Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr 1
1/4
En Tunisie, la stratégie de dialogue avec
les salafistes a échoué.
PAR PIERRE PUCHOT
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 12 NOVEMBRE 2012
De notre envoyé spécial à Tunis.
« Ennahda, ta démocratie, c’est l’ancien régime ! » À
deux pas de la médina de Tunis, deux rangées
d’hommes en chasubles rouges ou bleues encadrent
deux cents militants réunis devant le ministère de
la justice. Service d’ordre copieux, rabattage des
journalistes vers les trois chargés de communication
du jour… Ce mardi 6 novembre, Ansar El Charia,
principal groupe salafiste djihadiste, dirigé par Abou
Ayadh – ancien combattant en Afghanistan aux côtés
des talibans aujourd’hui entré dans la clandestinité –,
a réuni les familles des militants actuellement détenus
en prison, pour une manifestation pacifique réglée au
millimètre.
Manifestation de militants salafistes devant le ministère
de la justice à Tunis, mardi 6 novembre © Pierre Puchot
Depuis trois mois, la scène politique et médiatique
tunisienne est rythmée par les sorties des salafistes
djihadistes, qui considèrent la Tunisie comme une
terre de prédication, et dont la stratégie semble
désormais consister à occuper l’espace dans un rapport
de force direct avec le gouvernement dominé par
Ennahda. La semaine passée, un groupe d'une centaine
de salafistes a attaqué deux postes de la garde nationale
à Douar Icher, en banlieue de Tunis. Deux salafistes
sont morts lors des affrontements. Jeudi 1er novembre,
l’imam de la mosquée An Nour de Douar Icher a
appelé au djihad en direct sur la chaîne Attounsia TV,
sous les yeux médusés des ministres de l’intérieur et
de la justice transitionnelle, Ali Laraayedh et Samir
Dilou, invités sur le plateau.
La séquence, diffusée à 21 heures, a choqué les
Tunisiens. Dès le lendemain cependant, Abou Ayadh,
le numéro Un d’Ansar El Charia, a désavoué l’imam
et appelé au calme. L’imam, lui, a disparu et demeure
activement recherché par la police tunisienne.
Un an après sa victoire à l’élection de l’Assemblée
constituante, l’embarras d’Ennahda est patent: ceux
que Rached Ghannouchi, le président d’Ennahda,
appelait « nos enfants »se sont aujourd’hui totalement
détournés du parti musulman conservateur. L’idée
avancée régulièrement depuis un an par les cadres du
parti – de concessions faites aux salafistes dans le but
de les « domestiquer » pour les amener à s’impliquer
dans la vie publique de manière pacifique, comme lors
de la manifestation du 6 novembre –, a montré ses
limites.
Ce n’est pas faute d’avoir multiplié les signes
d’ouverture et de dialogue. Dans deux vidéos filmées
à son insu et diffusées début octobre sur les réseaux
sociaux, Rached Ghannouchi concédait en février
2012, dans un dialogue avec le salafiste tunisien
Béchir Ben Hassen, que revenir sur le Code du statut
personnel tunisien (adopté le 13 août 1956, il abolit la
polygamie, la répudiation, fixe un âge minimum pour
le mariage…) était une option envisageable à l’avenir.
Mi-avril 2012 cependant, le bureau politique
d'Ennahda renonce, aux deux tiers, à faire référence
à la charia dans le projet de Constitution
tunisienne. Pour Mohammed, militant salafiste que
nous rencontrons alors dans le quartier populaire
d’Ezzara, en banlieue de Tunis, la décision est
inacceptable. « Tout est dans l’islam, y compris la
démocratie, puisque la choura est une assemblée
élue qui permet de voter les lois, affirme ce jeune
trentenaire converti au salafisme lors d’un séjour
en Belgique. Pourquoi s’en détourner, pourquoi se
détourner de l’islam ? La décision d’Ennahda est une
trahison. » Comme la plupart des salafistes que l’on
qualifie de « scientifiques » et qui se tiennent loin de
la politique, Mohammed n’approuve pas le recours à
la violence. Mais la défense de l’islam dans la Tunisie
post-révolutionnaire demeure sa priorité.
