mercredi 30 janvier 2013

Evolution des connaissances sur le cerveau. Citoyen du Monde Dr Mohamed Kochkar



Evolution des connaissances sur le cerveau. Citoyen du Monde Dr Mohamed Kochkar 

Les végétaux n’ont ni système nerveux ni cerveau. La plupart des animaux que nous connaissons ont un cerveau (concentration de groupes de neurones dans la partie antérieure du corps, la tête), mais il y a des animaux qui ont un système nerveux sans cerveau comme les coraux, les méduses et les anémones de mer, d’autres n’ont ni système nerveux ni cerveau comme les éponges et les unicellulaires. 
Ce qui distingue le cerveau de l’homme de ceux des animaux, c’est le grand développement des circonvolutions de la région frontale siège des facultés cérébrales les plus élevées, jugement, réflexion, abstraction, etc. (Broca). 
Paléontologie du cerveau 
Comme toutes les parties molles des animaux, le cerveau n’est pratiquement jamais fossilisé mais la cavité crânienne fossilisée reflète assez précisément l’anatomie de la surface du cerveau. L’apparition d’un « cerveau » remonte à près de 700 millions d’années. 
Matérialisme contre spiritualisme et modèles du cerveau 
Spiritualisme, dualisme et modèle hydraulique 
De Platon à Descartes et même à nos jours, certains philosophes récusaient l’idée selon laquelle il existerait un support biologique de l’âme. 
Dans l’Antiquité, en Grèce comme en Egypte, on se posait la grande question : « où siège l’âme, dans le cœur ou dans le cerveau ? ». 
Thèse cardiocentrique 
Malgré leur papyrus, il semble que les anciens égyptiens comme les mésopotamiens ou les hébreux et mêmes Homère (poète de l’Iliade) et Lucrèce croyaient que c’est le cœur et non le cerveau qui est responsable de nos comportements. 
Aristote (3 siècles avant J.-C.) réactualise Homère en affirmant que le cœur est le siège des sensations, des passions et de l’intelligence. Le cerveau pour lui « composé d’eau et de terre » ne joue que le rôle de réfrigérateur de l’organisme car il ignore l’existence des nerfs, mais a observé les vaisseaux sanguins ainsi que leur convergence vers le cœur. 
Thèse céphalocentrique 
En 1930 J. Breasted déchiffre un papyrus égyptien qui contient un traité de chirurgie où, pour la première fois dans l’histoire, le cerveau apparaît sous un nom qui lui est propre. Ce manuscrit, daté du XVIIème siècle avant J.-C., est vraisemblablement une copie d’un texte antérieur rédigé vers les années 3000 avant notre ère. On y trouve une liste de 48 cas de blessures à la tête et au cou […] Le cas 8 est capital : le scribe note qu’ « une blessure qui est dans le crâne » s’accompagne d’une « déviation des globes oculaires » et que le malade « marche en traînant le pied ». 
5 siècles avant J.-C., Démocrite qualifie le cerveau de « citadelle du corps », de « gardien de la pensée et de l’intelligence ». 
5 siècles avant. J.-C., Hippocrate, le plus grand médecin de l’antiquité, précise que « si l’encéphale est irrité l’intelligence se dérange ». Lui et ses collègues consolident et enrichissent la thèse de Démocrite par l’observation clinique : Croton et Hippocrate indiquaient que le cerveau est l’organe de la « raison » ou d’un « esprit dirigeant» et considéraient le cœur comme un organe des sens. 
3 siècles avant J.-C., Hérophile rectifia l’erreur d’Aristote en considérant le cerveau comme le siège de la pensée. 
2 siècle après. J.-C., Galien, médecin romain, (130-200), porte le coup fatal à la thèse cardiocentrique en montrant par des expériences que le cerveau joue bien le rôle central dans la commande du corps et de l’activité mentale. Mais l’opinion erronée d’Aristote survivra jusqu’à nos jours, on la rencontre chez nos élèves de 3ème à l’occasion de la leçon sur le cœur. Heureusement qu’on peut la réfuter facilement aujourd’hui en invoquant un argument scientifique solide : la transplantation cardiaque ne change pas le comportement du patient. 
Selon Galien, le « pneuma psychique » ou « organe de l’âme », que les ventricules produisent et stockent, circule dans les nerfs et met ainsi en relation cerveau, organes des sens et organes moteurs. Il subdivise l’âme en trois fonctions : motrice, sensible et raisonnable puis poursuit la décomposition de l’âme raisonnable en trois facultés qu’il nomme imagination, raison et mémoire. 
4 siècles après. J.-C., Les pères de l’église, Némesius et Saint-Augustin logent les trois facultés de Galien dans trois ventricules cérébraux où s’écoulent les esprits animaux (anima = âme). 
