexuels masculins serait
plus proche de celui des femmes et des hommes transsexuels. […] mais Kimura ne
s’arrête pas là et va jusqu’à trouver des corrélations entre le nombre de
stries des doigts et les meilleures performances des hommes par rapport aux
femmes dans des tests de raisonnement mathématique. Ainsi, ces différences
d’aptitudes déterminées avant la naissance expliqueraient non seulement la
faible proportion des femmes dans les disciplines mathématiques et physiques, mais
aussi la moindre productivité des femmes scientifiques comparées à leurs
homologues masculins » (Vidal, 2001)
Le plus grave dans les exemples cités
ci-dessus, réside d’une part dans la fausseté des connaissances qui peut créer
un obstacle didactique difficile à surmonter, et d’autre part dans l’idéologie
qui utilisait au 19ème siècle un trait morphologique (bosse dans le
crâne, gros orteil séparé, etc.) et au 20ème siècle un trait
génétique (chromosome ou gène) ou l’imagerie cérébrale pour justifier les
différences entre les hommes et les femmes ou déterminer un comportement humain
(prostitution, homosexualité, criminalité, intelligence, croyance en Dieu,
etc.). Les critères ont changé mais
l’enjeu est le même comme le définit Vidal (2001) : « il s’agit de
trouver une raison biologique aux inégalités socioculturelles» et nous
complétons la phrase de Vidal en disant «pour que le pouvoir politique
se dérobe de ses responsabilités envers les damnés de la terre».
Nous rappelons les grandes formes de croyances
déterministes qui se sont succédées, et persistent encore, avec comme seul
point commun un déterminisme malgré soi (dès notre naissance) de traits
fondamentaux de notre personnalité : la théorie de la prédestination
(jansénistes, calvinistes, etc.), l’astrologie, la chiromancie (art de prédire
l`avenir d`après les lignes de la main), la physiognomonie (qui est devenue la
morphopsychologie, c’est elle qui a inventé la théorie de l’angle facial), le
nazisme et le déterminisme génétique
(Clément et al, 2000).
Au 20ème siècle, le déterminisme
biologique est fréquemment réduit au déterminisme génétique et ce sont nos
gènes, selon les héréditaristes et les sociobiologistes, qui contrôleraient
notre intelligence et nos performances sociales.
Le Dieu des religieux est remplacé par le
Dieu « ADN » des biologistes dans les idéologies héréditaristes. Ces
dernières ont connu un grand succès avec le nazisme, l’eugénisme, la
purification ethnique, le racisme, le sexisme, les surdoués (dont les échecs
sont tus par la presse), l’élitisme banal du système scolaire et le fatalisme
social (Clément, 1993).
Les arguments classiques du déterminisme
biologique confondent les apprentissages individuels et sociaux pour faire des
distinctions entre les groupes humains (par exemple, l’intelligence), produits
de l’évolution culturelle et historique (Gould, 1983), avec des phénotypes
génétiquement déterminés.
Est-ce
que nos comportements, comme l’agressivité et l’intelligence, sont-ils acquis
ou héréditaires ?
Auto-organisation
et émergence : Nos comportements, sont-ils acquis ou héréditaires ?
Les comportements comme l’agressivité,
l’intelligence ou la performance d’être très bon violoniste sont des émergences
résultant de l’auto-organisation des neurones en interaction avec
l’environnement « Il apparaissait plutôt que le cerveau fonctionne à
partir d’interconnexions massives, sur un schéma distribué, de sorte que la
configuration des liens entre ensembles de neurones puisse se modifier au fil
de l’expérience. Ces ensembles témoignent d’une aptitude à l’auto-organisation
qui ne trouve aucune représentation en logique » (Varéla, 1989).
Parler
d’émergence, c’est alors refuser le réductionnisme, refuser de réduire nos
comportements à un programme codé dans nos gènes.
Le
concept d’auto-organisation a été mis en évidence à partir des nouvelles
générations d’ordinateurs (Varéla, 1989). Transposé en biologie, il permet de
concevoir qu’il puisse exister au sein de tout système biologique une
« marge de liberté » et de
« créativité » indispensable à la survie de toute espèce. La liberté
et la créativité sont, par définition, des processus d’auto-organisation qui
n’obéissent, ni à un programme génétique (ADN), ni à un apprentissage scolaire.
Ces processus découlent des propriétés intrinsèques du système :
l’ouverture, la complexité, la redondance (n.b.1), la fiabilité et la
compétence.
Cette
théorie de l’auto-organisation se retrouve, implicite, dans la théorie de
Piaget (Universalis, 1997) et le constructivisme peut aujourd’hui s’appuyer sur
l’ontogenèse neuronale, la mise en place des synapses et la constitution des
réseaux neuronaux (Clément, 1994): par exemple, les travaux multiples sur
l’ontogenèse (n.b.2) de la vision chez le chaton ont montré que certaines voies
visuelles se mettent en place même sans expérience visuelle, mais pas
d’autres : la proportion de neurones répondant à des lignes horizontales
ou verticales varie selon l’expérience visuelle du chaton (Hubel et Wiesel,
1962).
L’auto-organisation
et l’émergence pourraient ne pas faciliter la résolution d’un problème mais au
contraire le complexifier : Prenons l’exemple de l’intelligence, elle est
100 % héréditaire et 100 %
acquise d’après la formule « magico-scientifique » d’Albert
Jacquard :
- 100% innée car on hérite de nos parents un
cerveau humain composé de 1011 de neurones. Dans chaque neurone,
s’effectuent des milliards de réactions chimiques. Le neurone n’est pas isolé,
il échange avec son environnement cellulaire des milliards d’éléments chimiques
instables.
-
100 % acquise car l’homme construit son intelligence en interaction avec son
environnement social.
Critiques
récentes du concept "auto-organisation".
Kupiek (2005),
le chercheur à l’école normale supérieure de Paris nous met en garde contre de
multiples confusions : « souvent considérée comme une alternative
au programme génétique, l’auto-organisation est une théorie des années 1960 qui
connaît plusieurs variantes, portées par Henri Atlan, Ilya Prigogine, Stuart
Kauffman…Elle tente d’expliquer l’émergence de l’ordre à partir des
interactions entre les composants d’un système biologique sans faire appel à
une contrainte qui s’exercerait sur ce système. Elle semble donc s’opposer au
programme génétique, censé dicter le comportement des protéines. Cette opposition
n’est que superficielle. En effet l’auto-organisation souscrit à la même vision
d’un monde hiérarchisé en niveaux d’organisation différenciés qualitativement.