Directeur de la publication : Edwy Plenel
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2/4
Passé le mois d'avril et l'abandon de l'inscription de
la charia dans la Constitution, l’autre tournant fut
l’attaque de l’ambassade américaine, événement à
partir duquel le gouvernement a amorcé une stratégie
sécuritaire beaucoup plus stricte. Le 14 septembre
2012, l'ambassade des États-Unis à Tunis est attaquée
par des manifestants, après la diffusion sur Internet de
la vidéo caricaturale du prophète Mohammed. Trois
morts par balles de la police, un manifestant écrasé
par un blindé de la garde nationale, plus de cent
manifestants et 60 policiers blessés, une partie des
militants qui parviennent à s'introduire dans la zone
de l'ambassade… Un dramatique fiasco qui couvre
alors de ridicule le gouvernement tunisien, incapable
de prévenir des débordements pourtant attendus après
la mort de l’ambassadeur américain en Libye.
« Pourchassés »
« L’affaire de l’ambassade interroge notre gestion
de l’appareil sécuritaire, nous confiait mi-octobre
le consul général de Tunisie en France, et
cadre d’Ennahda, Karim Azouz. Aujourd’hui, notre
problème, c’est que le ministère de l’intérieur
dont nous avons hérité conserve des pratiques, des
méthodes et des individus qui étaient conformes à ce
qu’on attendait d’eux sous la dictature. Aujourd’hui,
nous devons réformer les pratiques du ministère sans
pour autant casser la machine. »
© P.P.
Après les affrontements devant l’ambassade
américaine, le ministère de l'intérieur a prévenu qu’il
utiliserait désormais « tous les outils permis par la
loi ». Début novembre 2012, les avocats qui les
défendent estiment à plusieurs centaines les salafistes
djihadistes aujourd’hui en détention. Ansar El Charia
avance même le chiffre de 900 arrestations. « On
les cherche encore, ces 900 prisonniers, ironise le
ministre Noureddine Bhiri, d’Ennahda, qui nous reçoit
mardi 6 novembre en compagnie de son directeur de
cabinet, quelques heures après la manifestation. Nous
ne pouvons classer les personnes en détention suivant
leur croyance religieuse. Mais depuis l’attaque de
l’ambassade, nous avons arrêté 144 personnes,
poursuivies selon les lois en vigueur, notamment la loi
antiterroriste de 2003. Il n’y a pas deux poids, deux
mesures dans le traitement de la justice de ce pays, et
le ministère veille au respect des lois ! » Trouble de
l’ordre public, mise en danger de la vie d’autrui, appel
au meurtre…, tels sont, selon le ministre, les chefs
d’accusation dont les militants arrêtés depuis l’affaire
de l’ambassade devront répondre.
«Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir agi
avec violence, et encore, cela ne concerne pas tous
nos militants ! clame Abdel Moaz, membre d’Ansar
El Charia chargé de la communication auprès des
journalistes, lors de la manifestation du 6 novembre,
devant le ministère de la justice. Contre l'ambassade,
il y avait beaucoup de voyous qui n'avaient rien
à faire avec nous. Et pourtant, à l’occasion de
la traditionnelle grâce de l’Aïd, aucun de nos
militants n'est sorti de prison quand on a libéré
des criminels de droit commun ! Nous sommes
aujourd’hui véritablement pourchassés. Pour certains
dossiers, nous ne connaissons même pas les charges
qui pèsent sur nos militants. Nous exigeons que la
justice soit la même pour tous. » Derrière lui, une
banderole : Non au terrorisme, non à la torture, non
à la police politique.
