Est-il possible
aujourd’hui de nier le fait religieux, surtout dans le monde musulman? Latifa Lakhdar
Référence
bibliographique
« Les femmes au
miroir de l’orthodoxie islamique », Latifa Lakhdar, Amal Editions, Sfax, 2007,
195 pages.
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Nier
le fait religieux est désormais une tentation obsolète. Les accents guerriers
du rationalisme positiviste du XIXè siècle semblent aujourd’hui si lointains.
De même, la négation du religieux dans l’aire musulmane est une opération
perdue d’avance. Elle émane d’une raison
gauchiste qui a démontré depuis longtemps son incapacité à comprendre la
relation entre l’universel et le local et érigé l’universalisme abstrait en
dogme. L’oubli des questions culturelles, y compris leur dimension
cosmogonique, a favorisé le retour du refoulé et ouvert la brèche où s‘est
engouffré la déferlante passéiste.
Le
fait religieux résiste au déni parce qu’il a longtemps façonné et structuré
l’existence humaine. Les anthropologues et les historiens des religions, comme
Mircea Eliade, Pettazzoni ou Georges Dumézil ont mis à jour la fonction
structurante des religions qui, à côté d’autres facteurs, cimente des
identités, des appartenances et des affects collectifs. Plus, l’oubli du fait
religieux est un déni de connaissance aggravé dans l’espace musulman en
particulier, tant il est vrai que l’Islam a occupé une position centrale et a
représenté « une rupture inaugurale » dans l’histoire des Arabes.
Non
pas l’oubli donc mais la critique pour sûr. Soumettre la religion à la raison
critique, est un passage obligé pour toute démarche cognitive d’un moi
culturel, perçu dans son devenir historique incluant le passé et tourné vers le
futur. Qi ne sait pas d’où il vient, ne sait pas où il va, selon la maxime
gramscienne. Car, si les interrogations ontologiques de l’homme ressortissent à
l’universel, les réponses se placent sur le terrain des cultures locales, loin
de toute fatalité inspirée par le chauvinisme, bien sûr. Question combien
importante face à la mondialisation rampante et aux paradoxes de la
globalisation.
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Porter l’arme de la critique à l’intérieur du religieux, ce
n’est pas faire œuvre anti-religieuse, mais avant tout s’émanciper de l’ornière
de l’orthodoxie, idée brandie naguère par H. Djaït, dans son ouvrage « la
personnalité et le devenir arabo-musulman ». Cette démarche est non seulement
nécessaire mais possible. Les acquis de l’histoire des sciences humaines et
sociales, de la linguistique incitent à l’optimisme. Notre ambition est précisément
de contribuer à l’entreprise collective de déplacement de la conception
moyenâgeuse du fait religieux vers une vision moderniste. L’enjeu est de
taille, à savoir « faire évènement » au cœur du corpus
épistémologique islamique, pour reprendre une réflexion de M. Foucault,
formulée dans un tout autre contexte.
Une révolution critique donc. A défaut de quoi, la raison
islamique continuera à piétiner au seuil de la modernité, et les idées de
l’orientalisme colonial, à commencer par celles d’Ernest Renan sur
l’incompatibilité entre islam et modernité, entre la pensée musulmane et la
pensée universelle, continueront à sévir.
L’auteur de « L’islamisme et la science » s’en
allait répétant que la religion musulmane est la chaîne la plus lourde que
l’humanité ait jamais connue, et que, seule parmi toutes les religions, elle
est synonyme d’obscurantisme. Il nous appartient de le démentir et de démentir ses
héritiers qui sont aujourd’hui légion.
La cause serait
entendue : moderniser l’islam, selon le vœu de A. Charfi, est une
entreprise qui entre dans l’ordre du possible malgré le scepticisme de
certains. Ces sceptiques appartiennent à deux familles opposées : les
nostalgiques crispés sur leurs dogmes et sur une orthodoxie fondée par les
hommes du passé ; et les tenants d’un universalisme absolutisé appelant à
une adhésion sans frais à la « modernité des autres » (comme le note
J. Berque). Toutes les deux reconduisent, chacune à sa manière, à la vision
rénanienne et partagent ses préjugés essentialistes et finalement racistes.
Toutes les deux aspirent à maintenir l’homo islamicus, dans le meilleur des cas
sous la tutelle « progressiste » de la raison européenne et ses
lumières indépassables.
Nous tenons le pari, quand à nous, qu’une culture islamique
ouverte, progressiste, souveraine et susceptible d’universalisme, est à notre
portée.
Date de la première
rediffusion sur mon blog et mes deux pages facebook. C. M. Dr M. K
Hammam-Chatt, dimanche
12 octobre 2013.
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