[…] Tandis que la génétique privilégie l’information génomique équivalente de
la spécificité et de la cause formelle, l’auto-organisation réintroduit
l’accident et la cause finale […] Elles sont prisonnières du même cadre de
pensée. Elles partagent la même vision d’un monde fondamentalement en ordre
qu’elles cherchent à expliquer ».
Conclusion
Nous ne sommes pas
tout à fait d’accord avec la mise en garde de Kupiek : l’épigenèse qui
tente d’expliquer l’émergence de comportements à partir des interactions entre
les neurones, semble bien s’opposer au programme génétique. Cette opposition
nous paraît profonde, car d’après les déterministes, nos comportements sont
inscrits dés la naissance dans nos gènes (gènes de l’intelligence, de
l’agressivité, de l’alcoolisme, de l’homosexualité, de la croyance en Dieu,
etc.).
Notes
de bas de page
1. La redondance se traduit par le fait que de nombreux éléments identiques
quand à la structure et à la fonction sont interconnectés entre eux et ne sont
pas localisés en un même lieu.
2.
Ontologie : Histoire
singulière d’un individu ou d’une cellule.
Est-ce que le développement
des recherches en épigenèse annoncera la fin de la dominance du paradigme du
« tout génétique » ?
Partie 2.2 : La fin de la dominance du
paradigme du « tout génétique »
Critiques récentes du
déterminisme génétique : Points de vue de certains auteurs.
Clément (2004) :
« […] Nous sommes pourtant à l’heure où les scientifiques proclament la
"fin du tout génétique"(Atlan 1999 ; Kupiec, Sonigo, 2000), à
l’heure où le séquençage du génome humain montre que nous sommes loin de
posséder les 150000 gènes initialement escomptés, et que nous en avons moins de
25000 (deux fois moins que le riz ou la rose), à l’heure où l’importance des
processus épigénétiques commence à être reconnue : épigenèse cérébrale
mais aussi épigenèse de l’ADN et lors de la synthèse des protéines ».
Atlan :
« Le destin écrit dans les gènes, fixé une fois pour toutes dès
l’origine, c’est déjà faux… L’illusion de la maîtrise de ce destin, encore
plus ! Chaque histoire doit se régler cas par cas. Reportez-vous au gène du
cancer du sein, dominant à 80%. C’est effrayant, mais on peut faire quelque
chose. Parfois il est vrai que certaines préfèrent ne pas savoir. Et dans
certains cas, cela peut sembler justifié. » (Atlan & Bousquet, 1994,
p. 72).
Atlan :
« Prenons
l’exemple de la bactérie Escherichia coli (2000 gènes) : même si on
connaissait toute la séquence de son matériel génétique, on ne saurait pas tout
d’elle ! » (Atlan & Bousquet, 1994, p. 159).
Le
génétique se trouve divinisé, et c’est bien évidemment le paradigme dominant
qui en est responsable, puisqu’on nous a répété que tout est génétique, que
tout est dans le programme génétique, qu’il suffit d’avoir le listing du dit
programme pour avoir tout compris, etc. (Atlan, 1998).
R.
C. Lewontin regrette que la lutte contre le déterminisme
biologique soit comparable à la lutte contre l’incendie. Chaque fois que vous
éteignez un, un autre se déclare ailleurs, (Gouyon et al, 1997).
Est-ce
que ces critiques citées vont déconstruire les conceptions non scientifiques
désignées sous le nom d` « Elmektoub » dans nos gènes ?
« Elmektoub » dans L’ADN, un programme ou non ?
Critiques épistémologiques récentes du
paradigme « ADN-comme-programme »
Le
rôle de l’ADN est considéré différemment selon le paradigme dans lequel on
pense. Kuhn (1986) appelle paradigme « la conception théorique
dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique
donnée, qui fonde les types d’explication envisageables, et les types de faits
de découvrir dans une science donnée ».
Atlan
(1999), biophysicien, oppose l’ancien paradigme du programme
génétique aux nouveaux paradigmes de l’émergence et de la complexité et appelle
paradigme l’« ensemble d’idées, de conceptions, qui forment un ordre de
pensée à l’intérieur duquel on pense, on imagine et on planifie les
expériences, on interprète les résultats, on élabore des théories »
(cité par Rumelhard, 2005).
Parmi
les quatre approches possibles, épistémologiques, institutionnelles,
psychologiques et sociologiques des paradigmes, par réduction du champ de
spécialité, seule la première pourrait, de manière privilégiée, donner lieu à
un travail didactique (Rumelhard, 2005).
Nous
allons présenter trois paradigmes (ou métaphores ou modèles) qui
interprètent le rôle de l’ADN de trois façons : le paradigme de l’ADN comme
programme, le paradigme de l’ADN comme
données et celui de la fin du « tout génétique ».
On
peut se demander si le paradigme de l’ADN comme programme n’est pas liée aux
conceptions déterministes qu’il renforce. Dans notre culture arabo-musulmane,
il existe une conception déterministe
nommée « Elmektoub »
(mot arabe qui veut dire littéralement en français « c’est
écrit », « c’est le destin »). « Elmektoub » signifie
que tous nos actes durant toute notre vie sont prédéterminés et sont écrits sur
le front de l`individu à sa naissance. Le paradigme de l’ADN comme programme
vient renforcer cette conception en lui donnant une base scientifique mais en
déplaçant un peu le lieu de l’écriture, du front aux gènes. L’appellation même
des 4 bases, les 4 lettres du code génétique renforce la métaphore d`
« Elmektoub ».
Il
faudrait citer ici en totalité les propos d’Atlan pour bien comprendre
sa critique du paradigme de l’ADN comme programme :
Atlan :
« Certains pensent que le
programme génétique n’est pas une métaphore, que c’est réel ! […] la façon
dont un chercheur interprète les faits bizarres ou inattendus qu’il rencontre
reste à l’intérieur du même paradigme, avec le même vocabulaire […] Derrière la
métaphore du programme se trouve quand même une réalité. Cette réalité, que
l’on observe, est un développement orienté dans le temps vers une finalité, au
moins apparente. Un embryon de souris ne donnera jamais qu’une souris, et un
œuf de poule, une poule, on le sait depuis longtemps. » (Atlan
& Bousquet, 1994, p.p. 169-172).
Atlan : « La cellule fonctionne comme un interpréteur du
programme codé dans l’ADN. Elle joue un rôle supplémentaire en fournissant des
données à ce programme, puisque, après différentiation, le même génome est
traité par différentes cellules en sorte d’accomplir différentes fonctions. Le
caractère distinctif critique de ce modèle est que la machinerie cellulaire,
comme interpréteur du programme, n’est pas un programme total. Autrement dit,
n’importe quelle chaîne de gènes à l’entrée ne produit pas nécessairement un
résultat (un phénotype) à la sortie. Ce modèle pose un problème sérieux en ce
qu’il ne permet pas d’expliquer l’évolution de façon non téléologique. Car
l’information dans un programme est localisée, et c’est pourquoi les programmes
ne sont pas robustes. Une mutation locale aléatoire dans un programme le
détruirait dans presque tous les cas. Pour pouvoir conserver une représentation
téléonomique et non téléologique (étude de la finalité), nous devons
remplacer ce modèle par un autre qui attribue aux ADN un rôle plus robuste »
(Atlan & Koppel, 1991, p. 199).