Échec
Une partie des militants d’Ennahda demeure très
hostile à toute répression contre les salafistes,
ce qui réduit d’autant la marge du manoeuvre
du gouvernement, déjà limitée par la politique
d’amnistie indifférenciée des gouvernements qui ont
précédé. Au lendemain de la révolution, les salafistes
avaient bénéficié d’une amnistie générale. C'était
alors un autre gouvernement, celui de Mohammed
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Ghannouchi, premier ministre de Ben Ali au cours des
dix années qui précédèrent la révolution… et des six
semaines qui s'ensuivirent.
Manifestation de militants salafistes devant le ministère
de la justice à Tunis, mardi 6 novembre © P.P.
En Tunisie, personne ne sait combien sont les
salafistes djihadistes, et tous les chiffres avancés
sont fantaisistes. Selon le ministère des affaires
religieuses, sur les 2 500 lieux de culte que compte
la Tunisie, une centaine de mosquées, où se disent
parfois des prêches agressifs, poseraient problème.
Une petite minorité donc, mais qui trouve de plus en
plus son prolongement dans des oeuvres caritatives,
associations de proximité ou hôpitaux ambulants que
les militants salafistes djihadistes mettent en place
dans les quartiers populaires des principales villes de
Tunisie.
Du coup, Ennahda tente de tenir les deux bouts :
marquer son opposition à la charia et aux violences
tout en envoyant des messages aux salafistes. Dans
une vidéo diffusée dimanche 4 novembre, qui
aurait été tournée lors du prêche du vendredi 2,
Ghannouchi invite par exemple ses partisans à ne
pas fréquenter les établissements et supermarchés qui
vendent de l’alcool. Une référence sans doute aux
incidents de Douar Icher, conséquence, entre autres,
des protestations des militants salafistes contre la
distribution et la vente d’alcool, parfaitement libres en
Tunisie.
« Il ne faut pas s’attendre à ce que
le phénomène salafiste s’estompe du jour au
lendemain, expliquait lundi 5 novembre Rached
Ghannouchi au quotidien Chorouq. Les phénomènes
sociaux ne disparaissent pas rapidement. Nous devons
nous préparer à le voir perdurer encore longtemps et
prendre des formes plus violentes.Nous avons essayé,
à Ennhada, d’accomplir notre devoir, et il appartient
aux autres parties concernées, officielles, populaires
et composantes de la société civile d’agir avec nous
pour plus de développement, de dialogues médiatiques
et religieux. Si tous ces moyens s’avèrent vains, il
reste aux forces de l’ordre de jouer leur rôle et faire
respecter la loi qui doit s’appliquer à tous. »
Difficile quand on sait que l’accusation de salafisme
était un moyen sous Ben Ali d’emprisonner sans
procès équitable et a permis au dictateur tunisien
de placer en détention plus de 30 000 Tunisiens.
Parmi les « salafistes » relâchés en mars 2011 -
soit huit mois avant l'arrivée d'Ennahda au pouvoir-,
figure cependant Abou Ayadh, le chef d’Ansar El
Charia, condamné en 2003 à 43 années de prison et
aujourd'hui officiellement recherché par les services
de police. « Au ministère, seul le ministre est
nahdaoui, glisse Anis, étudiant en multimédia et
membre d’Ansar El Charia. Nous payons aujourd’hui
le fait que le ménage n’a pas été fait parmi les juges
de l’ancien régime. La faillite d’Ennahda, c’est aussi
de n’avoir rien fait sur la justice transitionnelle, et
même d’avoir recyclé dans ses rangs des cadres du
RCD de Ben Ali. Outre la charia, c’est l’une de nos
revendications aujourd’hui. »
Directeur de la publication : Edwy Plenel
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Directeur de la publication : Edwy Plenel
Directeur éditorial : François Bonnet
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS).
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007.
Capital social : 1 538 587,60€.
