L’erreur de
l’élève pourrait être utile pour l’enseignant et l’apprenant.
Citoyen du monde Dr Mohamed Kochkar Coordinateur
Pédagogique Général de l’Ecole Montessori Internationale Tunisie - H-Lif.
Aujourd`hui,
je pars d’une enquête (DEA didactique de la biologie) que j’ai effectuée en l`an
2000 sur un échantillon tunisien composé de 74 enseignants de biologie.
La
question posée dans le questionnaire: donnez une définition du
neurone ?
Résultats
de l’enquête :
6 personnes interrogées ont donné une définition
correcte et complète.
59
personnes interrogées ont donné une définition correcte mais incomplète.
1 personne interrogée a donné une définition
fausse.
8 personnes interrogées n’ont pas répondu à la
question.
Je
conclus de cette enquête, simple et limitée dans le temps le lieu et le nombre,
que les diplômés du supérieur PEUVENT se tromper. Que disions-nous de
l’élève ?
-
Premièrement, en lisant Michel Saroul
(1990), chercheur français, dans son livre « l’évaluation en questions »
page 110, j’ai retenu trois points de vue différents sur le statut de l’erreur
dans le système éducatif en général et son rôle dans l’enseignement :
« Pour Skinner, le
savant américain béhavioriste, l’erreur est considérée comme pédagogiquement
nocive [...] Crowder, quant à lui, rend non seulement l’erreur possible, mais
la prévoit dans le cheminement de l’élève [...] L’environnement LOGO qui désigne ici à la fois une conception
pédagogique et une famille de langages, rend l’apprenant maître de la
machine : il la programme [...] dans le système LOGO, l’erreur est
considérée non seulement comme possible ou souhaitable mais comme nécessaire à
la découverte heuristique par l’élève ».
C’est le statut donné à l’erreur
en classe qui différencie l’enseignement linéaire et magistral (du professeur à
l’élève) de l’enseignement interactif (du professeur à l’élève, de l’élève au
professeur et des élèves entre eux). Dans l’enseignement interactif, le
professeur prend en considération les conceptions des élèves sur le sujet traité
et leur permet de construire leur savoir en interaction avec leurs erreurs
comme le dit Saroul : « l’erreur va activer l’attention de l’élève et va
l’amener à réfléchir en vue d’en rechercher les causes et de la corriger».
-
Deuxièmement, en m’inspirant des professeurs
Bernard Grange et Marie-Madelaine Raffin qui ont écrit dans le livre cité plus
haut, page 123, je propose les méthodes suivantes afin d’essayer remédier
à l’erreur :
-
« l’élève, seul ou avec son camarade, prend en charge la correction du
travail ».
-
« si l’auto-correction est juste, le travail du professeur s’arrête là,
car l’élève n’a pas eu besoin de l’aide de l’adulte. Il a fait preuve d’une
certaine autonomie ». L’école constructiviste de Montessori, Piaget et
Vygotsky préfère cette démarche qui libère l’élève du tutorat du professeur.
-
« si l’erreur subsiste, le professeur peut intervenir de plusieurs
façons : en le (l`élève) renvoyant à l’expérience ou au
cours ou en lui donnant une information supplémentaire et en le laissant à
nouveau chercher une bonne réponse ou en le questionnant (oralement ou par
écrit) afin de le mettre sur la ‘’voie’’ de la bonne réponse ».
-
Troisièmement : si l’on sait que les
sciences expérimentales ont progressé après une longue série d’erreurs, on ne
doit pas s’étonner devant une erreur commise par l’élève en classe et surtout
on ne doit ni le lui reprocher cet acte ni le gronder. L’erreur de l’élève en
classe est bénéfique, en premier lieu pour l’élève et pour ses pairs qui vont
découvrir la bonne réponse et en deuxième lieu pour le professeur qui va
connaître le niveau de ses élèves, ce qui l’oblige à répéter ou modifier ou
même décaler sa leçon dans certains cas.
