Le Rejet de la
philosophie des droits de l’homme par les croyants musulmans fondamentalistes.
Yadh Ben Achour
Source bibliographique
Aux fondements de
l’orthodoxie sunnite, Yadh Ben Achour, Cérès éditions, 2009, Tunis, 297 pages
Page 224
Dans l’esprit du
fondamentaliste qui exprime de ce point de vue, les convictions du croyant
majoritaire, la philosophie des droits de l’homme constitue un début
d’incroyance, voire même d’athéisme. Même dans sa version croyante, cette
philosophie situe l’humanité au cœur de toute réflexion et considère l’Homme
comme la « mesure de toute chose ». Par conséquent, pour le
fondamentaliste, cette philosophie se caractérise par son indifférence plus ou
moins radicale à l’égard du divin, de son message, de ses prophètes et de sa loi.
Elle abolit, à ses yeux, à la fois le sens du divin et l’essence de l’humain.
Pour ce croyant, la loi, produit d’une relation verticale descendante, doit
être tout d’abord reçue, ensuite comprise, interprétée, récitée, exécutée. Pour
la philosophie des droits de l’homme, la loi, dans ses dimensions à la fois
morale et juridique, s’inscrit dans une perspective horizontale. Elle est créée
par l’homme, pour l’homme, dans une vision exclusivement mondaine. C’est ce qui
signifie son rejet
Ce rejet ne concerne
pas uniquement l’ontologie de l’homme et du droit. Il s’étend également à la
législation des droits. Conscient des points de rupture entre la législation
des doits en islam et dans la conception des doits de l’homme, le
« négationniste » fait prévaloir naturellement la première
Au niveau de la
législation des doits, les points de rupture concernent trois questions
fondamentales : tout d’abord, la liberté de conscience et en particulier
la question de l’apostasie, en second lieu, les peines pénales coraniques et en
particulier les peines à caractère corporel, enfin, le statut inégalitaire de
la femme et d’une manière particulière en matière successorale et en ce qui
concerne la polygamie et la répudiation
S’agissant de la
liberté de conscience, la règle admise par l’ensemble des fuqahâ’ et
l’exécution à mort de l’apostat, qu’il soit musulman de naissance ou converti,
comme nous l’avons indiqué au chapitre 8 sur l’apostasie. Toujours attaché à la
lettre du texte et lui donnant l’interprétation la plus étroite, les
« négationnistes » ne peuvent accepter la liberté de conscience. Ils
admettent la liberté de religion pour les autres, mais refusent aux musulmans
l’exercice effectif de la liberté de conscience. Pour les ‘ulamâ
contemporains, cette liberté, pour le musulman, de changer de religion ne peut
être reconnue, pour le danger qu’elle fait courir à l’ordre public islamique,
comme le soutient cheikh Muhammad Ghazâlî
S’agissant des peines
pénales, les fuqahâ’ admettent, comme nous l’avons indiqué (chap. 7),
que le droit pénal se divise en deux branches, celle de hudûd et celle
qui est laissée au pouvoir législatif discrétionnaire du chef ou de ses
représentants et juges, sous forme de ta’zir. Mais ces deux branches
reconnaissent les peines corporelles « inhumaines, cruelles et
dégradantes » rejetées par la philosophie pénale depuis Beccaria, ainsi
que par les conventions internationales en la matière. Les peines coraniques
sont au nombre de quatre : l’amputation, pour le vol (versets 38 et 39 de
la sourate de la Table), la lapidation, pour le commerce sexuel hors
mariage, la flagellation, pour l’accusation mensongère de fornication, le
supplice, pour la rébellion. Un problème sérieux apparaît à propos de la
lapidation
Le commerce sexuel hors
mariage fait l’objet des versets 15 et 16 de la sourate des femmes, et
des versets 2 et 3 de la sourate de La Lumière. Mais la lapidation ne
figure pas au nombre des peines prévues par ces versets. Les fuqahâ ont
alors avancé l’idée que les deux versets de La Lumière avaient abrogé
les deux versets des femmes, mais tout en limitant leurs effets aux
célibataires. Pour les couples mariés, la lapidation biblique a été appliquée.
Les fuqahâ ont présenté trois fondements à cette peine dont on ne trouve
nulle trace dans le texte coranique. Le premier consiste à dire qu’il aurait
existé dans le Coran un verset sur la lapidation, lu et entendu, mais non
récité ; autrement dit, ce verset aurait disparu de le la recension finale
du Coran établie du temps du calife ‘Uthmân. Le deuxième repose sur une
pratique du Prophète qui aurait appliqué la peine de la lapidation à un certain
Mâ’iz, qui lui aurait avoué son méfait. Le troisième se réfère au consensus
généralisé des Compagnons du Prophète et de leurs successeurs. Quelle que soit
la fragilité de ces justifications, la lapidation a été appliquée dans
l’histoire de l’islam, et continue de l’être aujourd’hui dans certains Etats
islamiques
Tout en améliorant la
condition de la femme, par rapport à ce qu’elle était dans la période préislamique,
l’islam ne pouvait dépasser la conception d’une société guerrière antique,
immémoriale, et à l’époque universelle, assignant la femme aux affaires
purement domestiques et à la reproduction, soumise à l’autorité de l’homme.
Nous retrouvons, par conséquent, dans les lois morales et juridiques de l’islam
des dispositions, des règles et des principes qui, tout en condamnant les mœurs
jugées barbares de la Jâhiliya, n’en maintiennent pas moins fermement
les principes consacrant un statut inférieur de la femme. Les théologiens
défendent l’idée d’une précellence masculine, quasiment ontologique, attestée
aussi bien par les versets coraniques que par les nombreuses énonciations
prophétiques. Les textes et leurs interprètes ont consacré l’inégalité des
statuts de l’homme et de la femme dans le contrat de mariage, la répudiation,
la polygamie, le concubinage légal, la compensation pénale, l’héritage, le
témoignage, la tutelle.
Au regard de cette
législation islamique particulière des droits, le « négationniste »
ne fait que s’attacher à la lettre du texte, mais également, il faut bien
l’avouer, à son esprit. C’est à partir de là que ses convictions religieuses le
conduisent à rejeter la législation moderne des droits, issue de la philosophie
des droits de l’homme, en matière successorale, conjugale, civile et pénale
Date de la première
rediffusion sur mon blog et mes deux pages facebook
C. M. Dr M. K.,
Hammam-Chatt, samedi 1 mars 2014
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