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des
publications et agences de presse : 1214Y90071.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Gérard Cicurel, Laurent Mauduit,
Edwy Plenel (Président), Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires directs et
indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Gérard Desportes, Laurent Mauduit, Edwy
Plenel, Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société
Doxa, Société des Amis de Mediapart.
Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Courriel : contact@mediapart.fr
Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Propriétaire, éditeur, imprimeur et prestataire des services proposés : la Société Editrice
de Mediapart, Société par actions simplifiée au capital de 1 538 587,60€, immatriculée sous
le numéro 500 631 932 RCS PARIS, dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012
Paris.
Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. Vous pouvez
également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
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les salafistes a échoué.
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De notre envoyé spécial à Tunis.
« Ennahda, ta démocratie, c’est l’ancien régime ! » À
deux pas de la médina de Tunis, deux rangées
d’hommes en chasubles rouges ou bleues encadrent
deux cents militants réunis devant le ministère de
la justice. Service d’ordre copieux, rabattage des
journalistes vers les trois chargés de communication
du jour… Ce mardi 6 novembre, Ansar El Charia,
principal groupe salafiste djihadiste, dirigé par Abou
Ayadh – ancien combattant en Afghanistan aux côtés
des talibans aujourd’hui entré dans la clandestinité –,
a réuni les familles des militants actuellement détenus
en prison, pour une manifestation pacifique réglée au
millimètre.
Manifestation de militants salafistes devant le ministère
de la justice à Tunis, mardi 6 novembre © Pierre Puchot
Depuis trois mois, la scène politique et médiatique
tunisienne est rythmée par les sorties des salafistes
djihadistes, qui considèrent la Tunisie comme une
terre de prédication, et dont la stratégie semble
désormais consister à occuper l’espace dans un rapport
de force direct avec le gouvernement dominé par
Ennahda. La semaine passée, un groupe d'une centaine
de salafistes a attaqué deux postes de la garde nationale
à Douar Icher, en banlieue de Tunis. Deux salafistes
sont morts lors des affrontements. Jeudi 1er novembre,
l’imam de la mosquée An Nour de Douar Icher a
appelé au djihad en direct sur la chaîne Attounsia TV,
sous les yeux médusés des ministres de l’intérieur et
de la justice transitionnelle, Ali Laraayedh et Samir
Dilou, invités sur le plateau.
La séquence, diffusée à 21 heures, a choqué les
Tunisiens. Dès le lendemain cependant, Abou Ayadh,
le numéro Un d’Ansar El Charia, a désavoué l’imam
et appelé au calme. L’imam, lui, a disparu et demeure
activement recherché par la police tunisienne.
Un an après sa victoire à l’élection de l’Assemblée
constituante, l’embarras d’Ennahda est patent: ceux
que Rached Ghannouchi, le président d’Ennahda,
appelait « nos enfants »se sont aujourd’hui totalement
détournés du parti musulman conservateur. L’idée
avancée régulièrement depuis un an par les cadres du
parti – de concessions faites aux salafistes dans le but
de les « domestiquer » pour les amener à s’impliquer
dans la vie publique de manière pacifique, comme lors
de la manifestation du 6 novembre –, a montré ses
limites.
Ce n’est pas faute d’avoir multiplié les signes
d’ouverture et de dialogue. Dans deux vidéos filmées
à son insu et diffusées début octobre sur les réseaux
sociaux, Rached Ghannouchi concédait en février
2012, dans un dialogue avec le salafiste tunisien
Béchir Ben Hassen, que revenir sur le Code du statut
personnel tunisien (adopté le 13 août 1956, il abolit la
polygamie, la répudiation, fixe un âge minimum pour
le mariage…) était une option envisageable à l’avenir.