15 siècles après. J.-C., avec la renaissance, les dissections des animaux et surtout des cadavres reprennent, ce qui ouvre la voie à l’anatomie. Léonard de Vinci donne un dessin précis des circonvolutions cérébrales. Les ventricules sont remplacées par des parties solides de la substance même du cerveau mais il conserva la notion de la localisation des facultés psychiques dans les trois ventricules comme en témoigne un de ses dessins (cf. frontispice, p.5). 
17 siècles après. J.-C., avec Descartes, philosophe français (1596-1650), le pneuma de Galien deviendra « les esprits animaux » (anima = âme), qui véhiculés dans les nerfs, gonflent les muscles. Il logeait l’âme dans la glande pinéale (l’épiphyse) et croyait que cette glande fait l’union de l’âme et du corps. Descartes, le physiologiste a chassé l’âme du corps pour pouvoir l’analyser mais en tant que métaphysicien, il a sauvé l’âme du scalpel du physiologiste en l’immatérialisant. Pour lui le corps est une machine mais il continue de croire que l’âme est immortelle. Le « dualisme cartésien », ou séparation entre l’âme immatérielle et le corps machine, ménage la chèvre et le chou. Ce dualisme affiché pourrait ne pas être l’authentique pensée de l‘auteur d’après J. P. Changeux car l’immatérialité de l’âme était la doctrine officielle à son époque. Dans la civilisation arabomusulmane au moyen âge, ce dualisme est courant chez les savants qui hésitaient à s’opposer ouvertement à la doctrine officielle par flagornerie ou par peur vis-à-vis du pouvoir établi. 
17 siècles après. J.-C., Willis (1664) met un point final à la doctrine ventriculaire et attribue avec raison, la primauté au cortex cérébral. Toutefois comme Descartes, il accepte encore l’idée d’une âme immatérielle. La recherche d’un support anatomique pour l’âme reste une préoccupation des anatomistes, Willis la logeait dans le corps strié, Vieussens (1685) dans la substance blanche des hémisphères, et Lancisi (1739) dans le corps calleux. 
Les dualistes contemporains tentent de perpétuer une certaine tradition cartésienne avec des termes actualisés. Ce courant minoritaire a la chance de compter dans ses rangs des noms aussi illustres que ceux du Karl Popper, Sir John Eccles (neurobiologiste et prix Nobel de médecine 1963) et Roger Penrose (mathématicien et physicien). Eccles, pour qui l’âme serait en fait réunie par Dieu au fœtus trois semaines environ après la conception, a dit « … nous devons reconnaître que nous sommes des êtres spirituels vivants dans un monde spirituel, tout comme il existe des êtres matériels dotés d’un corps et d’un cerveau évoluant dans un monde matériel ». Mais il se démarque de Descartes en affirmant que sans le cerveau, il n’y a plus de conscience et que la conscience émerge et acquiert une nature différente de la matière cérébrale. Elle utilise le cerveau, plutôt que de se fondre avec lui. (Frei 1999). Penrose pense que nous ne vivons pas dans un monde unifié mais qu’il existe un monde mental distinct qui se « fonde » sur le monde physique. Selon lui, nous vivons dans trois mondes distincts : un monde physique, un monde mental et un monde d’objets abstraits comme les nombres et d’autres entités mathématiques. (Searle, 1996). Je termine ce paragraphe par les propos très éloquents de D.C.Dennett dans une interview (Dennet, 1999). 
La Recherche : Pendant des siècles, les gens ont cru que leur esprit et leur corps étaient deux choses de nature différente. Descartes lui-même, considérait cette distinction comme évidente. Qu’en pensez-vous ? 
Daniel Dennett : Ce « dualisme », cette croyance irréfléchie en la dualité du corps et de l’esprit, peut paraître naturelle : elle n’en est pas moins radicalement fausse. Nous savons aujourd’hui que chacune de nos idées, chacune de nos rêves, chacun de nos états d’esprit n’est rien d’autre qu’un événement qui se produit dans notre cerveau. Cette vue matérialiste est, désormais, communément acceptée. Si complexe et intéressante soit-elle, la conscience n’est donc qu’un phénomène physique de plus, au même titre que le magnétisme ou la photosynthèse. 

NB : Cette partie a été écrite essentiellement à partir des 5 livres suivants : L’homme neuronal de J.-P. Changeux (1983), Mille cerveaux mille mondes (1999), l’article de P. Clément « Conceptions sur le cerveau santé et normalisation », Voyage au centre du cerveau d’E. Fottorino (1998), La construction du cerveau d’A. Prochiantz (1989 révisé en 1993). 

Auteur : Mohamed Kochkar, Extrait de mon DEA, 2000, Université Claude Bernard Lyon 1 & Université de Tunis. 

Date de la première publication sur le net
Hammam-Chatt, le 16 octobre 2010.

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