Fin
de la Série Ansar Al-Charia: Les nouveaux
djihadistes
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Les nouveaux djihadistes
LE MONDE | 13.11.2012 à 12h23
Par Isabelle Mandraud
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Soudain, cet automne, leur nom, Ansar Al-Charia, les
"Partisans de la charia", est devenu presque familier. Projeté dans
l'actualité après les attaques, parfois meurtrières, de plusieurs ambassades
américaines dont ils ont été accusés, dans la foulée de la diffusion du film
islamophobe, L'Innocence des musulmans
En l'espace de quelques mois, en 2011, dans au moins
quatre pays concernés par le "printemps arabe" et des changements de
régime, en Tunisie, en Egypte, au Yémen, et en Libye, des groupes, baptisés du
même nom, ont surgi, mus par un seul et même objectif : l'instauration d'un
Etat islamique dans les pays libérés de la dictature
Le dernier-né de la famille, apparu au Maroc sous le nom
d'Ansar Al-Charia au Maghreb islamique, n'a guère eu le temps de se développer.
Huit de ses membres ont été arrêtés par la police marocaine le 5 novembre,
moins de quatre mois après sa création, au motif qu'ils s'apprêtaient, selon le
ministère de l'intérieur, à commettre "des actes de sabotage contre
des sites stratégiques, des bâtiments sensibles, des sièges des services de
sécurité et des sites touristiques dans plusieurs villes marocaines".
Au nord du Mali, occupé depuis le printemps par des djihadistes, le groupe
Ansar Dine dirigé par le Touareg Iyad Ag Ghali serait lui aussi issu de la même
mouvance
Qui sont-ils, ces "partisans de la loi
coranique" ? Une "nouvelle tendance émerge dans le monde du
djihadisme", comme l'écrit dans la revue Foreign Policy le
chercheur américain Aaron Y. Zelin ? Ou bien "une mutation
d'Al-Qaida", comme l'affirme l'universitaire Mathieu Guidère,
professeur d'islamologie à l'université de Toulouse ?
Le doute est né après la découverte, dans les documents
récupérés par les forces spéciales américaines à Abbottabad, la dernière
demeure au nord du Pakistan d'Oussama Ben Laden où il a été abattu le 2 mai
2011, de mails dans lesquels le chef d'Al-Qaida s'interrogeait sur la
pertinence de changer le nom de son organisation. Or dans la longue liste
rédigée par l'ancien dirigeant djihadiste figuraient Ansar Al-Charia, et même
Ansar Dine
FIGURES LOCALES
Les liens entre les Partisans de la charia et la célèbre
nébuleuse djihadiste apparaissent pourtant ténus – exception faite d'Ansar
Al-Charia au Yémen, où les liens avec Al-Qaida ont été clairement établis dès
avril 2011. Ailleurs, la réalité est plus complexe, au moins sur la forme et la
méthode
Bien qu'ils poursuivent le même but, et entretiennent des
connexions entre eux, – ce qu'ils nient –, les différents groupes Ansar Al-Charia
sont relativement autonomes et aucune autorité, aucun chef, ne les fédère. Des
figures ont certes émergé, mais elles restent locales
En Tunisie, Abou Ayad, 43 ans, de son vrai nom Seifallah Ben Hassine,
est devenu le plus médiatique d'entre eux. Ancien cofondateur du groupe
tunisien en Afghanistan, il est soupçonné d'avoir participé à la formation des
deux faux journalistes tunisiens responsables de la mort du commandant Massoud
le 9 septembre 2001
Arrêté en Turquie en 2003, extradé dans son pays natal,
il avait été condamné sous le régime de Ben Ali à soixante-trois ans de prison
en cumulé avant de bénéficier, comme d'autres, de l'amnistie générale
post-révolution de mars 2011
En Egypte, le groupe est lié au cheikh Ahmed Achouch,
impliqué dans le mouvement djihadiste depuis les années 1980. Arrêté au début
des années 1990, il ne fut libéré qu'après la chute d'Hosni Moubarak. En Libye,
Mohamed Al-Zahaoui, 44 ans, emprisonné dans la sinistre prison d'Abou Selim à
Tripoli, dirige la branche Ansar Al-Charia de Benghazi, formée après la chute
de Mouammar Kadhafi, par des combattants de plusieurs katibas (brigades)
Sur place, nombreux sont ceux, parmi les jeunes, qui ne
cachent pas leur admiration pour l'homme. "Il est le premier à avoir
utilisé un missile Milan, le premier à avoir détruit un char de Kadhafi à
Misrata...", nous déclarait mi-septembre Sofiane, un étudiant de 24
ans, pourtant peu attiré par le salafisme. "En dehors de la charia,
Ansar ne demande rien, mais ils ont trois choses importantes : des cheikhs, des
armes et des jeunes", s'inquiétait alors Abdelkader Kadura,
professeur de droit à l'université de Benghazi
IMMISCÉS DANS LA VIE POLITIQUE
Aucun de ces groupes ne raisonne plus selon le modèle
cher à Al-Qaida du djihad global. "Ils développent un discours
international mais agissent à l'échelle locale", note Aaron Y. Zelin.