Mi-avril 2012 cependant, le bureau politique
d'Ennahda renonce, aux deux tiers, à faire référence
à la charia dans le projet de Constitution
tunisienne. Pour Mohammed, militant salafiste que
nous rencontrons alors dans le quartier populaire
d’Ezzara, en banlieue de Tunis, la décision est
inacceptable. « Tout est dans l’islam, y compris la
démocratie, puisque la choura est une assemblée
élue qui permet de voter les lois, affirme ce jeune
trentenaire converti au salafisme lors d’un séjour
en Belgique. Pourquoi s’en détourner, pourquoi se
détourner de l’islam ? La décision d’Ennahda est une
trahison. » Comme la plupart des salafistes que l’on
qualifie de « scientifiques » et qui se tiennent loin de
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la violence. Mais la défense de l’islam dans la Tunisie
post-révolutionnaire demeure sa priorité.
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Passé le mois d'avril et l'abandon de l'inscription de
la charia dans la Constitution, l’autre tournant fut
l’attaque de l’ambassade américaine, événement à
partir duquel le gouvernement a amorcé une stratégie
sécuritaire beaucoup plus stricte. Le 14 septembre
2012, l'ambassade des États-Unis à Tunis est attaquée
par des manifestants, après la diffusion sur Internet de
la vidéo caricaturale du prophète Mohammed. Trois
morts par balles de la police, un manifestant écrasé
par un blindé de la garde nationale, plus de cent
manifestants et 60 policiers blessés, une partie des
militants qui parviennent à s'introduire dans la zone
de l'ambassade… Un dramatique fiasco qui couvre
alors de ridicule le gouvernement tunisien, incapable
de prévenir des débordements pourtant attendus après
la mort de l’ambassadeur américain en Libye.
« Pourchassés »
« L’affaire de l’ambassade interroge notre gestion
de l’appareil sécuritaire, nous confiait mi-octobre
le consul général de Tunisie en France, et
cadre d’Ennahda, Karim Azouz. Aujourd’hui, notre
problème, c’est que le ministère de l’intérieur
dont nous avons hérité conserve des pratiques, des
méthodes et des individus qui étaient conformes à ce
qu’on attendait d’eux sous la dictature. Aujourd’hui,
nous devons réformer les pratiques du ministère sans
pour autant casser la machine. »
© P.P.
Après les affrontements devant l’ambassade
américaine, le ministère de l'intérieur a prévenu qu’il
utiliserait désormais « tous les outils permis par la
loi ». Début novembre 2012, les avocats qui les
défendent estiment à plusieurs centaines les salafistes
djihadistes aujourd’hui en détention. Ansar El Charia
avance même le chiffre de 900 arrestations. « On
les cherche encore, ces 900 prisonniers, ironise le
ministre Noureddine Bhiri, d’Ennahda, qui nous reçoit
mardi 6 novembre en compagnie de son directeur de
cabinet, quelques heures après la manifestation. Nous
ne pouvons classer les personnes en détention suivant
leur croyance religieuse. Mais depuis l’attaque de
l’ambassade, nous avons arrêté 144 personnes,
poursuivies selon les lois en vigueur, notamment la loi
antiterroriste de 2003. Il n’y a pas deux poids, deux
mesures dans le traitement de la justice de ce pays, et
le ministère veille au respect des lois ! » Trouble de
l’ordre public, mise en danger de la vie d’autrui, appel
au meurtre…, tels sont, selon le ministre, les chefs
d’accusation dont les militants arrêtés depuis l’affaire
de l’ambassade devront répondre.
«Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir agi
avec violence, et encore, cela ne concerne pas tous
nos militants ! clame Abdel Moaz, membre d’Ansar
El Charia chargé de la communication auprès des
journalistes, lors de la manifestation du 6 novembre,
devant le ministère de la justice. Contre l'ambassade,
il y avait beaucoup de voyous qui n'avaient rien
à faire avec nous. Et pourtant, à l’occasion de
la traditionnelle grâce de l’Aïd, aucun de nos
militants n'est sorti de prison quand on a libéré
des criminels de droit commun ! Nous sommes
aujourd’hui véritablement pourchassés. Pour certains
dossiers, nous ne connaissons même pas les charges
qui pèsent sur nos militants. Nous exigeons que la
justice soit la même pour tous. » Derrière lui, une
banderole : Non au terrorisme, non à la torture, non
à la police politique.
