Evolution des connaissances scientifiques sur le cerveau des
hommes et des femmes. Citoyen du Monde Dr Mohamed Kochkar
Les
végétaux n’ont ni système nerveux ni cerveau. La plupart des animaux que nous
connaissons ont un cerveau (concentration de groupes de neurones dans la partie
antérieure du corps, la tête), mais il y a des animaux qui ont un système
nerveux sans cerveau comme les coraux, les méduses et les anémones de mer,
d’autres n’ont ni système nerveux ni cerveau comme les éponges et les
unicellulaires.
Ce qui distingue le cerveau de l’homme de ceux des
animaux, c’est le grand développement des circonvolutions de la région frontale
siège des facultés cérébrales les plus élevées, jugement, réflexion,
abstraction, etc. (Broca).
Paléontologie du cerveau
Comme toutes les parties molles des animaux, le cerveau n’est
pratiquement jamais fossilisé mais la cavité crânienne fossilisée reflète assez
précisément l’anatomie de la surface du cerveau. L’apparition d’un « cerveau »
remonte à près de 700 millions d’années.
Matérialisme contre spiritualisme et modèles du
cerveau
Spiritualisme, dualisme et modèle hydraulique
De Platon à Descartes et même à nos jours,
certains philosophes récusaient l’idée selon laquelle il existerait un support
biologique de l’âme.
Dans l’Antiquité, en Grèce comme en Egypte, on se
posait la grande question : « où siège l’âme, dans le cœur ou dans le cerveau ?
».
Thèse cardiocentrique
Malgré leur papyrus, il semble que les anciens égyptiens comme
les mésopotamiens ou les hébreux et mêmes Homère (poète de l’Iliade) et Lucrèce
croyaient que c’est le cœur et non le cerveau qui est responsable de nos
comportements.
Aristote (3 siècles avant J.-C.) réactualise
Homère en affirmant que le cœur est le siège des sensations, des passions et de
l’intelligence. Le cerveau pour lui « composé d’eau et de terre » ne joue que
le rôle de réfrigérateur de l’organisme car il ignore l’existence des nerfs,
mais a observé les vaisseaux sanguins ainsi que leur convergence vers le cœur.
Thèse céphalocentrique
En 1930 J. Breasted déchiffre un papyrus égyptien qui contient
un traité de chirurgie où, pour la première fois dans l’histoire, le cerveau
apparaît sous un nom qui lui est propre. Ce manuscrit, daté du XVIIème siècle
avant J.-C., est vraisemblablement une copie d’un texte antérieur rédigé vers
les années 3000 avant notre ère. On y trouve une liste de 48 cas de blessures à
la tête et au cou […] Le cas 8 est capital : le scribe note qu’ « une blessure
qui est dans le crâne » s’accompagne d’une « déviation des globes oculaires »
et que le malade « marche en traînant le pied ».
Cinq siècles avant J.-C., Démocrite qualifie le
cerveau de « citadelle du corps », de « gardien de la pensée et de
l’intelligence ».
Cinq siècles
avant. J.-C., Hippocrate, le plus grand médecin de l’antiquité, précise que «
si l’encéphale est irrité l’intelligence se dérange ». Lui et ses collègues
consolident et enrichissent la thèse de Démocrite par l’observation clinique :
Croton et Hippocrate indiquaient que le cerveau est l’organe de la « raison »
ou d’un « esprit dirigeant» et considéraient le cœur comme un organe des sens.
Trois siècles avant J.-C., Hérophile rectifia
l’erreur d’Aristote en considérant le cerveau comme le siège de la pensée.
Deux siècles
après. J.-C., Galien, médecin romain, (130-200), porte le coup fatal à la thèse
cardiocentrique en montrant par des expériences que le cerveau joue bien le
rôle central dans la commande du corps et de l’activité mentale. Mais l’opinion
erronée d’Aristote survivra jusqu’à nos jours, on la rencontre chez nos élèves
de 3ème à l’occasion de la leçon sur le cœur. Heureusement qu’on peut la
réfuter facilement aujourd’hui en invoquant un argument scientifique solide :
la transplantation cardiaque ne change pas le comportement du patient.
Selon Galien, le « pneuma psychique » ou « organe
de l’âme », que les ventricules produisent et stockent, circule dans les nerfs
et met ainsi en relation cerveau, organes des sens et organes moteurs. Il
subdivise l’âme en trois fonctions : motrice, sensible et raisonnable puis
poursuit la décomposition de l’âme raisonnable en trois facultés qu’il nomme
imagination, raison et mémoire.
4 siècles après. J.-C., Les pères de l’église,
Némesius et Saint-Augustin logent les trois facultés de Galien dans trois
ventricules cérébraux où s’écoulent les esprits animaux (anima = âme).
