mardi 8 novembre 2022

Une bonne idée que j’ai lue dans un livre : La Chûra et la démocratie ? Mohamed Talbi

 

Une idée positive de l’islamologue égyptien contemporain Mohamed Ghazâli : « Au lieu de mosquées, construisons des usines » (Cité  par Mohamed Talbi dans son livre « Plaidoyer pour un islam moderne, page 112).

Livre : « Plaidoyer pour un islam moderne » (عيال الله), Mohamed Talbi, Cérès, Tunis, Desclée de Brouwer, Paris, 1998, 200 pages.

N’allons pas prétendre que la chûra est la démocratie. Elle ne l’a jamais été, entre autres parce qu’il n’y a jamais eu vraiment de démocratie dans la civilisation islamique. Il n’y a jamais eu ni cartes d’électeur, ni isoloirs, ni décompte des votes. Il existe cependant dans la pensée humaine quelques concepts fondamentaux, comme la justice. Elle est une valeur spirituelle éternelle, abstraction faite des adaptations et des actualisations qu’elle a connues. La chûra, dans son essence, est une de ces valeurs morales fondamentales ancrées dans nos esprits, dont le rejet conduit au pouvoir despotique arbitraire. Elle invite à exercer le pouvoir en sachant demander conseil pour parvenir à un consensus, que ce soit dans la pyramide du pouvoir politique, dans le clan même au sein de la famille. Elle ne s’identifie pas à la démocratie qui est le pouvoir du peuple, mais on y trouve la notion de concertation  que l’islam cherche à promouvoir. La chûra, qui existait déjà avant le Prophète, a pris toutes sortes de formes au cours de l’histoire. Il y avait à la Mecque, avant la révélation, une maison où se réunissaient les chefs des divers clans pour discuter de leurs affaires et prendre conseil les uns des autres. En Tunisie avant l’islam, il y avait au sein des tribus berbères des assemblées qui permettaient la concertation.

Le Coran, quant à lui, invite de façon claire et indiscutable à la concertation à propos des affaires de la umma. Mais il n’est pas une Constitution. Si c’était le cas, il serait vite périmé, comme l’ont été tant de constitutions et de régimes politiques et comme seront inéluctablement dépassées à leur tour nos systèmes actuels. Le Coran laisse donc à la umma la latitude d’organiser la concertation selon les institutions de son choix. Le principe de la concertation est d’ordre moral. Il engage l’homme en tant qu’être doué de raison mais il revient à chaque époque, à chaque génération et même à chaque société, en fonction des circonstances, d’organiser ses affaires selon le mode le plus opportun en utilisant les moyens adéquats pour éviter l’arbitraire et tout qu’il engendre d’injustice et de contrainte. Il semble qu’aujourd’hui, le meilleur d’y parvenir soit la démocratie occidentale. Il ne faut pas oublier cependant que le terme de démocratie a pu couvrir les dictatures les plus horribles. Il faut donc lui ôter son halo de sacré, car il peut faire écran à la démocratie véritable. La démocratie n’est pas par ailleurs, un antidote magique valable à toutes les époques et dans toutes les circonstances. Je ne sais pas qu’en dira l’historien dans mille ans. Si, à cette étape de notre histoire, nous pouvons réaliser l’idéal moral de la chûra par la voie de la démocratie, tant mieux. Et si, dans l’histoire islamique, celle-ci n’a encore jamais existé, il ne faut pas oublier que ce fût également le cas pour l’Occident, longtemps gouverné par des systèmes politiques inspirés de la royauté de droit divin.

Laissons l’histoire à l’histoire. L’important, c’est qu’on ne trouve ni dans le Coran ni dans la sunna rien qui s’oppose à la démocratie. On y trouve même une invitation positive. C’est ce qu’ont cherché à mettre en avant un grand nombre de réformateurs comme le Tunisien Khéreddine, et ce n’est pas un hasard si la première constitution contemporaine du monde arabo-islamique a été la constitution tunisienne de 1861, promulguée de son temps.

 

 

 


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