"La Tunisie n'est pas une terre de djihad, mais de prédication",
ne cesse de répéter le Tunisien Abou Ayad. Libérés de prison, ou revenus
d'exil, les "cadres" d'Ansar Al-Charia ont décidé de réinvestir
chacun leur pays d'origine, pour y appliquer la loi coranique, aidés,
pensaient-ils, par l'arrivée au pouvoir de gouvernements dominés par des
islamistes
Partout, les Partisans de la charia se sont en effet
immiscés dans la vie politique locale, allant jusqu'à tenir, pour les
Tunisiens, un "congrès" à Kairouan, au mois de mai, au cours duquel 5
000 salafistes n'ont pas seulement étrenné leur slogan préféré, "Obama,
Obama, nous sommes tous des Oussama !", fait claquer les drapeaux
noirs de l'islam radical ou même mimé des scènes de combat sous le regard
satisfait d'Abou Ayad. Ils ont aussi affiché un programme comprenant un chapitre
sur... le tourisme islamique
Pour vaincre les réticences dont ils sont l'objet dans
les populations, les Ansar Al-Charia se sont également attribué un rôle social
: au Yémen, ils ont fourni de l'eau, de l'électricité, et assuré la sécurité.
En Tunisie, ils ont aidé des familles en difficulté, apportant vivres et gaz
jusque dans les villages les plus isolés. A Benghazi, le groupe a assuré avec
une redoutable efficacité la sécurité de l'hôpital Al-Jela
Plus ou moins structurés, composés de quelques centaines
de personnes, quelques milliers tout au plus, ils attirent de nouveaux
sympathisants au gré de leurs actions (manifestations, attaques contre des
points de vente d'alcool), mais leur audience auprès des jeunes ne cesse de
croître
"Il y a en Tunisie un phénomène de violence
juvénile, celle qui cassait dans les stades sous Ben Ali, celle qui est
descendue dans la rue pour le chasser du pouvoir, qui s'est embarquée par la
mer pour Lampedusa, et qui devient salafiste", observe Fabio Merone, un chercheur italien indépendant installé à Tunis,
dont les travaux sont financés par la Fondation Gerda Henkel.
"Dans les quartiers populaires, les jeunes, poursuit-il, se socialisent en fréquentant les mosquées et par le zamaktal.
Ils n'ont pas la culture du chef, mais indirectement les chefs
apparaissent."
CLANDESTINITÉ
"Si je vous emmène dans la salle de sport, là,
derrière, sur quinze jeunes qui s'entraînent, treize sont salafistes", ironisait récemment Wael, 26 ans, originaire d'une ville pauvre du centre
de la Tunisie, avant de redevenir sérieux et d'ajouter farouchement : "Je
les suivrai tous, Al-Qaida, comme Ansar Al-Charia."
Le 18 septembre, encerclé dans la mosquée El-Fatah, à
Tunis, par la police, avant qu'elle ne renonce à l'interpeller, Abou Ayad se
montrait sûr de lui : "Vous ne faites pas peur à cette jeunesse, lançait-il.
Plus vous leur mettrez la pression, et plus leur idéologie se répandra. Plus
vous mettrez la pression, et plus les jeunes non conservateurs, délinquants,
marchands d'alcool se tourneront vers cette idéologie..."
A la différence d'Al-Qaida, chacun de ces groupes
agissait au grand jour, du moins jusqu'ici. Car tout a changé après les
attaques des ambassades américaines à Benghazi, à Tunis ou au Caire. Désormais
recherché, Abou Ayad est retourné à la clandestinité, ce qui ne l'empêche pas
de s'exprimer à travers des vidéos sur Internet
A Benghazi, la katiba Ansar Al-Charia a été chassée par
les habitants de la ville et contrainte d'abandonner son QG installé en plein
centre. Au Yémen, le groupe a dû renoncer, en juin, au territoire sur lequel il
s'était installé dans les gouvernorats d'Abyan et de Shabwa. Ils n'ont pas
disparu pour autant
Ces dernières semaines, leurs échanges avec les
gouvernements islamistes parvenus au pouvoir en Egypte ou à Tunis, ou contre
leurs anciens compagnons de route, se sont durcis. Dans un texte parvenu au Monde,
l'ancien djihadiste libyen Abdelhakim Belhadj, condamnait sans ambiguïté les
extrémistes "archi-minoritaires" et assurait que la "Libye
avancera d'un pas ferme vers la démocratie et la paix civile", tandis
qu'à Benghazi, le discours était tout autre
"ATTENTION À L'EXPLOSION DE COLÈRE"
"C'est une conspiration contre les jeunes religieux
du gouvernement qui jette le soupçon sur nous", se défendait l'un des porte-parole d'Ansar Al-Charia en se présentant
sous le nom incomplet d'Omrane Mohamed, sans condamner l'attentat contre le
consulat américain. "Message adressé aux oppresseurs : nous avons été
patients et nous serons encore patients mais attention à l'explosion de
colère", a prévenu pour sa part Abou Ayad, le 2 novembre, après de
nouvelles arrestations de salafistes
En Egypte, les nouveaux djihadistes ont reçu le renfort
d'Ayman Al-Zawahiri, le successeur de Ben Laden, qui, dans un message vidéo
s'en est récemment pris avec violence au chef du gouvernement, Mohamed Morsi
"Tous les Partisans de la charia ont suivi le même
processus, en se présentant d'abord comme des groupes politiques, assure l'islamologue Mathieu Guidère. Leurs "cadres" ont la
même origine, ils sont plutôt marqués par la guerre en Irak que par
l'Afghanistan, mais pour moi leur hésitation du début, la politisation du
mouvement, est en train de prendre fin pour dériver vers des groupes
armés." Une évolution qui reste à confirmer mais qui n'est désormais
plus prise à la légère par les nouveaux gouvernements du "printemps
arabe"
Isabelle Mandraud
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Hammam-Chatt, le 29 mai 2013
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