Quinze siècles après. J.-C., avec la renaissance, les
dissections des animaux et surtout des cadavres reprennent, ce qui ouvre la
voie à l’anatomie. Léonard de Vinci donne un dessin précis des circonvolutions
cérébrales. Les ventricules sont remplacés par des parties solides de la
substance même du cerveau mais il conserva la notion de la localisation des
facultés psychiques dans les trois ventricules comme en témoigne un de ses
dessins (cf. frontispice, p.5).
Dix-sept siècles après. J.-C., avec Descartes,
philosophe français (1596-1650), le pneuma de Galien deviendra « les esprits
animaux » (anima = âme), qui véhiculés dans les nerfs, gonflent les muscles. Il
logeait l’âme dans la glande pinéale (l’épiphyse) et croyait que cette glande
fait l’union de l’âme et du corps. Descartes, le physiologiste a chassé l’âme
du corps pour pouvoir l’analyser mais en tant que métaphysicien, il a sauvé
l’âme du scalpel du physiologiste en l’immatérialisant. Pour lui le corps est
une machine mais il continue de croire que l’âme est immortelle. Le « dualisme
cartésien », ou séparation entre l’âme immatérielle et le corps machine, ménage
la chèvre et le chou. Ce dualisme affiché pourrait ne pas être l’authentique
pensée de l‘auteur d’après J. P. Changeux car l’immatérialité de l’âme était la
doctrine officielle à son époque.
Dans la civilisation arabo-musulmane
au moyen âge, ce dualisme est courant chez les savants qui hésitaient à
s’opposer ouvertement à la doctrine officielle par flagornerie ou par peur
vis-à-vis du pouvoir établi.
17 siècles après. J.-C., Willis (1664) met un
point final à la doctrine ventriculaire et attribue avec raison, la primauté au
cortex cérébral. Toutefois comme Descartes, il accepte encore l’idée d’une âme
immatérielle. La recherche d’un support anatomique pour l’âme reste une
préoccupation des anatomistes, Willis la logeait dans le corps strié, Vieussens
(1685) dans la substance blanche des hémisphères, et Lancisi (1739) dans le
corps calleux.
Les dualistes contemporains tentent de perpétuer
une certaine tradition cartésienne avec des termes actualisés. Ce courant
minoritaire a la chance de compter dans ses rangs des noms aussi illustres que
ceux du Karl Popper, Sir John Eccles (neurobiologiste et prix Nobel de médecine
1963) et Roger Penrose (mathématicien et physicien). Eccles, pour qui l’âme
serait en fait réunie par Dieu au fœtus trois semaines environ après la
conception, a dit « … nous devons reconnaître que nous sommes des êtres
spirituels vivants dans un monde spirituel, tout comme il existe des êtres
matériels dotés d’un corps et d’un cerveau évoluant dans un monde matériel ».
Mais il se démarque de Descartes en affirmant que sans le cerveau, il n’y a
plus de conscience et que la conscience émerge et acquiert une nature
différente de la matière cérébrale. Elle utilise le cerveau, plutôt que de se
fondre avec lui. (Frei 1999). Penrose pense que nous ne vivons pas dans un
monde unifié mais qu’il existe un monde mental distinct qui se « fonde » sur le
monde physique. Selon lui, nous vivons dans trois mondes distincts : un monde
physique, un monde mental et un monde d’objets abstraits comme les nombres et
d’autres entités mathématiques. (Searle, 1996). Je termine ce paragraphe par
les propos très éloquents de D.C.Dennett dans une interview (Dennet, 1999).
La Recherche : Pendant des siècles, les gens ont
cru que leur esprit et leur corps étaient deux choses de nature différente.
Descartes lui-même, considérait cette distinction comme évidente. Qu’en
pensez-vous ?
Daniel Dennett : Ce « dualisme », cette croyance
irréfléchie en la dualité du corps et de l’esprit, peut paraître naturelle :
elle n’en est pas moins radicalement fausse. Nous savons aujourd’hui que
chacune de nos idées, chacune de nos rêves, chacun de nos états d’esprit n’est
rien d’autre qu’un événement qui se produit dans notre cerveau. Cette vue
matérialiste est, désormais, communément acceptée. Si complexe et intéressante
soit-elle, la conscience n’est donc qu’un phénomène physique de plus, au même
titre que le magnétisme ou la photosynthèse.
NB :
Cette
partie a été écrite essentiellement à partir des 5 livres suivants : L’homme
neuronal de J.-P. Changeux (1983), Mille cerveaux mille mondes (1999),
l’article de P. Clément « Conceptions sur le cerveau santé et normalisation »,
Voyage au centre du cerveau d’E. Fottorino (1998), La construction du cerveau
d’A. Prochiantz (1989 révisé en 1993).
Auteur :
Mohamed
Kochkar, Extrait de mon DEA, 2000, Université Claude Bernard Lyon 1 &
Université de Tunis.
Date
de la première publication sur le net
Hammam-Chatt,
le 16 janvier 2010.