Est-ce
que notre intelligence est inscrite dans nos gènes dès la naissance ?
L’intelligence,
est-elle héréditaire ou acquise ?
Le
quotient intellectuel QI
Les
psychologues français Alfred Binet (1857-1911) et Théodore Simon (1873-1961)
ont mis au point en 1905 des tests pour mesurer l’intelligence des enfants de 3
à 15 ans. L’âge mental de l’enfant est évalué en fonction du type d’épreuves
qu’il est à même de surmonter.
Exemples
§ Reconnaître
la différence entre le matin et le soir : 6 ans.
§ Compter
de 20 à 0 par ordre décroissant : 8 ans.
§ Connaître
les mois de l’année dans l’ordre : dix ans.
§ L’âge
mental est calculé à partir des épreuves réussies. Par exemple, un enfant qui
réussit tous les exercices jusqu’à l’âge de 11 ans et trois parmi les cinq
épreuves de l’âge de 12 ans, a un âge mental de 11.6 ans.
Et
depuis les tests de QI ont été
normalisés et leurs items sont testés au préalable sur des populations témoins
d’âge précis. Ne sont conservés dans les tests que les items qui permettent de
répartir 95 % des individus de cette population entre les valeurs 60 et 40 de
QI.
Le
quotient intellectuel a été l’objet de critiques diverses
Chacun
connaît des personnes ayant une intelligence extraordinaire, mais limitée à un
domaine particulier. Chacun sait que l’intelligence n’est pas une capacité
figée, on parle maintenant de la plasticité cérébrale et de la plasticité de
l’intelligence, par exemple : un élève qui
n’a pas réussi cette année, peut réussir l’année suivante. Un jeune
étudiant qui a échoué dans ses études, peut récupérer à un certain âge plus
avancé. Ainsi, il est aventureux de faire l’amalgame entre toutes les formes
d’intelligence, et encore plus d’envisager un QI unique et universel, sans
tenir compte des différences culturelles. (Neubauer, 2003).
Kahn (2000)
:
« En mai 1998, dans le journal Psychological Science […] Les auteurs en
concluaient qu’un gène intervenant dans l’intelligence est porté par le
chromosome 6 et est situé à proximité de la séquence polymorphe. Tous les
généticiens savent l’extrême prudence avec laquelle il convient d’accueillir de
tels résultats. Ce sont des approches similaires qui ont conduit, dans le
passé, à des conclusions ensuite démenties portant sur la localisation de gènes
dans les maladies psychiatriques et dans l’homosexualité masculine ».
Jacquard (2002):
« c’est à propos de l’intelligence que se pose avec plus d’acuité la
question de l’inné et de l’acquis. Pour des raisons idéologiques, il est
tentant d’admettre que toute activité résulte des dons de la nature, ou au
contraire que l’essentiel résulte de l’aventure vécue. L’expérience idéale pour
trancher entre ces deux thèses serait de comparer des vrais jumeaux élevés dans
des conditions très différentes. Mais le nombre des cas observés avec
rigueur est trop faible pour permettre une conclusion. Une étude bien
documentée a été publiée par l’INSERM, un institut français de recherche.
Trente cinq enfants de statut social très bas et adoptés par des familles de
niveau élevé ont été suivis tout au long de leur scolarité, et leurs parcours
ont été comparés à ceux de leurs trente-neuf frères et sœurs restés dans leurs
familles d’origine. Parmi les premiers, un seul échec scolaire grave a été
constaté, parmi les seconds, douze. Il est clair que le développement
intellectuel conditionnant l’insertion dans la société dépend plus des
conditions de vie des enfants que de leur patrimoine génétique. Les gènes
peuvent être responsables de cas pathologiques, mais ils n’ont guère
d’influence sur la construction fine de l’intelligence».
Jeannerod : « on prend un concept aussi global,
aussi multifactoriel que l’intelligence, on le ramène à un seul facteur par des
artifices statistiques, ensuite on cherche sa transmission génétique et on fait
des banques du sperme pour Prix Nobel ! » (Oliva, 1995).
Giordan (1998) : « Il faut envisager l’apprendre dans un
double mouvement, du biologique au social et du social au biologique, ce qui
permet de dépasser aisément les querelles habituelles sur l’inné et l’acquis.
C’est de leur interaction que naît cette caractéristique de la pensée humaine
que l’on nomme intelligence ».
A ceux qui disent que
l’intelligence n’est pas du tout génétique mais uniquement acquise, il faut
sans cesse rappeler que la genèse du cerveau est déterminée par les gènes et
son épigenèse est le résultat d’interaction entre le génome et l’environnement.
Pour
connaitre les conceptions des professeurs tunisiens sur l`origine de
l`intelligence, j`ai posé la question
suivante dans une enquête:
*
Y a-t-il une prédisposition génétique chez les parents qui induirait leurs
enfants à être très bons à l’école ?
1
OUI 1 NON
Justifiez
votre réponse.
Contrairement à ce qu`on attendait, les
résultats collectés ont montré qu`un tiers des personnes interrogées croient
que l’intelligence est héréditaire (35,2 % ou 98/275). Ceci pourrait
s’expliquer par l’impact de l’enseignement scolaire (dominance du paradigme du
« tout génétique ») combiné à l’effet des media qui véhiculent une
idéologie déterministe. Par contre on sait maintenant que l’intelligence se
construit en fonction de l’expérience individuelle par interaction entre
l’environnement et le génotype.
Dans
ce qui suit, en plus de l`intelligence, nous allons poser le problème de
l`agressivité humaine et nous allons voir si elle est inscrite dans nos gènes
dès la naissance ou elle est épigénétique?
L’agressivité,
est-elle héréditaire ou acquise ?
Clément et al (1981) répond à la question
précédente comme suit : « Non, il n’existe pas de gène de violence ni
de " chromosome du crime". Une composante hormonale existe.
Cependant, le rôle de l’environnement social est primordial. En 1965, un
article dans la célèbre revue anglo-saxonne Nature établissait pour la première
fois une corrélation entre le caryotype XYY, un déficit mental, et un
comportement agressif. Parmi 197 détenus, les chercheurs découvrirent 7 XYY,
soit bien plus que dans une population témoin de 1925 hommes examinés au
hasard, dont un seul était XYY […]
Actuellement il semble admis que le pourcentage de XYY dans les institutions
pénales est légèrement supérieur à 1 % et de 0.1 % dans la population générale.
