Cerveau femme /
cerveau homme. Citoyen du Monde Dr Mohamed Kochkar
Points de vue de certains auteurs dans ce domaine:
ü La scientifique canadienne Sandra Witelson fut la première, en 1975, à démontrer que le corps calleux était plus développé chez les gauchers que chez les droitiers. Mais le point sans doute le plus important de ces résultats fut l’affirmation d’un effet du sexe : un facteur lié au sexe semble déterminer les liens entre la morphologie de cette partie du cerveau et la latéralisation du comportement gestuel (Habib, 1995). Ce travail a été vivement critiqué dès 1980 : la proportion de droitiers et gauchers n’avait même pas été noté dans les groupes d’hommes et de femmes comparés (Clément et al, 1980).
ü
Le chercheur
américain, Simon Le Vay, a observé en 1991 que le volume du noyau
INAH3 (Noyau interstitiel de l’hypothalamus antérieur) est similaire chez les
hommes homosexuels et chez les femmes, tandis qu’il est deux fois plus gros
chez les hommes hétérosexuels (les différences mises en évidence ne dépassent
pas le dixième de mm3 !). La conclusion de Le Vay est « qu’il
existerait un substrat biologique à l’orientation sexuelle ».
Cette
conclusion est loin d’être acceptée par l’ensemble de la communauté
scientifique. A côté des implications idéologiques, la critique principale
porte sur la validité des résultats publiés. Une objection majeure est que les
hommes homosexuels dont le cerveau a été étudié par Le Vay étaient tous
atteints du sida ; nombre des hétérosexuels étaient alcooliques ou toxicomanes.
Or l’infection par le VIH comme la consommation de drogues perturbent les
systèmes hormonaux, y compris les hormones sexuelles. De plus, le virus du sida
et les drogues pénètrent dans le cerveau et y produisent des dysfonctionnements
et des lésions. Autre objection, le statut d’hétérosexuel des sujets décédés
ainsi qualifiés n’a jamais été vérifié. Malgré les réserves que l’on peut
avancer sur la rigueur de l’étude de Le Vay, celle-ci a néanmoins été publié
dans la très prestigieuse revue scientifique américaine « Science ».
(Vidal, 1996).
ü
Un pas de plus a été franchi en 1995 avec la
publication dans une grande revue « Nature » d’un article comparant
les cerveaux de sujets transsexuels, homosexuels et hétérosexuels. Les auteurs
de ce travail appartiennent au groupe des chercheurs hollandais qui avaient
montré dix ans plus tôt que le noyau INAH1 (Noyau interstitiel de
l’hypothalamus antérieur) est plus gros chez l’homme que chez la femme,
résultat qui n’a jamais pu être reproduit par d’autres équipes. Dans leur
nouvel article, les chercheurs décrivent un autre noyau le BST (noyau basal de
la strie terminale), situé à proximité de l'hypothalamus, et dont la taille
chez les hommes transsexuels et les femmes est réduite comparativement aux
hommes homosexuels et hétérosexuels. Les auteurs concluent à une origine
biologique possible de la transsexualité : elle serait due à une
féminisation du cerveau par les hormones sexuelles au cours du développement.
Or les hommes transsexuels étudiés avaient reçu des hormones femelles pendant
des années, traitement agissant sur le cerveau et susceptible de modifier,
entre autres, le volume du noyau BST (noyau basal de la strie terminale). De
plus, comme dans les études précédentes, la fonction de ce noyau n’est pas connue
chez l’humain. (Vidal, l996).
ü
Schaywitz et al. ont publié un article en 1995 dans la revue
« Nature » montrant à l’aide de la technique très performante
d’imagerie par résonance magnétique du cerveau (IRM fonctionnelle) que pour
détecter les rimes entre les mots, les dix-neuf sujets masculins de l’étude ont
utilisé l’hémisphère cérébral gauche alors que onze des dix-neuf femmes testées
utilisaient les deux hémisphères. Cet article a été fort critiqué par Vidal (La
Recherche, 1996) et par Clément (1997, 2001). Vidal : « Un fossé
sépare les performances dans un test de langage ponctuel et les processus
hautement complexes qui sous-tendent l’élaboration de la pensée. Ce fossé est,
comme souvent, allègrement franchi quand il s’agit de vulgariser un résultat scientifique
à forte portée médiatique. Journalistes et chercheurs se retrouvent parfois
complices dans ce type de démarche. ». Clément : « …La
même recherche contenait donc deux fois plus de résultats où le fonctionnement
des cerveaux d’hommes et de femmes ne diffèrent pas (pour les tâches qualifiées
par les chercheurs de « orthographiques » et
« sémantiques ») que l’inverse (une différence pour la tâche
qualifiée de « phonologique »). Comment les chercheurs ont-ils
présenté et titré leurs résultats ? […]
Ce titre choisi par les chercheurs, est à lui seul éloquent : il ne parle
que de la différence ! (« Sex differences in
the functional organization of the brain for language ») […] Leur texte indique bien que c’est
ça ce que les chercheurs voulaient montrer, une différence entre hommes et
femmes ; ils insistent sur ce résultat. Tandis que les non-différences qu’ils
montrent aussi ne les intéressent guère : ils ne les commentent
pratiquement pas […]
Citoyens, citoyennes, mêmes cerveaux ? Dans l’espèce humaine, toute
différence cérébrale peut être aussi bien la conséquence que la cause de
comportements différents, la trace que le destin d’histoires singulières.
Pourquoi dès lors autant s’exciter (en recherche et en diffusion des sciences)
sur les différences cérébrales éventuelles entre hommes et femmes, sinon à
vouloir les transformer en justifications d’inégalités (sexisme classique), ou,
version plus moderne outre-Atlantique en justifications de traitements sociaux
« politiquement corrects » ? Ces dimensions idéologiques font
vendre (les projets de recherche comme les journaux de vulgarisation
scientifique) : « l’éthique de la recherche et de la diffusion des
sciences, ce n’est pas (seulement) la soif de connaissances ; c’est
(aussi) la soif d’argent».
ü
Habib (1999) rejoint Clément et Vidal dans leurs critiques
« Une étude récente utilisant la technique de l’écoute dichotomique
nous a permis de démontrer que la différence de latéralisation entre hommes et
femmes ne concerne en fait que certains aspects du langage, en l’occurrence les
aspects dits « prosodiques », ceux permettant d’affecter à la parole
une tonalité émotionnelle. Ainsi il est probable que les différences de
concentration sanguine en hormones sexuelles à différents stades du développement
de l’individu soient capables d’orienter la répartition entre les deux
hémisphères des fonctions du cerveau, expliquant peut être ainsi certaines
qualités traditionnellement qualifiées de masculines ou féminines. Toutefois,
il faut se garder d’en déduire une quelconque supériorité liée à une
caractéristique du cerveau».
Conclusion :
Cet
exemple homme/femme est une bonne illustration des interactions entre
connaissances (K) et valeurs (V) chez les chercheurs (et aussi KVP par les
pratiques éditoriales de Nature et autres revues scientifiques) selon le modèle
KVP de Clément (1998, 2004). En publiant des connaissances scientifiques
critiquables, ils véhiculent et justifient des valeurs d’inégalités (sexisme,
inégalité sociale, etc.).
Signature :
« Pour
l’auteur, il ne s’agit pas de convaincre par des arguments ou des faits, mais
plus modestement d’inviter à essayer autre chose ».
« A
un mauvais discours, on répond par un bon discours et non par la violence
verbale ou physique ».
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