Retournons maintenant à la réalité
tunisienne après la présentation des théories (une bonne pratique se base toujours
sur une bonne théorie). Certains professeurs accaparent la parole et jonglent
intellectuellement en classe et ne laissent pas de chance au bon élève pour
qu’il essaye l’expérience et l’erreur. Ils excluent le faible élève de la
discussion, non pas intentionnellement
mais par ignorance de l’épistémologie, de l’histoire des sciences et de
la didactique. Ces professeurs pourraient rendre l’élève complexé ou retiré ou
même le pousser à détester complètement la discipline. Les exemples suivants
illustrent ce que je viens d’avancer :
-
1er
exemple :
dans une séance d’anglais, le professeur parle beaucoup plus que l’élève
surtout dans une salle non équipée de nouvelles technologies. Suite à ce qui
précède, je pose une question : si nous ne donnons pas à l’élève l’occasion
d’apprendre, au lycée, la prononciation correcte et l’emploi de la grammaire
anglaise, où va-t-il les apprendre alors ?
-
2ème
exemple :
dans une séance de sciences de la vie et de la terre, le professeur prépare les
cellules entre lame et lamelle, les met sous le microscope, met au point
l’observation puis enfin invite les élèves à observer. Qui dit que l’élève a
observé les cellules et non des bulles d’air ? Est-ce que l’élève apprend
seulement par imitation ? Pourquoi l’élève ne fait-t-il pas l’expérience
du début jusqu’à la fin ? Où est le mal si un élève casse un matériel par
inattention quel que soit son prix ?
Mes
collègues justifient leurs comportements par le manque de temps ou la
protection du matériel ou l’indiscipline
des élèves ou l’encombrement des classes. Je les prie de laisser l’élève
essayer et se tromper. Je vais d’ailleurs répondre gentiment et objectivement à
leurs arguments, l’un après l’autre :
-
Supposons que le programme soit long et que les enseignants aient réussi à
l’achever dans les délais préalablement
déterminés. Ils l’ont achevé au profit de qui ? Au profit de
l’inspecteur ? Est-ce que les élèves ont compris la moitié de ce
programme ? Quel est l’intérêt de
bourrer le crâne des élèves ?
-
Le matériel est fait pour être utilisé et on prévoit un budget de compensation
chaque année. Est-ce que la protection du matériel est une raison suffisante
pour empêcher nos enfants d’apprendre par essai et erreur ? Est-ce que le
matériel de laboratoire est plus cher qu’un cerveau formé ? Je suppose que
le matériel de laboratoire pourrait être remplacé par contre l’élève en
difficulté pourrait coûter aux contribuables mille ordinateurs et mille
microscopes.
En conclusion, « l’erreur est le
moteur de la classe ». Elle active la conversation. La séance qui se
déroule sans erreurs est une séance morte car les élèves n’y ont pas participé et n’ont pas donné leurs points de
vue. Ils ne peuvent donc pas apprendre, ni sciences, ni liberté, ni démocratie,
ni civisme mais ils s’habituent à la résignation et à la soumission à l’autre.
Il
ne faut pas oublier que la classe est le seul endroit où on félicite les
fautifs par contre dans la vie active la faute d’un médecin ou d’un ingénieur ou autre pourrait
être sanctionnée par un licenciement. Dans les concours de recrutement aussi,
on n’a pas le droit de faire des erreurs vu le surnombre de demandeurs d’emploi,
100 mille demandes pour 1500 postes de professeurs.
Je termine
toujours mes articles par poser une problématique : Comment peut-on changer le
statut négatif de l’erreur?
Ma
signature
« Pour
l`auteur, il ne s’agit pas de convaincre par des arguments ou des faits, mais,
plus modestement, d’inviter à essayer autre chose » (Michel Fabre &
Christian Orange, 1997).
« À
un mauvais discours, on répond par un bon discours et non par la
violence » (Le Monde Diplomatique).
Date
de la première publication on line : Hammam-Chatt, jeudi 26 février
2015.
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