[…]
Dans aucun article nous n’avons trouvé ce pourcentage de plus de 99 % de
porteurs XYY qui n’on jamais été emprisonnés ou enfermés. Or il aurait suffi
que le doigt soit mis sur cette évidence pour que le mythe du « chromosome
du crime » ne puisse naître ! […]
Une erreur fréquente chez les chercheurs est de transformer une corrélation en
une relation de cause à effet : une alternative possible (parmi d’autres)
expliquant la corrélation entre XYY et emprisonnement, sans qu’il y ait la
moindre relation de cause à effet entre les deux paramètres ».
Kahn
(2000) : « (…) L’article qui rapporte ces
résultats, publié dans Nature, en tire la conclusion qu’un ou deux gènes de
"sociabilité" sont portés par le chromosome X masculin. Malgré son
intérêt, cette hypothèse doit être considérée avec précaution ; en effet,
doit-on penser que les hommes, dont le chromosome X est évidemment d’origine
maternelle puisqu’ils ont hérité d’un chromosome Y de leur père, sont tous des
êtres asociaux comparés aux femmes qui ont la chance insigne d’avoir hérité de
leur père ce chromosome X de la "sociabilité" ? La tendance
naturelle de la gent masculine à se réunir entre copains, à former des clubs de
pétanque ou de chasse, ne le suggère pas vraiment ».
Question
de recherche : Y a-t-il une prédisposition génétique chez les
parents qui induirait leurs enfants à être agressifs ?
1
OUI 1 NON
Justifiez
votre réponse.
Présentation
de quelques résultats
ü La
majorité des personnes tunisiennes interrogées (71,7 %) refusent le
déterminisme génétique de l’agressivité en répondant « non ».
ü Le
cinquième de ces personnes interrogées
(21 %) déclarent croire à l’hérédité de l’agressivité en répondant
« oui ». Ce résultat nécessite un commentaire spécial car il est
alarmant. Ceci pourrait être du au mythe tenace du chromosome du crime (Clément
et al, 1981) qui sévit encore car les media ne l’ont pas combattu avec le même
enthousiasme que celui qui a servi à sa propagation.
ü Le
dixième des personnes interrogées (9.8 %) ont fourni des arguments génétiques
selon le modèle causal linéaire (génotypeà phénotype).
ü Le
tiers des personnes interrogées (33,1 %) ont fourni des arguments
environnementaux et 5,1 % ont fourni des arguments non génétiques ce qui
suggère que le refus du déterminisme génétique de l’agressivité peut être remplacé
par un déterminisme culturel selon le modèle causal linéaire (environnement) ou
(non génétique) à phénotype),
ü 0.4
% seulement des personnes interrogées ont fourni des arguments environnementaux
et génétiques, mais selon le modèle additif (environnement + génotype à phénotype).
Si
l`intelligence et l`agressivité ne sont pas héréditaires, peut-on donc cloner
l`homme intelligent (les prix Nobel) ou l`homme agressif (les criminels)?
Peut-on cloner l’Homme ?
Clonage et épigenèse
En
1997, des chercheurs britanniques sont parvenus à cloner une brebis, à créer en
laboratoire son double génétique, sans fécondation d’un ovule par un
spermatozoïde, à partir d’une cellule différenciée prélevée sur une glande
mammaire. Mais la succession d’évènements, ayant permis la naissance de la
fameuse brebis Dolly, a bien peu de chances de se produire dans la nature
(Gouyon et al., 1997). Dolly, la petite brebis met le monde en ébullition et à
partir de ce moment on commence à penser sérieusement au clonage humain. Je
cite ici Prochiantz (1993) qui attire notre attention sur la difficulté de
cloner l’Homme : « […] on peut faire l’hypothèse que plus une
espèce occupe une position élevée dans l’échelle évolutive, plus la part de
l’épi-génétique, comparée à la part du génétique, prend de l’importance dans la
construction des individus. ».
Critiques
épistémologiques récentes du terme clonage par Rumelhard (2005)
Il
faudrait citer ici en totalité le paragraphe pour bien comprendre sa critique
avec laquelle je suis tout à fait d’accord « Les termes de clone et de
clonage véhiculent une " représentation culturelle" très active
et fortement contagieuse (Claude Debru, 2003 p. 385-397). Initialement au
milieu des années 1950, le terme apparaît chez les botanistes et les agronomes.
Klôn signifie en grec petite branche, et le verbe Klaô signifie couper, tailler
des branches, fragmenter. Sur cette origine se greffent deux images :
celle de la reproduction végétative, et celle
de la fragmentation. C’est
l’ensemble des individus obtenus
sans fécondation, à partir
d’un seul individu,
par parthénogenèse ou
par bouturage. De cette pratique à celle du transfert de
noyaux, puis à la réalisation du clonage reproductif chez les batraciens (John
Gurdon, 1970), puis chez les mammifères, puis chez l’homme le chemin est long
et le changement de signification important. Clone ne signifie pas un groupe de
membres identiques, mais un membre individuel de ce groupe. " Ce
n’est plus le groupe, la reproduction en nombre, qui est en vue et peut
susciter l’effort, mais l’individu, et avec cette signification, c’est une
certaine culture, non de la production de masse, mais du narcissisme
individuel, qui s’introduit. Le terme de clonage en est donc venu à désigner des
réalités très différentes avec des connotations quasiment opposées et une très
grande ambivalence". Une base expérimentale assez semblable soutient cette
fois des problèmes, mais aussi des représentations, sinon des fantasmes, très
différents. »
Conclusion
sur le clonage humain
Au-delà de la critique pertinente de
Rumelhard, poser à des personnes des questions sur le clonage permet d’avoir
des conceptions intéressantes qui porteront à la fois sur :
-
la question du
déterminisme génétique des compétences intellectuelles (ou autres), ce qui
rejoint l’axe central de notre recherche sur les déterminismes
biologiques ;
-
les connaissances
scientifiques, avec ou non la confusion entre clonage et photocopie, la prise
en compte ou non de l’épigenèse cérébrale ;
-
et enfin des
positions éthiques quand au droit moral de cloner un être humain, en tant que
pratique socialement admise ou interdite.
Si
on ne pourra jamais cloner l`homme intelligent ni l`homme agressif, peut-on au
moins éviter les maladies héréditaires ?
Peut-on
éviter certaines maladies héréditaires ?
Science et idéologie :
Les maladies héréditaires ne constituent pas une fatalité !