Échec
Une partie des militants d’Ennahda demeure très
hostile à toute répression contre les salafistes,
ce qui réduit d’autant la marge du manoeuvre
du gouvernement, déjà limitée par la politique
d’amnistie indifférenciée des gouvernements qui ont
précédé. Au lendemain de la révolution, les salafistes
avaient bénéficié d’une amnistie générale. C'était
alors un autre gouvernement, celui de Mohammed
Directeur de la publication : Edwy Plenel
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3/4
Ghannouchi, premier ministre de Ben Ali au cours des
dix années qui précédèrent la révolution… et des six
semaines qui s'ensuivirent.
Manifestation de militants salafistes devant le ministère
de la justice à Tunis, mardi 6 novembre © P.P.
En Tunisie, personne ne sait combien sont les
salafistes djihadistes, et tous les chiffres avancés
sont fantaisistes. Selon le ministère des affaires
religieuses, sur les 2 500 lieux de culte que compte
la Tunisie, une centaine de mosquées, où se disent
parfois des prêches agressifs, poseraient problème.
Une petite minorité donc, mais qui trouve de plus en
plus son prolongement dans des oeuvres caritatives,
associations de proximité ou hôpitaux ambulants que
les militants salafistes djihadistes mettent en place
dans les quartiers populaires des principales villes de
Tunisie.
Du coup, Ennahda tente de tenir les deux bouts :
marquer son opposition à la charia et aux violences
tout en envoyant des messages aux salafistes. Dans
une vidéo diffusée dimanche 4 novembre, qui
aurait été tournée lors du prêche du vendredi 2,
Ghannouchi invite par exemple ses partisans à ne
pas fréquenter les établissements et supermarchés qui
vendent de l’alcool. Une référence sans doute aux
incidents de Douar Icher, conséquence, entre autres,
des protestations des militants salafistes contre la
distribution et la vente d’alcool, parfaitement libres en
Tunisie.
« Il ne faut pas s’attendre à ce que
le phénomène salafiste s’estompe du jour au
lendemain, expliquait lundi 5 novembre Rached
Ghannouchi au quotidien Chorouq. Les phénomènes
sociaux ne disparaissent pas rapidement. Nous devons
nous préparer à le voir perdurer encore longtemps et
prendre des formes plus violentes.Nous avons essayé,
à Ennhada, d’accomplir notre devoir, et il appartient
aux autres parties concernées, officielles, populaires
et composantes de la société civile d’agir avec nous
pour plus de développement, de dialogues médiatiques
et religieux. Si tous ces moyens s’avèrent vains, il
reste aux forces de l’ordre de jouer leur rôle et faire
respecter la loi qui doit s’appliquer à tous. »
Difficile quand on sait que l’accusation de salafisme
était un moyen sous Ben Ali d’emprisonner sans
procès équitable et a permis au dictateur tunisien
de placer en détention plus de 30 000 Tunisiens.
Parmi les « salafistes » relâchés en mars 2011 -
soit huit mois avant l'arrivée d'Ennahda au pouvoir-,
figure cependant Abou Ayadh, le chef d’Ansar El
Charia, condamné en 2003 à 43 années de prison et
aujourd'hui officiellement recherché par les services
de police. « Au ministère, seul le ministre est
nahdaoui, glisse Anis, étudiant en multimédia et
membre d’Ansar El Charia. Nous payons aujourd’hui
le fait que le ménage n’a pas été fait parmi les juges
de l’ancien régime. La faillite d’Ennahda, c’est aussi
de n’avoir rien fait sur la justice transitionnelle, et
même d’avoir recyclé dans ses rangs des cadres du
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