« 14 janvier 2011 » :
une révolution ou « Mai 68 » tunisien (une révolution fiction) ?
Citoyen du Monde Dr Mohamed Kochkar
Remarque :
J’ai rassemblé et adapté
au « 14 janvier 2011 » un texte écrit pour « Mai 68 », un texte
éparpillé dans le livre « Mai 68, la révolution fiction, Jacques Tarnero,
1998 Editions Milan, 63 pages.
Nouveau texte du
C. M. Dr. M. K. :
Qui ne se souvient du
14 janvier 2011? Cette situation insoutenable pour le peuple tunisien a explosé
en période de pleine sécurité (aucun attentat terroriste dans tout le
territoire tunisien), dans une Tunisie en plein essor économique inégalitaire
(enrichissement rapide de nouveaux
arrivistes pseudo-capitalistes ou mercantilistes non productifs et
appauvrissement spectaculaire de la classe moyenne) , enfin protégée contre le
jihadisme d’un islam wahabite qui a frappé de plein fouet son voisin
algérien : entre 200 et 300 mille victimes en deux décennies, 1990-2010.
C’est dans une Tunisie
qui s'enfonce progressivement dans la dictature policière que les laissés-pour-compte
se sont mis à hurler « dégage » dans la rue. La rupture fut d’abord
existentielle et culturelle : une génération née après l’indépendance
affirmait ses 60 ans et prenait la parole contre 60 ans de répression. Dans
tout le monde arabe, les murs des dictatures ont tremblé.
C’est bien
l’esprit du 14 janvier 2011. Si ce n’est pas la révolution du jasmin, c’est une
révolution sociale sans visage précis, sans idéologie, sans leader, sans parti révolutionnaire qui a bouleversé la Tunisie et
le monde arabe. Elle a surpris toute la classe politique de gauche comme de
droite, les intellectuels, les commentateurs, les sociologues patentés. Ça
n’était pas prévu et c’est ce qui fait sa magie.
Le mélange
de slogans originaux et de délires de foules, le rêve et la poésie, la
spontanéité et l’absence de hiérarchie donnent la saveur de cet imprévu mois de
17 décembre 2010-14 janvier 2011.
C’et peu de
dire que le pouvoir policier de Ben Ali s‘est montré sourd et aveugle au feu
qui couvait. On reste confondu devant la répression des premiers jours :
les coups et les grenades lacrymogènes ont fait sortir dans la rue des « syndicalistes
enragés de gauche » par milliers. Mais il serait malhonnête de d’estimer a
contrario que les divers groupuscules de
gauche ou les généraux de la bureaucratie syndicale avaient tout imaginé. La
spontanéité de l’insurrection a pris de cours les révolutionnaires eux-mêmes.
Bien sûr, le terrain avait été rendu favorable par la sédimentation des luttes
des nationalistes, des gauchistes et des islamistes, et cela pendant plus d’un demi-siècle
de clandestinité.
Beaucoup d’intellectuels
tunisiens n’y voient, quand à eux, qu’un complot ou une vaste manipulation de
la CIA, et considère les révolutionnaires tunisiens émergents comme des marionnettes
entre les mains de la cinquième colonne. Ces intellectuels ont peur de la
révolution.
A la
différence majeure de Mai 68, notre 14 janvier 2011 sonne le glas de la
participation des organisations estudiantines aux manifestations populaires.
Que reste-t-il
de la fête du 14 janvier 2011 ? Trois ans après, le bilan est contrasté.
Au « tout politique » fait place le flou ; la corruption des
agents de l’état, l’inflation et l’augmentation des prix des denrées
vitales ; l’impuissance de l’état ; l’accélération du chômage ;
la désintégration progressive des institutions étatiques ; la fermeture
des sociétés privées étrangères et locales ; la désobéissance civile ;
l’absence de discipline, le manque d’assiduité et le délabrement des locaux
dans les établissements scolaires primaire, secondaires et universitaires ;
le nombre gonflé de sit in et grèves légales et sauvages ; l’absentéisme
est répandu dans la fonction publique ; etc.
La liberté
de parole si chèrement conquise est aujourd’hui noyée dans les bruits des
media. Trois ans plu tard, le fameux slogan « dégage » n’a-t-il pas
davantage servi à dégager les révolutionnaires plutôt que les
contre-révolutionnaires, les progressistes plutôt que les réactionnaires, le
rationnel plutôt que l’irrationnel?
L’obscurantisme multicolore a-t-il tout digéré ? Malgré les désillusions, les
récupérations ou les dérives, 14 janvier 2011 a semé une multitude de germes
qui ont permis de penser le monde arabe différemment. Ils ont accéléré la
conquête du pouvoir par les représentants du peuple, quels que soient ces
représentants ; la prise de conscience de la valeur de l’individu dans une
société communautariste.
Le 14
janvier 2011 fut d’abord une grande fête « contre ». Contre l’ordre
étouffant d’une société figée et rétrograde, contre un ordre des choses
réduisant l’humanité de l’individu et du citoyen à une triple fonction :
travailler, survivre et se taire. Inspirée par une certaine dignité, les
laissés-pour-compte jouèrent
la fiction d’une révolution, sans deviner que celle-ci allait être récupérée,
digérée, transfigurée par le système qu’elle avait cru combattre.
J’espère
que le 14 janvier 2011 n’engendrera pas le terrorisme comme la Syrie, la Lybie,
le Yémen ou l’Egypte en ont connu.
Pourra-t-on
encore prendre ses rêves pour la réalité ?
Date de la
première publication sur mon blog et mes deux pages facebook :
Hammam-Chatt,
dimanche 3 novembre 2013.
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