Un des objectifs du débat actuel est de dissocier le postulat
matérialiste de la biologie des conceptions héréditaristes et réductionnistes
qui lui collent trop à la peau (Clément, 1999). Dans les manuels scolaires
tunisiens et français (mis à part Nathan), l’identité d’un être humain est
systématiquement associée à la seule identité génétique, ce qui manifeste des
choix implicites très héréditaristes (Abrougui, 1997). Ces choix peuvent
conforter des conceptions héréditaristes chez les enseignants tunisiens et des
blocages ou absences de motivation chez les apprenants qui pourraient ainsi
dire : l’intelligence est héréditaire, et si nous ne sommes pas
intelligents, ce n’est pas notre faute et on n’y peut rien. Donc à quoi sert de
travailler si notre destin est déjà écrit dans l’ADN ?
A présent, on pense que tous les
comportements, toutes les pensées, de tous les êtres vivants sont des effets de
l’interaction entre l’environnement et l’ADN. Mais les facteurs de
l’environnement sont très faiblement pris en considération dans les manuels
scolaires tunisiens, car ils sont absents dans les programmes, ce qui traduit
un choix de la noosphère (Abrougui, 1997).
L’identité biologique est un concept porteur
de plusieurs sens. Elle est en partie définie, bien sûr, par notre génome
unique (ADN). Cette identité englobe le biologique, le génétique, le
comportemental, le psychologique, car les traits psychologiques ont, avec
l’épigenèse, une base neuronale : ils sont aussi biologiques (Abrougui
& Clément, 1996). Notre identité biologique, c’est tout notre corps en
interaction avec son environnement intérieur et extérieur comme l’affirme Prochiantz (1993) « On ne pense pas
de la même manière si on est un manchot ou si l’on a ses deux mains ».
L’intelligence n’est pas uniquement située dans la tête.
L’exemple
connu de modification du déterminisme génétique, c’est le cas de la lutte
contre la "phénylcétonurie" (n.b.1) par un régime carencé en phénylalanine
responsable de cette maladie chez les porteurs du gène (Jacquard, 1972). Nous
savons aussi que l’expression du gène dépend de son environnement cellulaire
comme dans le cas du colibacille (n.b.2).
Il
n’empêche que certains gènes sont directement déterminants comme dans le cas de
la maladie de « la chorée de Huntington» (n.b.3). Cependant, il est des
cas d’anomalies génétiques où l’environnement peut empêcher la prédisposition
génétique de se concrétiser comme dans le cas où la découverte d’une
prédisposition à un infarctus du myocarde peut conduire à une hygiène,
alimentaire notamment, plus stricte. Un autre exemple est cité par Atlan :
« Certains cancers du sein ont une détermination génétique : ce
sont les cancers familiaux et précoces, qui touchent, de mère en fille, des
femmes relativement jeunes. Actuellement, on a identifié des gènes qui
déterminent l’apparition de cancers dans ces familles. Cette détermination
n’est pas absolue, mais importante, car elle a été estimée à 80 % (bien que
cette estimation soit contestée), […]
Toute la question est là : est-ce 20 % c’est beaucoup ou non, est-ce que
80% c’est beaucoup ou non ? Dans ces exemples, la prédiction n’est pas
absolue. Quand elle est absolue (ce qui est rare), comme dans le cas de la
chorée de Huntington, pour autant on ne sait pas à quel moment la maladie va se
développer. » (Atlan & Bousquet, 1994, p.p. 65-66).
Dans
l’exemple précédent, Atlan a parlé de
parité (détermination estimée à 80%) mais il a ajouté entre parenthèses
que cette estimation est contestée. En effet, elle l’est car il y a une
interaction entre le génome, l’environnement et le phénotype donc nous
préférons la formule « magico-scientifique » d’Albert Jacquard « 100 % inné et 100 %
acquis » pour chaque caractère, (Jacquard, 1993).
Notes
de bas de page
1. Phénylcétonurie : Affection héréditaire dans laquelle l’enzyme qui
transforme la phénylalanine (acide aminé) en tyrosine (autre acide aminé) est
déficiente et cela provoque une arriération mentale sévère. Un traitement est
possible, il consiste à restreindre la prise de phénylalanine qui est un
constituant de la plupart des aliments renfermant des protéines. Le malade est
soumis à un régime, principalement végétarien, très pauvre en protéines.
2. Colibacille : Ce n’est qu’en
présence de lactose que le colibacille se met à synthétiser une protéine qui
lui permet de tirer de l’énergie de ce sucre particulier. Ce signal qui
déclenche la transcription du gène correspondant est détecté par une partie du
gène lui même (Chambon, 1993).
3. La chorée de Huntington : Maladie peu fréquente dans laquelle la
dégénérescence des noyaux striés gris centraux du cerveau entraîne une chorée
(mouvements involontaires, rapides, saccadés) et une démence (détérioration
mentale progressive). C’est une maladie génétique à transmission autosomique
dominante. Les symptômes n’apparaissent généralement pas avant l’âge de 35 à 50
ans ; dans de rares cas, cette maladie survient dans l’enfance (Encyclopédie
médicale de la famille, Larousse, 1991).
Si
l’intelligence n’est pas héréditaire par les gènes à 100%, quel est donc son
autre support biologique?
Partie 2.3 :
Polémique autour du cerveau humain
Evolution des connaissances
sur le cerveau.
Les végétaux n’ont ni système nerveux
ni cerveau. La plupart des animaux que nous connaissons ont un cerveau
(concentration de groupes de neurones dans la partie antérieure du corps, la
tête), mais il y a des animaux qui ont un système nerveux sans cerveau comme
les coraux, les méduses et les anémones de mer, d’autres n’ont ni système
nerveux ni cerveau comme les éponges et les unicellulaires.
Ce qui distingue le cerveau de l’homme
de ceux des animaux, c’est le grand développement des circonvolutions de la
région frontale siège des facultés cérébrales les plus élevées, jugement,
réflexion, abstraction, etc. (Broca).
Paléontologie
du cerveau
Comme toutes les parties molles des animaux,
le cerveau n’est pratiquement jamais fossilisé mais la cavité crânienne
fossilisée reflète assez précisément l’anatomie de la surface du cerveau.
L’apparition d’un « cerveau » remonte à près de 700 millions d’années.
Matérialisme
contre spiritualisme et modèles du cerveau
Spiritualisme, dualisme et modèle hydraulique
De Platon à Descartes et même à nos jours,
certains philosophes récusaient l’idée selon laquelle il existerait un support
biologique de l’âme.
Dans l’Antiquité, en Grèce comme en Egypte, on se
posait la grande question : « où siège l’âme, dans le cœur ou dans le
cerveau ? ».
