Ils ne disposent d’aucun avantage fiscal, ils ne bénéficient pas d’aides publiques, ils n’ont pas droit aux exemptions de la TVA lors de l’acquisition des outils nécessaires à leurs activités, mais ils ont injecté, durant ces quatre dernières années, près d’un MILLION de dinars pour, entre autres :
— la rénovation du marché municipal ;
— l’infrastructure sportive au profit des habitants de la commune ;
— l’entretien du cimetière communal ;
— la rénovation de l’école ;
— des aides financières au profit de multiples associations.
— l’infrastructure sportive au profit des habitants de la commune ;
— l’entretien du cimetière communal ;
— la rénovation de l’école ;
— des aides financières au profit de multiples associations.
Pourtant, ils ne sont pas des requins de la finance et n’exercent pas leur activité sur la base d’une quelconque loi faite sur mesure, à l’instar de celles pour des investisseurs étrangers. Ces lois aux nombreuses incitations fiscales et autres avantages en nature afin « d’encourager » la création d’emplois.
Ils emploient entre 120 et 130 personnes et se permettent le « luxe » de financer à hauteur d’un milliard de nos millièmes des infrastructures publiques et des activités d’intérêt général.
Il s’agit des membres de l’« Association de Défense des Oasis de Jemna », laquelle association a repris le contrôle de la ferme « STIL ». Une « ferme » au parcours juridique chaotique.
Occupant une partie des terres de Jemna, cette ferme fut occupée par les colons français, puis récupérée par les Jemniens moyennant 40 000 dinars… pour être ensuite expropriée par l’État tunisien. À la veille du 14 janvier 2011, les citoyens de Jemna décidèrent de reprendre ce qu’ils considèrent devoir leur revenir (pour plus de détails sur ce parcours chaotique, cf. l’article de mon ami Ghassen Ben Khélifa).
L’objet de cet article n’est pas de revenir sur ce parcours, ni du reste à ce qui pourrait être reproché à l’association, mais plutôt d’évoquer le parent pauvre des politiques publiques tunisiennes : l’Entrepreneuriat social.
Il s’agit de cette forme d’entrepreneuriat principalement axée sur une dimension sociale plutôt que lucrative. Un entrepreneuriat qui ne relève ni du secteur public, ni du secteur privé, mais de la volonté et l’engagement des membres de la société civile. Du reste, par opposition aux deux secteurs mentionnés, l’on croise fréquemment la dénomination de « troisième secteur » (Third Sector en anglais), voire « secteur communautaire ». C’est une activité qui ne relève pas du travail associatif traditionnel, car destinée également à générer des revenus ; et ne relève pas non plus de la tradition coopérative, car l’intérêt communautaire y est nécessairement présent. En somme – et en reprenant les critères dégagés par C. Davister, J. Defourny et O. Gregoire(1), il s’agit d’une activité où l’on retrouve les éléments suivants :
— Un objectif explicite de bénéfice à la communauté ;
— Une limitation de la distribution des bénéfices ;
— Un pouvoir de décision non basé sur la détention de capital ;
— Une activité continue de production de biens et/ou de services ;
— Un niveau minimum d’emploi rémunéré ;
— Un degré élevé d’autonomie ;
— Un niveau significatif de prise de risque économique (il ne s’agit pas ici du risque des financiers avec en perspective de gros gains, mais d’un risque économique apprécié au regard du gain social) ;
— Une initiative émanant d’un groupe de citoyens ;
— Une dynamique participative impliquant différentes parties concernées par l’activité.
Phénomène datant d’une vingtaine d’années, il est intéressant pour les uns, relevant d’un effet de mode pour d’autres, mais indéniablement ayant déjà rencontré de nombreux succès notamment en Italie, France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Irlande et surtout au Brésil. Aux USA, la contribution du troisième secteur au PIB frôle les 10 % selon Christopher Eaton Gunn. Même les Anglais s’y mettent depuis 2002.
Malgré ces succès d’outre-mer, la Tunisie demeure encore indifférente à l’entrepreneuriat social. L’indifférence du législateur tunisien à l’entrepreneuriat social s’avère inversement proportionnelle à la remarquable réussite de la société civile Jemnienne. Faut-il insister sur le fait que nous sommes en présence d’une association qui brasse des millions de dinars dans l’indifférence générale du cadre légal. Rien qu’en 2014, il était question de plus d’un million et demi de dinars.
Ô oui, ces derniers temps, de très nombreuses voix, se sont élevées à propos de l’argent brassé par certaines associations, le moins que l’on puisse dire obscures. Mais ce qui est regrettable, c’est que l’on n’évoque que rarement les succès de celles qui font un travail remarquable. Et le plus inquiétant, c’est qu’il est fort à craindre que la myopie du législateur à l’égard des associations qui font de l’entrepreneuriat social n’engendre leur sacrifice au nom de la lutte contre les activités des associations blanchissant de l’argent ou dont le but est de saper la République. Et pour cause, dans le projet du nouveau code des investissements récemment retiré, pas un mot, pas une incitation, pas un avantage, pas une seule exemption de taxe accordée à l’entrepreneuriat social.
Le cadre légal demeure, en effet, toujours aussi hermétique à toute incitation pour ce type d’entrepreneuriat et si avare en matière de mécanisme encourageant son autonomie financière. Au mieux, nous sommes toujours dans la culture de la subvention d’État, cette sorte de perfusion qui maintient l’entreprise sociale sous une étroite dépendance de l’État et de ses organismes publics. Or, l’exemple de Jemna démontre à l’évidence que certains peuvent réussir là où l’État a accumulé tant d’échecs.
Certes, la réussite de l’« Association de Défense des Oasis de Jemna » est exceptionnelle. Elle arrive non seulement à s’en sortir financièrement, mais dégage de très importantes sommes d’argent qu’elle réinjecte au profit de la commune. Et, manifestement, le cadre légal associatif -faute de mieux- est très mal adapté à ses activités sociales.
Mais combien d’autres associations qui relèvent, dans les faits, tout autant de l’entreprise sociale sont dans le besoin d’un cadre légal qui reconnaisse leurs activités pour ce qu’elles sont ? Ceci en leur accordant incitations et avantages dont bénéficient aujourd’hui des entreprises dont la raison d’être est le gain d’argent. L’actuelle injustice à l’égard des entrepreneurs sociaux ne nous semble pas avoir de justification raisonnable.
Sans aucun doute, les nécessités du développement régional disposent, par le biais de l’entrepreneuriat social, d’un formidable outil pour encourager des pans entiers de la société tunisienne, notamment à l’intérieur du pays, à se prendre en charge là où l’État échoue depuis des décennies. Mais encore faut-il que le législateur s’y penche… encore faut-il que l’incompétence ne prime pas sur les bonnes volontés… encore faut-il que l’on ne sacrifie pas les entreprises sociales sur l’autel de la lutte contre les « malversations » de certaines associations.
À suivre…
(1).- Cf. Catherine DAVISTER, Jacques DEFOURNY, Olivier GREGOIRE : « Les entreprises sociales d’insertion dans l’Union européenne : un aperçu général. » WP no. 03/11, Réseau Européen EMES, European Research Network. p. 20 à 25.
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