Thèse cardiocentrique
Malgré leur papyrus, il semble que les
anciens égyptiens comme les mésopotamiens ou les hébreux et mêmes Homère (poète
de l’Iliade) et Lucrèce croyaient que c’est le cœur et non le cerveau qui est
responsable de nos comportements.
Aristote (3 siècles avant J.-C.) réactualise
Homère en affirmant que le cœur est le siège des sensations, des passions et de
l’intelligence. Le cerveau pour lui «composé d’eau et de terre» ne joue que
le rôle de réfrigérateur de l’organisme car il ignore l’existence des nerfs,
mais a observé les vaisseaux sanguins ainsi que leur convergence vers le cœur.
Thèse céphalocentrique
En 1930, J. Breasted déchiffre un papyrus
égyptien qui contient un traité de chirurgie où, pour la première fois dans
l’histoire, le cerveau apparaît sous un nom qui lui est propre. Ce manuscrit,
daté du XVIIème siècle avant J.-C., est vraisemblablement une copie d’un texte
antérieur rédigé vers les années 3000 avant notre ère. On y trouve une liste de
48 cas de blessures à la tête et au cou […] Le cas 8 est capital : le scribe
note qu’ «une blessure qui est dans le crâne» s’accompagne d’une « déviation
des globes oculaires » et que le malade «marche en traînant le pied».
5 siècles avant J.-C., Démocrite qualifie le
cerveau de « citadelle du corps », de « gardien de la pensée et de
l’intelligence ».
Hippocrate, le plus grand médecin de
l’antiquité, précise que « si l’encéphale est irrité, l’intelligence se
dérange ». Lui et ses collègues consolident et enrichissent la thèse de
Démocrite par l’observation clinique : Croton et Hippocrate indiquaient que le
cerveau est l’organe de la « raison » ou d’un « esprit dirigeant»
et considéraient le cœur comme un organe des sens.
3 siècles avant J.-C., Hérophile rectifia
l’erreur d’Aristote en considérant le cerveau comme le siège de la pensée.
2 siècles après. J.-C., Galien, médecin
romain, (130-200), porte le coup fatal à la thèse cardiocentrique en montrant
par des expériences que le cerveau joue bien le rôle central dans la commande
du corps et de l’activité mentale. Mais l’opinion erronée d’Aristote survivra
jusqu’à nos jours : on la rencontre chez nos élèves de 3ème à l’occasion
de la leçon sur le cœur. Heureusement qu’on peut la réfuter facilement
aujourd’hui en invoquant un argument scientifique solide : la transplantation
cardiaque ne change pas le comportement du patient. Selon Galien, le « pneuma psychique »
ou « organe de l’âme », que les ventricules produisent et stockent, circule
dans les nerfs et met ainsi en relation cerveau, organes des sens et organes
moteurs. Il subdivise l’âme en trois fonctions : motrice, sensible et
raisonnable puis poursuit la décomposition de l’âme raisonnable en trois
facultés qu’il nomme imagination, raison et mémoire.
4 siècles après. J.-C., Les pères de
l’église, Némesius et Saint-Augustin logent les trois facultés de Galien dans
trois ventricules cérébraux où s’écoulent les esprits animaux (anima = âme).
15 siècles après. J.-C., avec la renaissance,
les dissections des animaux et surtout des cadavres reprennent, ce qui ouvre la
voie à l’anatomie. Léonard de Vinci donne un dessin précis des circonvolutions
cérébrales. Les ventricules sont remplacés par des parties solides de la
substance même du cerveau mais il conserva la notion de la localisation des
facultés psychiques dans les trois ventricules comme en témoigne un de ses
dessins (cf. frontispice, p.5).
17 siècles après. J.-C., avec Descartes,
philosophe français (1596-1650), le pneuma de Galien deviendra « les esprits
animaux » (anima = âme), qui véhiculés dans les nerfs, gonflent les
muscles. Il logeait l’âme dans la glande pinéale (l’épiphyse) et croyait que
cette glande fait l’union de l’âme et du corps. Descartes, le physiologiste a
chassé l’âme du corps pour pouvoir l’analyser mais en tant que métaphysicien,
il a sauvé l’âme du scalpel du physiologiste en l’immatérialisant. Pour lui le
corps est une machine mais il continue de croire que l’âme est immortelle. Le «
dualisme cartésien », ou séparation entre l’âme immatérielle et le corps
machine, ménage la chèvre et le chou. Ce dualisme affiché pourrait ne pas être
l’authentique pensée de l‘auteur d’après J. P. Changeux car l’immatérialité de
l’âme était la doctrine officielle à son époque. Dans la civilisation
arabo-musulmane au moyen âge, ce dualisme est courant chez les savants qui
hésitaient à s’opposer ouvertement à la doctrine officielle par flagornerie ou
par crainte du pouvoir établi.
Encore 17 siècles après. J.-C., Willis (1664)
met un point final à la doctrine ventriculaire et attribue avec raison, la
primauté au cortex cérébral. Toutefois comme Descartes, il accepte encore
l’idée d’une âme immatérielle. La recherche d’un support anatomique pour l’âme
reste une préoccupation des anatomistes, Willis la logeait dans le corps strié,
Vieussens (1685) dans la substance blanche des hémisphères, et Lancisi (1739)
dans le corps calleux.
Les
dualistes contemporains tentent de perpétuer une certaine tradition cartésienne
avec des termes actualisés. Ce courant minoritaire a la chance de compter dans
ses rangs des noms aussi illustres que ceux du Karl Popper, Sir John Eccles
(neurobiologiste et prix Nobel de médecine 1963) et Roger Penrose
(mathématicien et physicien). Eccles, pour qui l’âme serait en fait réunie par
Dieu au fœtus trois semaines environ après la conception, a dit « (…) nous
devons reconnaître que nous sommes des êtres spirituels vivants dans un monde
spirituel, tout comme il existe des êtres matériels dotés d’un corps et d’un
cerveau évoluant dans un monde matériel ». Mais il se démarque de Descartes
en affirmant que sans le cerveau, il n’y a plus de conscience et que la
conscience émerge et acquiert une nature différente de la matière cérébrale.
Elle utilise le cerveau, plutôt que de se fondre avec lui. (Frei 1999). Penrose
pense que nous ne vivons pas dans un monde unifié mais qu’il existe un monde
mental distinct qui se « fonde » sur le monde physique. Selon lui, nous vivons
dans trois mondes distincts : un monde physique, un monde mental et un monde
d’objets abstraits comme les nombres et d’autres entités mathématiques.
(Searle, 1996).
Je termine ce paragraphe par les propos très
éloquents de D.C. Dennett dans une interview (Dennet, 1999)
La
Recherche (revue): Pendant des siècles, les gens ont cru que leur esprit et
leur corps étaient deux choses de nature différente. Descartes lui-même,
considérait cette distinction comme évidente. Qu’en pensez-vous ?
Daniel
Dennett : Ce « dualisme », cette croyance irréfléchie en la dualité du corps
et de l’esprit, peut paraître naturelle : elle n’en est pas moins radicalement
fausse. Nous savons aujourd’hui que chacune de nos idées, chacune de nos rêves,
chacun de nos états d’esprit n’est rien d’autre qu’un événement qui se produit
dans notre cerveau. Cette vue matérialiste est, désormais, communément
acceptée. Si complexe et intéressante soit-elle, la conscience n’est donc qu’un
phénomène physique de plus, au même titre que le magnétisme ou la
photosynthèse.
NB :
Cette synthèse ci-haut a été le fruit de la lecture des 5 livres suivants :
L’homme neuronal de J.-P. Changeux (1983), Mille cerveaux mille mondes (1999),
l’article de P. Clément «Conceptions sur le cerveau santé et normalisation»,
Voyage au centre du cerveau d’E. Fottorino (1998), La construction du cerveau
d’A. Prochiantz (1989 révisé en 1993).
Broca a distingué le cerveau de l’homme de
ceux des animaux. Dans l`espèce humaine, y-a-il une différence
entre le cerveau de l`homme et celui de la femme ?
Le cerveau de la femme n’est
ni inférieur ni identique à celui de l’homme
Jalila
Behi: « L`Humanité, l`homme n`en a que la moitié »
(Editions Nirvana, 2003).
Je
commence par une enquête que j’ai effectuée, en
2000, sur un échantillon composé de 275 personnes (étudiants et
enseignants tunisiens). Dans l’un des
sujets de cette enquête, je suis arrivé au résultat suivant : 33 % des
personnes interrogées affirment que le cerveau de l’homme est plus lourd que
celui de la femme.
Les
origines de ces conceptions non scientifiques et idéologiques pourraient venir
des travaux de Broca et il se pourrait que les biologistes qui n’ont pas étudié
l’épistémologie et l’histoire des sciences ne soient pas au courant des
corrections de Gould.
En
1861, Paul Broca, éminent neurobiologiste français et chef de file de la
craniologie, mesure le poids des cerveaux d’hommes et de femmes. Etant donné
que les cerveaux des femmes étaient nettement moins lourds que ceux des hommes,
Broca mit en relation cette « infériorité physique » avec ce qui était
admis à cette époque : « l’infériorité intellectuelle » des
femmes. Cent vingt ans après, Stephen Jay Gould, paléontologue américain, a
ré-analysé les mesures originales de Broca et montré que les différences de
poids de ces cerveaux étaient d’abord liées à la taille des individus, puis à
leur âge, puis à la présence ou absence de méninges, etc. : le paramètre
sexe n’intervient jamais !
Dans
un ouvrage scientifique, « La mal mesure », Gould,
Par
ailleurs, d’autres travaux ont prouvé que, dans l’espèce humaine, il n’existe
aucune relation entre le poids du cerveau et l’intelligence ou toute autre
performance intellectuelle (Vidal, 2001). Mais plus d’un siècle de croyances
craniologiques a marqué des générations d’enseignants et d’élèves, et s’est
inscrit dans notre langage quotidien (« grosses têtes, petites têtes »,
« cerveaux d’oiseaux », etc.). Il n’est pas si facile de s’en
sortir, et de faire passer le message que les performances cérébrales résultent
des processus d’épigenèse au cours desquels se configurent et reconfigurent nos
réseaux neuronaux en interaction avec les expériences vécues. Un réseau
neuronal est un ensemble de neurones du système nerveux, qui ayant des données
différentes, peut les combiner pour en déduire un état précis, par exemple,
savoir de quelle force est la pression exercée sur la main, sa localisation.
Supposons
que deux bébés vrais jumeaux abandonnés sont adoptés par deux familles
différentes, l’un devient médecin et l’autre ingénieur. Si nous analyserons
leurs cerveaux par imagerie médicale, on trouvera des réseaux neuronaux
différents malgré leur similitude totale en poids, volume et nombre de neurones.
Donc, c’est tout à fait normal qu’il existe des différences entre les cerveaux
des hommes et ceux des femmes au niveau de la configuration des réseaux
neuronaux. On sait maintenant que le cerveau influe sur le comportement et le
comportement influe sur le cerveau. Donc les deux sont en interaction. Et on
sait aussi que les hommes et les femmes n’ont pas le même comportement et ne
vivent pas dans le même environnement.
Les réseaux neuronaux du cerveau forment le
support biologique des différences entre les opinions des hommes et des femmes.
La maturation du cerveau dépend des interactions entre l’inné et l’acquis. Un
singe n’atteindra jamais l’intelligence d’un homme même s’il vit dans le même
environnement car tout simplement il n’a pas hérité un cerveau humain.
Le
nombre de réseaux neuronaux n’augmente pas proportionnellement au poids du
cerveau. Et d’ailleurs, le petit cerveau d’un oiseau, avec ses réseaux
complexes, est capable de réaliser des performances formidables comme par
exemple sa performance intellectuelle supérieure « chanter ».
Conclusion
Le
cerveau de la femme n’est ni inférieur ni
identique à celui de l’homme. Il me semble que les opinions non
scientifiques sont très résistantes et qu’on ne peut pas les changer seulement grâce à l’acquisition
des connaissances exactes. Bien que l’information correcte (Le poids du
cerveau n’a aucun rapport avec l’intelligence, mais il varie en fonction du
poids du corps) existe dans le manuel scolaire officiel du bac, enseignants
et élèves persistent à croire que l’homme est plus intelligent que la femme car
son cerveau est plus grand.
Problématique : Comment peut-on changer ces opinions sexistes qui favorisent les hommes
aux dépens des femmes selon le volume de leur crâne et le poids de leur
cerveau?
Comment fonctionne donc notre cerveau ?
Le cerveau humain: est-il un tout
ou la somme des parties ?
Débat entre les unitaristes et les
localisationnistes du cerveau
ü F.
Lhermite propose de comparer le cerveau à la ville de Paris : « Si
une bombe détruit le pont de la Concorde, la fonction circulatoire de la ville sera gravement affectée. Est-ce à
dire que la circulation automobile à Paris siège sur le pont de la Concorde ?
Notre cortex fonctionne comme un tout. Certaines zones sont spécialisées. Mais
chacune prise isolément n’a aucun sens. » (Fottorino, 1998).
ü Le
progrès de l’imagerie médicale a confirmé, tout en les nuançant, les thèses
localisationnistes (confirmation des homonculus, zones visuelles, centres du
langage, etc.) mais en même temps, les
zones d’association qui occupent plus que 80 % de la surface du cortex restent
encore largement méconnues. L’imagerie
médicale montre que quand on parle, la zone de Broca est activée mais elle nous
fait découvrir en même temps le fonctionnement en réseau du cortex.
ü Chacune
des deux théories, le localisationnisme et l’unitarisme, a contribué au
développement des connaissances sur le cerveau et sur son activité. Les
localisationnistes ont fait des découvertes cliniques importantes concernant
les aptitudes psychiques et leurs supports anatomiques. Les unitaristes ont
insisté sur le fonctionnement global du cerveau et ont préparé le terrain à la
découverte de la théorie de l’épigenèse et de la plasticité cérébrale.
Les
deux théories, localisationniste et unitariste, se complètent malgré leurs
divergences apparentes. L’apport des deux conceptions à la neurophysiologie
contemporaine ne peut pas être nié. Aujourd’hui, on accepte à la fois l’existence des
centres cérébraux mais on refuse de lier une fonction psychique à un territoire
bien délimité du cerveau. M. Meunier et M. Jannerod, 1999, affirmaient
que : « A elle seule, la fonction de la vision sollicite au moins
trente régions différentes du cortex du singe ».
Notre cerveau, fonctionne-t-il comme un
ordinateur ?
Critiques récentes du modèle ordinateur du cerveau
L’ordinateur
impressionne les adultes avant les enfants. Avec un milliard d’opérations par
seconde, il y a de quoi émerveiller le monde entier. Mais quel ordinateur
reconnaîtrait un coquelicot ou un papillon, déciderait de changer d’avis, de se
reprogrammer, d’être Goethe et d’enfanter Faust ? (Fottorino, 1998).
L’émerveillement devant un micro-ordinateur nous fait oublier que ses
performances sont programmées par l’homme. On développe actuellement des unités
élémentaires de traitement de l’information dans des ordinateurs
neuro-mimétiques. L’analogie s’arrête là quand on sait que dans le cerveau
humain, le nombre des synapses est supérieur au de 1016 et que
chaque neurone cortical humain en établit une moyenne de 10 mille avec des
neurones voisins, alors que les liaisons de chaque unité élémentaire de
traitement parallèle de l’information
dans un ordinateur sont inférieures à une dizaine. Notre mémoire diffère de
celle de l’ordinateur en deux points : tout d’abord, sa capacité est
énorme ; on suppose qu’elle est équivalente à environ 1016 bits
(dix millions de milliards de bits), alors que la mémoire centrale du Cray C98,
l’un des ordinateurs les plus puissants en 2007, peut stocker au maximum 64
milliards de bits. La façon dont une information aussi gigantesque est stockée
si efficacement et récupérée si rapidement reste très mystérieuse. Ensuite,
notre cerveau possède deux formes distinctes de mémoire, la mémoire déclarative
ou cognitive (savoir) et la mémoire procédurale (savoir-faire) (Masao, 1994).
Je termine ce paragraphe par les critiques de Varela (1998) et Edelman
de la notion du « cerveau ordinateur ». Varela dans un article- interview intitulé « le cerveau n’est pas un
ordinateur » : « la notion d’ordinateur neuronal n’est pas
évidente, parce qu’un ordinateur, stricto sensu, c’est un système
numérique ». (La Recherche, 1998). Le cerveau ne peut pas fonctionner
comme un ordinateur, explique en substance Gerald Edelman (1989), parce qu’il
n’a pas de programme. Il n’obéit pas à une série d’instructions codées au
préalable. Le bébé qui apprend à reconnaître, par exemple, les petites autos, n’avait pas au
départ une catégorie « voitures miniatures » inscrite dans la
mémoire. « Le monde ne se présente pas au cerveau comme morceau
d’enregistrement informatique contenant une série non ambiguë de signaux,
écrit Edelman. Le cerveau permet à l’animal de sentir son environnement, de
catégoriser des structures au sein d’une multitude de signaux variables et de
déclencher des mouvements. […] l’aptitude du système nerveux à effectuer une
catégorisation perceptive des différents
signaux pour la vue, le son, etc., et à les diviser en classes cohérentes sans
code préalable est propre au cerveau, et les ordinateurs n’y parviennent
pas. » (Le nouvel Observateur, 2000).
Perspectives
L`orateur ne comprend pas que
son public cible ne comprend pas.
Les prosélytes ne comprennent
pas que leurs adeptes ne comprennent pas.
L`élite ne comprend pas que la
base ne comprend pas.
Les médecins ne comprennent pas
que leurs patients ne comprennent pas.
Les ingénieurs ne comprennent
pas que leurs ouvriers ne comprennent pas.
Les artisans ne comprennent pas
que leurs apprentis ne comprennent pas.
Les parents ne comprennent pas
que leurs enfants ne comprennent pas.
Les épouses ne comprennent pas
que leurs époux ne comprennent pas.
Les époux ne comprennent pas que leurs épouses ne
comprennent pas.
Le tiers-monde ne comprend pas
que le premier monde ne comprend pas.
RÉFÉRENCES
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Auteur: Mohamed
Kochkar, mkochkar@gmail.com, 4
rue Bardo Hammam-Chatt, Fixe: 71431913, Mobile: 23139868.
صدر
للكاتب
1. جمنة بين الماضي والحاضر ....................................
172 صفحة
قريبا
سيصدر للكاتب إن شاء الله
2.
تصورات بعض المفكرين حول العَلمانية.......................
105 صفحة
3. سيرة غير ذاتية
وغير موضوعية................................ 131 صفحة
4.
أفكر ولا أبالي......................................................
171 صفحة
5. قرأتُ فعلّقتُ..........................................................128
صفحة
سلسلة "نقد السائد":
6.
نقد السائد في النظام التربوي التونسي..........................
221 صفحة
7.
نقد السائد في أشكال التدين الإسلامي الشائع...................
211 صفحة
8.
نقد السائد في التصورات الذكورية حول المرأة.................
63 صفحة
9.
الابن الضال للاتحاد العام التونسي للشغل.......................160
صفحة
10.
نقد السائد في الأحزاب السياسية التونسية.......................138
صفحة
11.
نقد السائد في الثورة التونسية..................................276 صفحة
Signature de l`auteur de ce livre,
Citoyen du Monde Dr Mohamed Kochkar
« Pour
le critique, il ne s’agit pas de convaincre par des arguments ou des faits,
mais plus modestement, d’inviter à essayer autre chose »
(Michel
Fabre & Christian Orange, 1997).
« À
un mauvais discours, on répond par un bon discours et non par la
violence »
(Le
Monde Diplomatique).
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